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nations seront alors dans la Patrie universelle ce que sont, de nos jours, dans chaque nation, les départements et les provinces, où chacun jouira pareillement de la liberté, du bien-être par le travail et, enfin, de la justice réelle en conformité des actions autant individuelles que sociales. — Elie Soubeyran.


NATIONALISME n. m. Déformation, caricature de : patriotisme (voir ce mot). Esprit étroit de nationalité. « Ce n’est à vrai dire qu’un chauvinisme ridicule et qui mérite d’être bafoué. »

Aux premiers temps des sociétés humaines, le despotisme inhérent à cette époque, est basé uniquement sur la force du prince. Quand la religion, sous sa forme primitive, base l’autorité du prince sur la volonté d’un être supra-naturel : Dieu, elle donne aux hommes la règle de ses actions : une morale. L’ordre social repose tout entier sur cette règle des actions, soi-disant révélée par Dieu. Tant que cette morale échappe il l’examen, le peuple accepte la loi. « Toute autorité vient de Dieu, désobéir à l’autorité, c’est désobéir à Dieu. » (Saint Paul, Saint Thomas). Il suffit pour cela d’empêcher les développements de l’intelligence dans toute la mesure du possible, de comprimer l’examen par tous les moyens : « Il convient d’effacer du monde par la mort, et non seulement la mort de l’excommunication, mais la mort vraie, l’hérétique obstiné. » (Saint Thomas). « Si les hérétiques professent publiquement leur hérésie et excitent les autres par leurs exemples et par leurs raisons à embrasser les mêmes erreurs, personne ne peut douter qu’ils ne méritent d’être séparés de l’Église par l’excommunication et d’être enlevés par la mort du milieu des vivants ; en effet, un homme mauvais est pire qu’une bête féroce et nuit davantage, comme dit Aristote ; or, comme il faut tuer une bête sauvage, ainsi il faut tuer les hérétiques. » (P. Lépicier). L’inquisition n’est qu’un des moyens d’empêcher l’examen, il faut compter également : le maintien des nationalités séparées par des frontières et garanties par des douanes : diviser pour régner (Machiavel).

Longtemps les peuples sont divisés sur la question religieuse et s’entretuent pour la prédominance d’un culte sur l’autre. Les guerres religieuses sont nécessairement des guerres internationales : « Nulle cause plus puissante de séparation que la diversité des croyances ; rien qui rende l’homme plus étranger à l’homme, qui crée des défiances plus profondes, des inimitiés plus implacables. Cela est vrai, surtout pour les peuples. Quand la religion ne les unit pas, elle crée entre eux un abîme. » (Abbé de Lammenais).

Le maintien des peuples dans l’ignorance et leur division en nationalités a toujours été considéré comme l’art de la Politique.

Maintien des peuples dans l’ignorance : V. Bayle, Dict. Crit. Art. Belot : « Belot, avocat au Conseil privé du roi… entreprit de prouver qu’il ne fallait pas se servir de notre langue dans des ouvrages savants, et il allégua, entre autres raisons, qu’en communiquant au peuple les secrets des sciences, on a produit de grands maux… Les anciens Romains, à son compte, se trouvèrent mal d’avoir employé à tout la langue vulgaire. Ce sont là (continue Belot) les effets que les secrets des savants, mal à propos découverts au peuple, ont produit chez les Romains, et dont l’exemple serait aussi périlleux à notre monarchie qu’il a été dommageable à cet empire… On trouvera sujet d’étonnement et d’admiration, en examinant combien la connaissance qu’on a donné de la philosophie aux peuples a fait de brouillons et de sophistes, combien celle de la théologie a fait d’hérétiques et d’athées. »

Division en nationalités : J.J. Rousseau, de l’inégalité des conditions. « Les corps politiques restant entre eux dans l’état de nature (n’ayant que la force pour droit) se ressentirent bientôt des inconvénients qui

avaient forcé les particuliers d’en sortir, et cet état devint encore plus funeste entre ces grands corps qu’il ne l’avait été auparavant entre les individus dont ils étaient composés. De là sortirent les guerres nationales, les batailles, les meurtres, ces représailles qui font frémir la nature et choquent la raison, et tous ces préjugés horribles qui placent au rang des vertus l’honneur de répandre le sang humain. Les plus honnêtes gens apprirent à compter parmi leurs devoirs celui d’égorger leurs semblables : on vit enfin les hommes se massacrer par milliers, sans savoir pourquoi ; et il se commettait plus de meurtres en un seul jour de combat, et plus d’horreurs à la seule prise d’une seule ville, qu’il ne s’en était commis dans l’état de nature durant des siècles entiers, sur toute la face de la terre. Tel sont les premiers effets qu’on entrevoit de la division du genre humain en différentes sociétés. »

Quand les développements nécessaires des connaissances humaines : la science, la découverte de l’imprimerie, les modifications économiques : production, commerce, etc…, reléguèrent la religion au second plan, l’État, représenté d’abord par le prince, puis par le gouvernement élu au suffrage des majorités : démocratie, obéissant aux mêmes nécessités : diviser pour régner, créa par l’éducation, par l’instruction, par la presse devenue un organe indestructible de la nouvelle vie des sociétés, une foi nouvelle, plus tangible plus conforme au positivisme ambiant : le nationalisme.

Diviser le monde en nations ; tout faire pour donner à chacune d’elles une physionomie particulière, un caractère spécifique ; lui donner une langue et une histoire ; des mœurs et une morale en opposition avec les expressions collectives des autres nations ; soutenir une presse et une littérature qui chantent les louanges des « qualités » de son pays, de sa nation, de sa race ; développer le sentiment de supériorité de domination, d’autorité ; tout cela pour aboutir à ce que chaque individu se sente une cellule du corps social, réel, positif, qu’est sa nation, la seule, l’unique, la divine Nation, celle que redoutent et envient toutes les autres nations. « Le patriotisme n’est pas seulement le dernier refuge des coquins ; c’est aussi le premier piédestal des naïfs et le reposoir favori des imbéciles. Je ne parle pas du patriotisme tel qu’il devrait être, ou tel qu’il pourrait être, mais du patriotisme que nous voyons en France et même partout, qui se manifeste dans toute son hypocrisie, toute son horreur et toute sa sottise depuis 30 ans. Et je dis que la constatation ci-dessus, dont on peut facilement, tous les jours, vérifier, l’exactitude, fait comprendre comment se recrutent les états-majors et les troupes qui constituent les légions du chauvinisme. Des naïfs et des imbéciles, je n’ai pas — grand chose à dire ; les premiers, dupes d’enthousiasmes irréfléchis et d’illusions juvéniles, arrivent souvent à se rendre compte, du caractère réel de la doctrine cocardière et sortent écœurés, de la chapelle où on la prêche ; les seconds : misérables êtres aux cerveaux boueux, forment un immense troupeau de serfs à la disposition d’un maître à forte poigne — ou à fort gosier — et porte leur patriotisme comme les crétins portent leur goitre. »

« Quant aux chefs, ce sont quelquefois des républicains, quelquefois des monarchistes, quelquefois les deux ensemble, ou bien ni l’un ni l’autre, Ce sont toujours des coquins. Le patriotisme n’est pour eux qu’une enseigne qui doit attirer la foule ; un décor derrière lequel ils pourront machiner à loisir les combinaisons de leur goût ». (G, Darien.)

Un de ces savoureux articles commis par G, de La Fouchardièrs, dans L’Œuvre, et rapporté dans son recueil « Au temps pour les Crosse », mérite ici, mieux qu’un rappel. « Le banquet annuel de la 139° section des médaillés militaires eut lieu dimanche dernier, à Orléans. À l’heure des discours, M. Misserey, président