en 1831 et lorsqu’il vit comment la musique y était traitée, même à Saint-Pierre et dans la chapelle Sixtine. Il s’interrogea sur la qualité supérieure, religieuse, divine de cette musique, et voici ce qu’il dit entre autre : « Nous accordons que les trente-deux chanteurs du Pape, incapables de produire le moindre effet, et même de se faire entendre dans la plus vaste église du monde, suffisent à l’exécution des œuvres de Palestrina dans l’enceinte bornée de la chapelle pontificale ; nous dirons que cette harmonie pure et calme jette dans une rêverie qui n’est pas sans charme. Mais ce charme est le propre de l’harmonie elle-même et le prétendu génie des compositeurs n’en est pas la cause, si toutefois on peut donner le nom de compositeurs à des musiciens qui passaient leur vie à compiler des successions d’accord… Dans ces psalmodies à quatre parties où la mélodie et le rythme ne sont point employés, et dont l’harmonie se borne à l’emploi des accords parfaits entremêlés de quelques suspensions, on peut bien admettre que le goût et une certaine science aient guidé le musicien qui les écrivit ; mais le génie ! allons donc, c’est une plaisanterie. En outre, les gens qui croient encore sincèrement que Palestrina composa ainsi à dessein sur les textes sacrés, et mû seulement par l’intention d’approcher le plus possible d’une pieuse idéalité, s’abusent étrangement. Ils ne connaissent pas, sans doute, ses madrigaux, dont les paroles frivoles et galantes sont accolées par lui, cependant, à une sorte de musique absolument semblable à celle dont il revêtit les paroles saintes. Il fait chanter par exemple : Au bord du Tibre, je vis un beau pasteur, dont la plainte amoureuse, etc., par un chœur lent dont l’effet général et le style harmonique ne différent en rien de ses compositions dites religieuses. Il ne savait pas faire d’autre musique, voilà la vérité ; et il était si loin de poursuivre un céleste idéal, qu’on retrouve dans ses écrits une foule de ces sortes de logogriphes que les contrepointistes qui le précédèrent avaient mis à la mode et dont il passe pour avoir été l’antagoniste inspiré. Sa missa ad fugam en est la preuve. »
Après Palestrina, les Nanini, Cifra, Allegri, Marcello, Pergolèse, et surtout Haendel et J.-S. Bach, enrichirent la musique d’église de nombreuses œuvres nouvelles, mais qui ne furent pas plus religieuses. La fugue, par exemple, à laquelle Bach donna un souverain essor, était plus brillante qu’émouvante ; elle atteignait intelligence de l’artiste plus que le cœur du fidèle, et Bach ne pensait pas plus au Dieu du pape qu’à celui de Luther, quand il composait les siennes, ou ses trois cents cantates, ses Messes, ses Sanctus, ses Magnificats, ses Passions. Aucune église ne peut s’annexer l’anglican Haendel pas plus que le protestant J.-S. Bach, tous deux allemands, nourris de l’esprit de la Réforme encore palpitant de ses luttes et humilié de la domestication de son clergé. D’ailleurs leurs œuvres valent par la perfection de l’art plus que par l’expression. Hændel et surtout Bach furent les plus parfaits des contrepointistes mais ils furent d’une solennité glaciale. On trouve difficilement chez eux l’émotion et on comprend, en somme, que leur perfection s’accorde avec les religions, catholique ou protestantes, mais inhumaines. Un concert à la Schola de M. Vincent d’Indy, qui est le Conservatoire de la musique religieuse, une audition du Messie de Hændel ou d’une Passion de Bach, sont des fêtes musicales incomparables pour l’esprit, mais le cœur est étonné de n’y avoir aucun tressaillement.
La Création, de Haydn, a apporté un premier air romantique dans la musique dite religieuse. Elle est d’une effusion panthéiste qui donne sur les premiers temps du monde une idée autrement vivante que la niaise élucubration biblique. La Messe en ré et le Christ au Mont des Oliviers, de Beethoven, ont des sanglots humains qui font penser à Prométhée plus qu’au Christ résigné à une prétendue mission divine. Parle-
La « musique de l’avenir » . — Jean-Jacques Rousseau, qui faisait de la musique à la façon des oiseaux et eut le tort de vouloir être un théoricien musical, disait : « La mélodie seule peut peindre les passions, la mélodie seule est la musique des cœurs sensibles ; l’harmonie n’est qu’un bruit, plaisir de Welches et de barbares. » Les Welches et les barbares ont montré, trop tard pour Rousseau, combien l’harmonie était musique en ouvrant sa voie à la mélodie égarée dans les champs de cette sensibilité artificielle que l’auteur du Devin du village condamnait d’autre part quand il ne parlait pas de musique. Un siècle après Rousseau, en un temps où Vitet déclarait qu’on ne pouvait, « physiquement », dépasser Rossini dans la « progression harmonique », se produisait une révolution démontrant qu’au contraire, même physiquement, il n’était pas de limite à cette progression. Cette révolution, dont les « pompiers » rossinistes puis gounodistes se gaussèrent en raillant la « musique de l’avenir », fut l’œuvre, d’une part de Berlioz, d’autre part de Wagner. Leurs voies ne furent pas les mêmes, elles furent différentes et même opposées ; toutes deux ne dirigèrent pas moins la musique vers un monde si nouveau, et surtout si étendu, qu’on ne l’a pas encore, aujourd’hui, entièrement exploré. Si le voyage est à peu près terminé avec Wagner, il y a encore à marcher avec Berlioz. Ainsi se vérifie sa prédiction qu’il sera connu et compris vers 1940. On reconnaîtra alors en lui le génie le plus incon-