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MAL
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ciprocité bien comprise permet à chacun d’échanger les produits du déterminisme personnel ou groupal, de trouver en ces échanges la satisfaction des besoins, des désirs, des appétits, des aspirations que peuvent formuler les divers tempéraments humains, telle jouissance, nuisible pour celui-ci, pouvant être bienfaisante pour celui-là. L’exercice de la réciprocité, dans un milieu ignorant le permis et le défendu, implique la réponse à presque tous les appels que peuvent émettre le psychologique et le physiologique. Seuls restent insatisfaits les cas pathologiques vraiment caractérisés et nous savons que là où il n’est plus morale d’État ou d’Église, ils se réduisent à peu de chose. ‒ É. Armand.


MALADIE. (ses secrets bienfaits). Dans une erreur alimentaire ou dans un abus de même nature, commis par deux hommes de même âge, de mêmes conditions de vie, l’affection qui naîtra de cette erreur sera-t-elle la même pour chacun des deux sujets ?

La réponse est négative, pour 99 cas sur 100 ; la seule fois que les affections seront de même nature, chez l’un et l’autre des deux sujets, identiquement frappés, c’est exception à la règle.

La maladie, dans ses symptômes, sa nature, sa force, sa durée, ses reliquats, se traduira de façons différentes selon les prédispositions du sujet à des tares afférentes à son hérédité, à ses affections anciennes, à des états imputables à des professions malsaines ou déformatrices d’une fonction organique, ou bien à des préoccupations morbides, etc…

La maladie est mal appelée, ou bien on l’interprète mal dans son sens, son origine.

La maladie, c’est simplement un état de fièvre réagissant contre le mal enfin constitué ou sur le point de l’être.

La maladie sera quelconque et différenciera de nature cependant que les causes qui la constituent seront identiques.

En somme, ce n’est pas la maladie qu’il importe de vaincre puisque son rôle est de protéger le sujet contre le mal déferlant sur l’organisme. Lutter contre la maladie, c’est lutter contre la guérison ; aider la maladie, voilà ce que devrait être le rôle du médecin (de santé).

La maladie, c’est le règlement d’échéances suprêmes, desquelles on ne saurait remettre le paiement sans danger d’accumuler les chances de faillite. Celui qui échappe, en fraude, à la maladie qu’il a méritée fait une véritable banqueroute ; la peine qu’il subira de ce fait, à la prochaine récidive, ne profitera pas de l’indulgence du tribunal qu’il aura, pour l’avenir, indisposé plus gravement à son égard.

Le rôle du médecin (de maladie) est de faire vivre le mal un quart d’heure de plus, en conjurant la maladie qui, seule, compte pour le « patient ! »

Ce qu’on ne permet pas de faire contre le social est permis quand il s’agit de la société que constitue le corps humain ! Cependant il y a des cas où l’on se comporte contre le mal social à l’instar des méthodes médicales employées contre la maladie des humains : quand une région se rebelle contre les mauvais traitements qu’elle subit ou parce qu’elle manque de pain, on expédie, contre elle, non pas des secours de justice ou de bouche, tout d’abord ; mais la force armée qui étouffe la rébellion, aussi légitime soit-elle !

Le corps humain, malmené par l’ingestion habituelle d’aliments nocifs, par les atteintes du toxique, du stupéfiant alcool ou tabac, se plaint-il, quelque part, de ne plus pouvoir tant en supporter ? L’homme, le plus révolutionnaire du monde, enverra la force brutale, contre la province révoltée, sous la forme de médicaments provenant du pharmacien ou du bistrot, les deux se confondant de plus en plus.

Révolutionnaires contre la société et réactionnaire

contre soi-même, dans des cas réclamant la même mesure de moralité, voilà une situation contradictoire commune à beaucoup d’hommes se prétendant éclairés, défenseurs de la vérité !

Pendant les quinze premières années que je me suis consacré à l’étude de l’ordinaire médecine officielle, je m’expliquais très bien pourquoi les maladies étaient innombrables.

Les faits ne démontraient-ils pas, à chaque instant, qu’il n’y avait pas de maladie ‒ au sens médical du mot ‒ mais rien que des malades ayant des affections « sur mesures » ?

La maladie me semblait s’apparenter aux mille incidences de la vie affective des sujets, aux mille tumultes de leur organisme malmené, aux mille attentats (jalousement dissimulés), livrés à la chair suppliciée et aussi à la conscience, jusqu’à l’abêtissement.

Dans ce monde, infiniment peuplé de secrètes dispositions, innées les unes, et vicieuses les autres, sur lequel s’échafaudait le mal, je voyais la médecine si petite et toujours tant distancée, par des affections nouvelles s’ajoutant à des milliers de maladies encore insaisissables, que je m’en voulais d’avoir perdu mon temps à le consacrer à une science vaine ne pouvant plus qu’à peine constater le mal, sans jamais le dépister à temps ni pouvoir lui couper les vivres surtout.

Les causes de la maladie, persistant et s’amoncelant, chaque jour et de plus en plus : alcoolisme, tabagisme, vinisme, carnivorisme, caféisme, cocaïnisme, falsificationisme, surmenage, sexualisme, prostitution et taudis creusant tous le lit, toujours plus profond, des fléaux les plus redoutables, les épidémies augmentant le nombre de leurs victimes, la société devenant le prolongement de l’asile d’aliénés, c’était, pour moi, plus qu’il n’en fallait pour me sidérer de stupéfaction lorsque j’entendais parler de la découverte qui devait assurer la guérison d’une des mille tuberculoses, aux cent têtes, décimant l’humanité.

Le mot guérison me semblait impropre à la maladie qui, pour moi, n’était tout d’abord qu’une force réagissant contre la puissance du mal, menaçant de tout incorporer à ses fins, mot impropre aussi, désormais, en pratique médicale honnête.

Littré n’avait-il pas dit, sans que sa parole trouve franchement écho dans le corps médical, que « la maladie est une réaction de la vie, soit locale, soit générale, soit immédiate, soit médiate, contre un obstacle, un trouble, une lésion » ?

Je ne croyais la possibilité d’appliquer le mot guérison, qu’à l’action qui consiste à se débarrasser d’un vice, d’une habitude, de passions ou de besoins contraires au bon sens, nuisibles à la santé, à la société, à la nature.



La maladie fait plus de mal autour du malade qu’à lui-même.

Une boutade reproduite maintes fois, nous fixera sur ce point : Une maman appelant le médecin au chevet de son enfant, atteint de rougeole, demanda au médecin, une réduction du prix de sa consultation parce que son petit avait collé la rougeole à tous les enfants du quartier !

Dans la médecine (établissant son règne sur de telles incidences), comme dans la politique, tout est opportunisme, relativisme, irresponsabilité, intolérance, abus.

Quelqu’un a dit : « La cause du faible est un objet sacré ! » Oui, cela est vrai si on considère que le faible, et le malade peuvent entraîner, avec eux, le reste de l’humanité dans le marasme, dans le néant alors cela devient pressant pour les forts, de s’occuper du faible les menaçant de tout contaminer même les médecins. Aussi serait-il urgent de faire de l’École de Médecine une École de prévention du mal et non pas une École