faire ouvreurs de portières ou plongeurs de restaurants, des artistes et des écrivains meurent de faim, pendant que des milliards sont gaspillés pour la guerre et des entreprises cabotines, que la gabegie règne dans les administrations, que les apanages sont rétablis pour des familles de maréchaux et qu’on couvre d’or les boxeurs, les toréadors, les danseurs mondains, les gueules photogéniques du cinéma, les proxénètes, les flibustiers de toutes les eaux sociales et leurs complices de la politique et de la presse. Pour le muflisme, il y a trop de savants, de penseurs, d’artistes, de médecins, d’ingénieurs, d’instituteurs, de gens dont le travail est utile ; il n’y a jamais assez de militaires, d’histrions, de garde-chiourmes, de policiers, de gens de toutes les professions parasitaires.
Voici deux faits, actuels en l’an du muflisme 1931, qui caractérisent mieux que les plus éloquents commentaires l’attitude de ce muflisme parasite, détrousseur et imposteur à l’égard de l’intelligence créatrice. On sait que le savant Branly est l’inventeur de la TSF. On sait aussi que l’ouvrier mécanicien Forest fut celui de tous les perfectionnements qui ont rendu pratique l’emploi de l’automobile et possible sa rapide extension. Des financiers, des industriels des commerçants, des intermédiaires de toute sorte, ont gagné et gagnent encore, non seulement des millions, mais des milliards, grâce aux inventions de Branly et de Forest. Eh bien ! pendant que ces mufles profiteurs étalent le luxe le plus effréné, font écrire leurs noms en lettres de feu dans le ciel et voient se trainer à leurs pieds toute la racaille prostituée du pouvoir, de la presse, de la galanterie et des « bons citoyens », Branly, vieillard de 86 ans, et la veuve de Forest, vieille femme de 76 ans, vivent à Paris dans la misère, délaissés par tous et menacés d’aller finir leurs jours, sans abri et sans pain, dans un asile de nuit !…
Le muflisme ne considère plus les grands écrivains et artistes de tous les temps que comme de « nobles poussahs » qui se sont attachés à une œuvre vaine. Il ne s’intéresse plus à un Hugo, un Byron, un Delacroix, un Baudelaire, un Wagner, un Tolstoï, un Zola, un A. France, que dans la mesure où il a été pédéraste, cocu, syphilitique ou converti. De là le succès du genre littéraire dit de « vies romancées » qui ne sont, la plupart du temps, que des maquillages audacieux de l’histoire et des introspections vicieuses dans l’existence des morts. Flaubert, qui eut à se défendre de son vivant contre tant de mufles, ne se doutait pas de l’acharnement que mettraient tant de fouille-chose à livrer à la malignité publique le secret de sa vie privée, et de l’ardeur qui serait apportée au tripatouillage de son œuvre. Le muflisme a une censure, mais il ne l’emploie pas contre ces malfaiteurs. Il en a même deux, l’une exercée officiellement, au nom du gouvernement « gardien des bonnes mœurs », par de lamentables cuistres descendus au métier déshonorant de dépeceurs de la pensée nouvelle et indépendante ; l’autre officieuse, des cafards bien-pensants et des domestiques des puissances financières et politiques formant des congrégations de « moralistes » bénévoles tant laïques que religieux, tant démocrates que réactionnaires. Le muflisme juge le talent suivant le cours de la Bourse, l’œuvre d’art à son prix de vente. Un Pierre Grassou, dont Balzac a écrit l’histoire et dont la postérité pullule aujourd’hui, qui sait peindre indifféremment des Raphaël, des Rembrandt, des Watteau, ou des Corot, des Daumier, des Cézanne est aussi grand que tous ces maîtres réunis, et si les maîtres meurent souvent de faim, en attendant d’enrichir les mufles, les Pierre Grassou font par contre, de beaux mariages, sont décorés et étalent pompeusement à l’Académie leur puffisme triomphant.
Le mépris de l’intellectualité qui ne s’emploie pas au service de l’imposture, la haine de la pensée qui ne
Le muflisme a « rationalisé » le sacrifice de l’intérêt général aux intérêts particuliers d’une caste qui ne tient plus sa puissance que de l’argent, produit du brigandage social. Alors que la houille blanche et le pétrole permettraient de remplacer le charbon dans tous ses usages, on continue à faire descendre des hommes dans l’enfer des mines. En 1925-1926, sur 203.444 ouvriers travaillant dans les mines françaises, il y a eu 234 tués et 74.504 blessés, soit 37 pour 100 de travailleurs victimes d’accidents. Mais il faut maintenir les privilèges et les bénéfices de la ploutocratie houillère constituée depuis cent ans, quand on ne connaissait pas l’électricité et le pétrole. Les actions des mines d’Anzin, réparties entre quelques centaines de propriétaires et émises à cent francs au temps où se fonda la dynastie des Casimir Périer, valent aujourd’hui des centaines de mille francs. On comprend qu’il faut faire tuer et mutiler des hommes pour aller chercher du charbon dans ces mines.
Pour favoriser les « fermiers généraux de l’estomac national » et la vermine des spéculateurs qui grouille dans leur sillage, on laisse faire la vie de plus en plus chère, et le bon peuple attend toujours ces lois contre la spéculation que des ministres ont pris rengagement « d’honneur » de faire voter ! Par exemple, pour le blé. Les spéculateurs exportent le plus possible et au prix fort, bien entendu. Le blé manquant alors pour le pays, on augmente le prix du pain bien qu’on y mêle toutes sortes de cochonneries comme au temps de guerre. Il y a de gros traitants qui gagnent des milliards à ce commerce, et les ministres qui avaient pris l’engagement « d’honneur » de faire réprimer leurs agissements, leur donnent de hauts grades dans la Légion d’honneur et se mettent à leur service pour justifier,