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terrestre, l’union pour la vie céleste, l’union pour les deux. Il arrive donc qu’une femme peut être mariée à deux époux : à l’un pour la vie actuelle – avec lequel elle vit, – à l’autre pour la vie ultérieure, la vie céleste. Il est admis que si l’on n’a pu (pour l’homme ou la femme) vivre ici-bas la vie polygamique, l’union pour la vie future suffit pour que l’on soit sauvé.

« La cérémonie du mariage peut revêtir deux caractères différents : 1° S’il s’agit du premier mariage, la cérémonie rappelle un mariage protestant ; 2° S’il s’agit d’une nouvelle union pour un homme déjà marié, le caractère de cette cérémonie est tout autre. Tout Mormon déjà marié doit, avant de pouvoir contracter un nouveau mariage, et même avant de demander la main de la personne sur laquelle il a jeté son dévolu obtenir le consentement de sa première épouse, du président suprême de l’Église, enfin des parents de celle qu’il veut épouser. Si la première femme refuse de donner son consentement, elle doit donner à l’autorité ecclésiastique mormone les raisons de son refus. Si ces raisons ne sont pas reconnues assez sérieuses, on passe outre, et le mari est autorisé à s’unir à la nouvelle élue de son cœur. Si, au contraire, le refus de la première femme est fondé sur un motif reconnu valable, le mari n’est pas autorisé à contracter un second mariage… Le Mormon polygame doit veiller au bien-être de toutes ses femmes : il doit toujours agir avec une impartialité et une justice absolues. Il doit, s’il est bon Mormon, se donner tour à tour à chacune de ses épouses, qui se considèrent comme sœurs. On regarde toutefois la première femme comme supérieure aux autres, comme une sorte de reine, dans cette vie comme dans la vie future ; c’est pourquoi beaucoup de Mormones ont vivement désiré être la première épousée. Toutes les femmes d’un même mari doivent aimer tendrement tous ses enfants, qui appellent mère leur propre mère, et tantes les autres femmes de leur père… » Notons en passant que les Mormons ont grandement augmenté le nombre des parents que l’on peut épouser, par exemple la mère et la fille, les sœurs nées du même père et de la même mère, une demi-sœur (consanguine sans doute), etc…

La procuration substitutive n’est pas la moins curieuse des coutumes qu’avait engendrées la polygamie mormone : « Tout Mormon qui se rend en mission plusieurs années est, le plus souvent, obligé de se séparer de sa femme ou de ses femmes, quelquefois assez nombreuses pour atteindre la douzaine ; or, cette séparation entraîne nécessairement une perte d’enfants et, par suite, un grand sacrifice de gloire éternelle, d’après le principe admis que la famille de l’homme constitue son royaume dans l’autre monde. On aurait donc obvié à cet inconvénient, en substituant un agent ou fondé de pouvoirs qui remplacerait le mari absent, auprès de sa femme ou de ses femmes. On prétend que plus d’un enfant a vu le jour de la sorte dans l’empire mormon… »

Il est intéressant de remarquer que si le devoir marital est absolu pour tout Mormon, il est toutefois un cas dans lequel il est non pas restreint, mais absolument interdit : « Pendant les périodes de grossesse et de lactation, les Mormons, en effet, considèrent cette abstention comme meilleure pour la femme et l’enfant, et plus digne pour la pudeur de la femme. C’est là, à côté des exemples tirés de la Bible, un argument fondamental mis en avant en faveur de la polygamie, celle-ci facilitant à l’homme l’abstention totale pendant les périodes que nous venons d’indiquer. »

Examinons maintenant comment vivait un Mormon et ses femmes (nous nous situons au passé, car il est difficile de savoir ce qui se passe aujourd’hui, puisque les Mormons sont censés avoir abandonné la polygamie). Les trois cas suivants pouvaient se présenter : 1° « Toutes les femmes sont réunies sous le même

toit, en une sorte de harem, chaque femme recevant la visite de l’époux suivant le bon plaisir de celui-ci, qui a son domicile personnel. Si le mari va en voyage, il choisit dans son harem une compagne qui le suivra ; s’il est malade, il mande près de lui, pour le soigner, l’une de ses femmes ; 2° Toutes les femmes sont réunies sous le même toit, comme dans le cas précédent, et le mari vit au milieu d’elles. C’est l’exemple le plus fréquent. La vie générale est en commun, mais chaque femme a sa chambre à coucher particulière, le mari se donnant à tour de rôle à chacune d’elles ; 3° Chaque femme a sa demeure particulière où le mari vient passer vingt-quatre heures. »

Mais que disait la femme mormone ? Élevée dans l’idée que le salut dépend de la polygamie, elle regardait avec dédain et pitié les mariages monogamiques ; considérant que, par sa nature, l’homme est essentiellement polygame, elle déclarait préférer la polygamie à la monogamie, dont découle fatalement la prostitution ; elle apportait dans sa foi un mysticisme et une exaltation peu communs. Elle facilitait le mariage de son mari avec d’autres femmes, persuadée que son propre bonheur devait en résulter. Une dame mormone fit au professeur Jules Rémy, qui visita le pays des Mormons vers 1860, certaines déclarations dont nous retiendrons les suivantes, les autres étant saturées de réminiscences bibliques : « La polygamie, quoique vous puissiez penser, place la femme de notre société dans une situation plus morale que celle qui lui est faite par les sociétés chrétiennes où l’homme, riche de ses moyens, est tenté de les dépenser en secret avec une maîtresse, d’une façon illégitime, tandis que la loi de Dieu la lui aurait donnée comme une honorable épouse. Tout cela engendre le meurtre, l’infanticide, le suicide, les remords, le désespoir, la misère, la mort prématurée en même temps que leur cortège inséparable, les jalousies, les déchirements de cœur, les défiances au sein de la famille, les maladies contagieuses, etc. ; enfin, cela conduit à cet horrible système de tolérance légale, dans lequel les gouvernements prétendus chrétiens délivrent des patentes à leurs filles de joie pour les autoriser, je ne dirai pas à imiter les bêtes, mais à se dégrader bien au-dessous, car tous les êtres de la création, à l’exception de l’homme, s’abstiennent de ces abominables excès et observent dans leur reproduction les sages lois de la nature… J’ai pour mari un homme bon et vertueux que j’aime de toute mon âme et dont j’ai quatre petits enfants qui nous sont chers au-delà de toute expression. En outre, mon mari a sept autres femmes vivantes et une qui est allée vers un meilleur monde ; et avec cela il n’a pas moins de 25 enfants. Toutes ces mères et tous ces enfants me sont attachés par de doux liens, par une mutuelle affection, par nos rapports et notre association. Les mères me sont devenues particulièrement chères à cause de leur tendresse fraternelle pour moi et des fatigues et des souffrances que nous avons partagées en commun… »

On a vu, raconte M. Raymond Duguet, dans son livre sur « Les Mormons, leur religion, leurs mœurs, leur histoire » (de date récente), une femme unique, presser spontanément son mari de prendre une seconde femme, se donner toute la peine imaginable pour décider des jeunes filles à l’épouser et pleurer sincèrement de ne pouvoir y parvenir.

Le chef de la justice fédérale dans l’Utah, Read, avoua lui-même que les Mormons possédaient une moralité très élevée. « Il me faut reconnaître, ajoutait-il, que la très grande majorité des Saintes déclarent être heureuses et qu’un grand nombre d’entre elles ont l’air d’être parfaitement satisfaites. » Tous les Européens qui visitèrent les Mormons à l’époque où la pluralité des épouses fluorisait sans entraves, se sont accordés à reconnaître et à vanter la supériorité morale des