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dans un pays où – comme hier en Russie et aujourd’hui encore en Angleterre – la richesse foncière est entre les mains d’une poignée de hobereaux…

Les monopoles légaux qui sont par excellence les monopoles d’État et ceux dont l’État garantit à des particuliers l’exercice et le fruit, ont pour eux l’apparence de la légitimité, puisqu’ils fonctionnent sous l’autorisation et le contrôle de l’autorité légale. On a vu suffisamment en cet ouvrage quelles illusoires garanties offre cette autorité pour qu’il soit inutile de faire ressortir que ces monopoles – sous le couvert du bien public et de l’intérêt général – ou poursuivent un but purement fiscal et assurent, indirectement et hypocritement, une pressuration intense du contribuable, ou ramènent entre des mains privilégiées les avantages d’exploitation dont tous les bénéfices devraient revenir à la nation. Ceux du tabac, des allumettes, de la monnaie, de certaines administrations sont du type du premier ordre. Ceux des mines, des chemins de fer sont caractéristiques du second.

Le monopole d’État n’est qu’un impôt déguisé. S’emparant du commerce d’un objet de consommation, l’État en interdit la fabrication, l’échange et la vente dans le commerce libre et, naturellement, conserve pour lui tous les bénéfices de l’opération. Ces monopoles d’État sont une véritable exploitation du consommateur qui paie fort cher des produits médiocres. On voit couramment les produits monopolisés, de très mauvaise qualité, être vendus plusieurs fois leur valeur réelle, tels les allumettes et le tabac en France. Incapacité, négligence, mépris souverain du public président librement aux fabrications d’État. N’a t-on pas vu « notre » manufacture nationale employer, pour ses allumettes, des bois ignifugés ?… Le consommateur ne peut ni se défendre, ni s’adresser à un concurrent. Notre maitre, l’État, seul arbitre, est aussi notre unique et coûteuse Providence…

Il est assez curieux (et aussi significatif) que des partis politiques, dits d’avant-garde (socialistes, radicaux-socialistes) aient inscrit dans leurs programmes, la consolidation des monopoles d’État existants et l’extension du principe de monopole à d’autres produits. On peut aisément se rendre compte, par le fonctionnement des monopoles existants, que le consommateur serait livré pieds et poings liés aux fantaisies d’une administration complètement irresponsable.

Quant aux « monopole de consentement » – concessions d’exploitation délivrées à certains individus ou, plus fréquemment, à des compagnies exploitantes – ils constituent une véritable escroquerie au détriment du public. Beaucoup de services publics d’intérêt général sont ainsi mis sous la coupe d’une poignée d’exploiteurs. Exemples probants : les monopoles accordés aux compagnies de chemin de fer, tramway, gaz, électricité. Ces compagnies commencent généralement à se faire octroyer de très fortes subventions d’établissements par les pouvoirs publics, État, départements ou communes. Les actionnaires fournissent le reste. Ensuite, par des conventions ou avenants passés avec les dits pouvoirs publics, elles majorent fortement les tarifs de la consommation, sous prétexte d’amortissements. Enfin, elles se font réserver des garanties d’intérêts ; c’est à dire que les pouvoirs publics s’engagent à couvrir les déficits éventuels. Les Compagnies de chemin de fer, en France, ont ainsi reçu de l’État un chiffre élevé de milliards. On peut dire que le terrain que le terrain, les voies, le matériel et les bâtiments ont étés payés par l’État, c’est à dire par les contribuables, ce qui n’empêche pas que tout cela demeure la propriété exclusive de la Compagnie concessionnaire.

Je pourrais citer également les exemples de plusieurs compagnies de gaz. Par une majoration des tarifs du prix du mètre cube et de locations d’appareils, elles amortissent toute la valeur de leurs usines, matériel,

canalisation, etc., en quinze ou vingt années. Certaines fonctionnent depuis trois quart de siècle et ont ainsi amorti trois ou quatre fois leur capital. Le montant des actions a même, en certains cas, été remboursé intégralement. De nouvelles actions ont été délivrées à titre gratuit aux anciens actionnaires, représentant l’augmentation réelle du capital – nouvelles installations, nouveau bâtiments, etc. – réalisée avec les bénéfices des exercices. Les consommateurs, qui n’ont pas la possibilité d’aller se fournir ailleurs, qui sont scandaleusement rançonnés, qui n’ont pas la faculté de protester, ont payé le capital initial, ont payé les améliorations ultérieures, ont tout payé, et ce sont les actionnaires qui restent propriétaires de l’exploitation. Ceci constitue une véritable escroquerie, mais escroquerie couverte par les lois et les conventions ayant force de lois.

Dans un pays comme la France, des milliards sont annuellement extirpés à la consommation, des fortunes s’échafaudent, sous le couvert du monopole, soi-disant instauré dans l’intérêt public.

Il va sans dire qu’entre les politiciens détenteurs de fonctions publiques et les dirigeants des compagnies à monopole, c’est le régime des tractations louches et malhonnêtes, des pots-de-vin, qui est la règle normale. Pour modifier, à leur avantage, tell ou telle clause de la convention, les dirigeants de la compagnie n’hésitent pas à récompenser largement le politicien qui leur facilite l’opération.

Ce genre de monopole a une autre conséquence très importante au point de vue de l’économie sociale : il constitue une entrave sérieuse au développement du progrès technique. Telle invention nouvelle, par exemple, ou quelque perfectionnement peut amener un produit concurrent à diminuer la consommation du produit monopolisé. Pesant de toute la force de leurs relations, les compagnies à monopoles font décréter des mesures pour tuer dans l’œuf cette concurrence.

Le transport des produits lourds par voie fluviale a été très entravé par les Compagnies de chemins de fer, lesquelles ont fait pression sur les gouvernants pour qu’on ne les facilite pas, qu’on les décourage, au contraire, par toute une série de « raisons ».

L’automobilisme – surtout sous la forme autobus – aurait dû depuis longtemps permettre des communications entre les communes rurales qui, en majorité, n’ont pas de gares. On a tout fait pour faire échec à cette commodité, qui aurait réduit le trafic ferroviaire. Et si maintenant des lignes d’autobus s’établissent avec plus de fréquence, c’est que, par un accord, leur exploitation a été livrée aux compagnies de chemins de fer, qui complètent ainsi leur monopole de la voie ferrée par le monopole des transports en commun sur route.

Les concessions minières sont également une autre sorte de monopole. Par loi ou décret, on a conféré à une société ou à une individualité le droit exclusif d’extraire la houille ou le minerai sur tel territoire déterminé. Toute l’exploitation minière ayant ainsi été répartie entre quelques compagnies, il en résulte que la consommation se trouve livrée aux appétits des concessionnaires de ces compagnies, lesquels réalisent de ce chef des profits scandaleux. On cite telle compagnie de mines, dont les actions, émises à mille francs, il y a 50 ou 75 ans, se négocient couramment à des centaines de milliers de francs – après avoir été totalement remboursées aux actionnaires.

C’est surtout dans les colonies que le régime des concessions et monopoles privés s’épanouit sans mesure. Sur d’immenses superficies, le monopole de la culture est attribué à certaines sociétés. Également le monopole du commerce, des ports, etc., etc. On est allé jusqu’à établir l’esclavage (dénommé travail forcé) au profit des compagnies à monopole, en leur accordant le droit de réquisitionner la main-d’œuvre, de la