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ser certains contrats parce que l’une ou plusieurs de ses clauses déplaisent à l’autre élément ; ce dernier s’interdira, mû par le même motif, certains, déplacements certaines tentatives, certaines aspirations même ; il renoncera à fréquenter certaines personnes. Tout cela parce que ces contrats, ces tentatives, ces aspirations, ces fréquentations risquent de troubler l’harmonie sans laquelle la monogamie cesse d’être praticable. De sorte que les individualistes anarchistes n’ont pas tort de reprocher à la monogamie d’impliquer abstention, restriction, refoulement, résignation.

Que ce soit au point de vue intellectuel, éthique, sentimentalo-sexuel, la fréquentation simultanée de plusieurs individualités ne peut que profiter à l’ego. Il en est de cette fréquentation comme d’un voyage à la découverte : faire connaissance d’autres coutumes que celles auxquelles on est habitué, fouler d’autres sols, contempler d’autres panoramas, s’assimiler de nouveaux dialectes, enrichit inévitablement l’explorateur. La connaissance intime de plusieurs autruis peut faire jaillir des profondeurs du moi des aspects nouveaux de la personnalité, aspects qui seraient à jamais demeurés ensevelis et stériles sans cette occasion.

Ces considérations diverses – et on pourrait les étendre – indiquent pourquoi les individualistes anarchistes, ne considèrent pas la monogamie comme favorable a l’expansion de l’unité individuelle ou de tout milieu basé sur le fait individuel. Toute réserve étant faite pour certains déterminismes particuliers, se révélant à la suite d’expériences loyalement faites et ayant assez duré pour en tirer une conclusion.

Nous n’ignorons pas que, dans la société actuelle, les conditions économiques permettent difficilement à la femme de se tirer d’affaire toute seule. Mais on ne, voit pas pourquoi une association d’ordre économique entre un homme et une femme – qu’elle soit basée sur l’affinité idéologique, la communauté de vues au point de vue éthique, un rattachement d’ordre affectueux ou autre – impliquerait fatalement observation de la restriction à la capacité d’essai, entrave à la saisie des occasions, exclusivisme monopolisateur. Il ne peut venir à l’esprit d’un individualiste anarchiste, femme ou homme, parce que, dans le ménage, il apporte tout ou partie des ressources indispensables à son fonctionnement, de proposer un contrat restreignant l’amplification individuelle, limitant le champ d’expériences de son ou de ses coassociés. De tels contrats entre camarade ne peuvent se supposer. Même une association de camaraderie amoureuse ne saurait interdire a ses membres (sauf lorsqu’il y a à redouter l’intrusion d’éléments archistes, suspects, un danger d’indiscrétion ou quelque péril pour l’ensemble) d’entretenir des relations affectives avec des personnes n’appartenant pas à l’association dont ils font partie.

On peut comprendre et admettre qu’un des membres de l’association économique ou idéologique veuille être monogame pour son propre compte, mais qu’il l’impose à un ou plusieurs de ses coassociés, cela ne peut s’imaginer entre gens respectueux de l’autonomie d’autrui. Parce qu’on fait « bouillir la marmite », tracer des limites aux possibilités d’expansion de ses cohabitants, ce n’est pas compréhensible de la part d’un anarchiste, c’est-à-dire d’un humain dont la préoccupation principale est non la question économique, mais la délivrance de la tutelle autoritaire. Tout au moins, quand il s’agit de ceux de « son monde », de ceux qui parlent la même langue que lui. – E. Armand.

(Voir : polygamie, sexe, sexualité, sexuelle (morale), etc., etc.


MONOGÉNISME n. m. (de monos, seul, et genos, race). Théorie qui fait remonter à un type primitif unique toutes les races du globe (voir Races). Religions antiques, christianisme, traditions l’ont pro-

fessée et soutenue. Des savants jusqu’à nos jours s’y sont ralliés, de Buffon à de Quatrefages. Parmi ceux qui soutiennent la multiplicité des origines, citons : Bory de Saint-Vincent, Lamarck, puis Morton, Gliddon, Knox et Agassiz, auxquels il faut ajouter, pour leurs recherches ethniques sur les métissages et le berceau de certains types (scandinaves, celtes, etc.) : Pœsche, Schrader, Peuka, Laumonier et Gumplovicz.

On lira avec intérêt sur ce sujet ; Introduction à l’étude des races humaines : de Quatrefages ; La lutte des races : Gumplovicz ; Les procédés de défense de la race ; Homogénésie et dégénérescence : J. Laumonier ; Le préjugé des races : Jean Finot ; L’anthropologie : Topinard ; Mémoires de la Société d’anthropologie : P. Broca ; Paradoxes : Max Nordau ; Anthropologie : Waitz ; De l’origine des espèces ; De la variation des animaux : Darwin ; Principes de biologie : Spencer ; Mécanisme de la variation des êtres vivants : A. Gautier, etc.


MONOPOLE n. m. lat : monopolium, (du grec, monopôlion, de monos, seul, et pôlein, vendre). Étymologiquement, c’est donc le privilège pour un individu, un groupe, une organisation d’être seul à vendre tel ou tel produit. Le sens s’en est étendu aux faits sociaux, aux actes économiques les plus divers. On dit maintenant tout aussi bien le monopole de la vente, ou de l’achat, de la fabrication, de l’extraction, le monopole de l’enseignement, etc. Mais à ce mot s’attache toujours le même caractère d’exclusivité, qu’il s’agisse des faits, de l’usage ou du droit. Pratiquer un monopole consiste (soit légalement) avec l’aide du gouvernement ou de privilèges reconnus et protégés par la loi, (soit en fait par une organisation puissante) a supprimer toute concurrence sur telle ou telle opération économique déterminée.

Proudhon dénonçait déjà vigoureusement « l’égoïsme monopoleur ». Il disait : « Le monopole est, pour l’homme qui ne possède ni capitaux, ni propriété, l’interdiction du travail et du mouvement, l’interdiction de l’air, de la lumière et de la subsistance… Le monopole s’est enflé jusqu’à égaler le monde ; or un monopole qui embrasse le monde ne peut demeurer exclusif, il faut qu’il se républicanise ou bien qu’il crève. » Il signifiait ainsi au monopole total (capitalisme particulier ou d’État) l’impossibilité d’exister. Le monopole symbolisait à ses yeux cette redoutable tyrannie économique dont notre siècle aura vu l’apogée et, souhaitons-le, la défaite.

On range généralement les monopoles dans trois catégories : les monopoles naturels, les monopoles fonciers, les monopoles légaux. L’économie moderne s’est enrichie de monopoles de fait.

Les premiers se rapportent aux inégalités naturelles, aux capacités de tout ordre qui différencient les hommes (force physique, adresse, aptitudes techniques, intelligence, volonté, etc). Ce « privilège devant la vie » influence les vertus productrices et tend à commander la rémunération de l’effort. Pour ce qu’il écrase le défavorisé naturel, les écoles socialistes se sont élevées contre ce monopole. Elles tendent à lui substituer une économie compensatrice dont la formule « De chacun selon ses forces, à chacun selon ses besoins » est l’expression la plus large. Quelques essais fragmentaires n’ont pu démontrer la valeur de ce correctif, non plus que l’infirmer. Il a pour lui nous semble-t-il, la vertu d’introduire l’équité humaine là où la naissance a prodigué un choquant et douloureux déséquilibre. Mais il reste à trouver les modalités heureuses qui assureront la vitalité du principe…

Les monopoles fonciers ont trait à l’appropriation privée du sol (nous les reverrons à ce dernier mot). On sait déjà quels dangers fait courir à la collectivité un tel accaparement. Moins sensible dans les pays où la propriété est fortement divisée, son arbitraire éclate