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cherches d’une érudition patiente, aidées du secours de la chimie, sont parvenus à rétablir des morceaux, même d’une certaine étendue, comme, par exemple, la République de Cicéron, retrouvée en grande partie par M. A. Maï. »

Voici ce que nous dit Michelet, à ce sujet : « S’il est vrai, comme s’efforcent de nous le persuader les écrivains prévenus en faveur du monarchisme, que les rescriptions aient sauvé quelques ouvrages importants, il est bien plus certain que le grattage en a fait périr un nombre qui ne se peut calculer. Plût au Ciel que les Bénédictins n’eussent jamais su ni lire ni écrire ! Mais ils eurent la rage d’écrire et de substituer d’ignobles grimoires aux chefs-d’œuvre sublimes qu’ils ne comprenaient point. Sans eux, la fureur des barbares et des dévots eût été à peu près stérile. La fatale patience des moines fit plus que l’incendie d’Omar, plus que celui des cent bibliothèques d’Espagne et de tous les bûchers de l’Inquisition. Les couvents où l’on visite avec tant de vénération les manuscrits palimpsestes, ce sont ceux où s’accomplirent ces idiotes Saint-Barthélémy des chefs-d’œuvre de l’antiquité. »

Vers le xiiie siècle, fleurissent les ordres mendiants. On ne se cache plus ; la règle consiste à accomplir le vœu de pauvreté et à ne vivre que d’aumônes. Il y avait quatre ordres de moines mendiants : les franciscains, les dominicains, les carmes et les augustins, chacun de ces groupes donnant naissance à d’autres catégories. On comptait : 1° Les frères mineurs ou franciscains ; 2° Le second ordre ou les clarisses, instituées par sainte Claire, en l’année 1212 ; 3° Le tiers-ordre ou les tertiaires, à qui le même fondateur donna une règle en 1221 ; 4° Les capucins, l’un des ordres les plus nombreux de l’Église ; 5° Les minimes, fondés par saint François-de-Paul ; 6° Les frères prêcheurs ou dominicains, établis vers 1216, sous les auspices et la conduite de saint Dominique de Guzman ; les religieux de cet ordre furent appelés Jacobins en France ; 7° Les carmes, venus de la terre sainte, en Occident, pendant le xiiie siècle ; 8° Les ermites de saint Augustin, dont l’Institut fut mis au nombre des ordres mendiants par le pape Pie IV, en 1567 ; 9° Les servites ou ermites de saint Paul, les hiérolymites, les cellites, etc… ; 10° Enfin l’ordre du Sauveur et celui de la pénitence de la Madeleine.

Les ordres et les monastères se multiplièrent. Le nombre des moines s’accroissait avec une rapidité inouïe. On comprend facilement que dans les pays de la chrétienté, tous pauvres, les paysans immensément miséreux, proie inoffensive des seigneurs, victimes des guerres ininterrompues, ne faisaient pas volontairement l’aumône suffisant à satisfaire toute cette racaille d’inutiles, d’oisifs, ayant bonne gueule et le reste. Il y eut des moines pillards, quand les menaces de l’enfer ne produisaient pas l’effet attendu. Potter rapporte que : « lors de l’enquête faite par ordre du Parlement de Paris, et à la demande des syndics et consuls de la ville d’Aurillac (22 avril 1555), plus de 80 témoins déposèrent que les moines et les religieuses des deux couvents de la ville se livraient à tous les excès de la débauche. Chaque moine avait une ou plusieurs maîtresses, filles enlevées ou débauchées à leurs parents, femmes ravies à leurs maris ; 70 bâtards étaient nourris, avec leurs mères et les moines, dans le couvent, des offrandes des fidèles. Les moines s’emparaient des filles et des femmes qu’ils trouvaient à leur convenance, en plein jour, au vu et au su de tout le monde, et les chassaient devant eux à grands coups de poings et de pieds jusqu’à leur repaire. Les plaintes continuelles des bourgeois et surtout les violences que les moines commettaient à leur égard, et les assassinats même dont ils s’étaient rendus coupables, firent séculariser le couvent. Dans la maison abbatiale, on

découvrit un cabinet chargé de peintures obscènes et qui était appelé le lupanar de M. d’Aurillac. »

« Presque toujours, nous dit Lachâtre, le les moines ont mérité la réprobation qui les a frappés, notamment au xvie siècle, quand Rabelais et toute la pléiade des écrivains leur faisaient une si rude guerre d’esprit et de bon sens. Voici le portrait du moine, d’après H. Estienne :

Pour nombrer les vertus d’un moine,
Il faut qu’il soit ord (sale) et gourmand,
Paresseux, paillard, mal-idoine (malpropre),
Fol, lourd, yvrogne et peu sçavant ;
Qu’il se crève à table en buvant
Et en mangeant comme un pourceau.
Pour peu qu’il sache un peu de chant,
C’est assez, il est bon et beau…

D’un autre côté, un abbé, Bois-Robert, décrit ainsi les moines de son abbaye:

Mes moines sont cinq pauvres diables,
Portraits d’animaux raisonnables;
Mais qui n’ont, pas plus de raison
Qu’en pourrait avoir un oison.
Mais ils ont grosse et large panse,
Et par leur ventre je connoy
Qu’ils ont moins de souci que moy.
Sans livre, ils chantent par routine
Un jargon qu’à peine on devine.
On connait moins dans leur canton
Le latin que le bas-breton.
Mais ils boivent, comme il, me semble,
Mieux que tous les cantons ensemble.

Voici comment Sanlesque peint ceux de son époque:

Les moines, dirait-il, ont d’étranges défauts ;
Ceux qui ne sont qu’oisifs sont les bons de Clairvaux.
Dès qu’un Célestin tousse, il lui faut de la viande ;
La jambe du Feuillant sent la pâte d’amende.
Le Capucin voyage un mois pour un sermon ;
Le Fontevrault s’occupe à tripler son menton ;
Le Carme est devenu marchand de scapulaire.
Parmi les Jacobins, point de foi qu’au rosaire ;
La guêtre au Récollet donne un air cavalier;
Le Cordelier, enfin, est toujours cordelier.

Rabelais plaisante ainsi les moines de son temps: « Semblablement ung moine ne laboure, comme le paysan ; ne guarde le pays, comme l’homme de guerre ; ne guarit les malades comme le médecin ; ne presche ny endoctrine le monde, comme le bon docteur evangelicque et pédagoge ; ne porte les commoditez et choses nécessaires à la républicque, comme le marchant. C’est la cause pourquoy de tout sont huez et abhorryz. Il n’y ha rien si vray que le froc et la cagoule tire à soy les opprobes, injures et malédictions du monde, tout ainsi comme le vent dict Cecias attire les nues. La raison péremptoire est parce qu’ils mangent la merde du monde, c’est-à-dire les péchez… Si entendez pourquoi un cinge en une famille est toujours mocqué et harcelé, vous entendez pourquoy les moynes sont de tous refuys et des vieulx et des jeunes. Le cinge ne garde point la maison, comme ung chien ; il ne tire pas l’aroy (charrue), comme le bœuf ; il ne produit ny lait, ny laine, comme la brebis; il ne porte pas le faix, comme le cheval. Ce qu’il faict est tout conchier et de guaster, qui, est la cause pourquoi de tous receoipt mocqueries et bastonnades. »

Toutes les productions de l’époque nous présentent le moine gros, gras, franc licheur et trousseur de servantes. En vain quelques papes voulurent endiguer le flot qui soulevait tant de railleries, de dégoûts, de haines, les moines furent plus forts que les papes.

L’inutilité, la vilenie, l’inconduite, les crimes des moines facilitèrent beaucoup l’éclosion, puis le développement du protestantisme. Soumis dès lors à une sorte d’examen public, obligés de se défendre contre les