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d’abstrait ni de romantique. C’est leur corps, considéré à part des autres corps humains, avec ses réactions et ses réflexes de tout genre, ses désirs, ses appétits, ses attributs de toute nature. Ils ne disent pas que leur « moi corporel » est supérieur aux autres « moi corporels » ; non, mais ils ne veulent pas qu’aucun « moi corporel » puisse forcer un autre « moi » – par violence, contrainte, ruse, menace ou privation quelconque – à faire ce qu’il ne ferait pas ou à ne pas faire ce qu’il ferait s’il n’était obligé au contraire.

C’est cela que veulent dire les individualistes anarchistes lorsqu’ils revendiquent l’autonomie de leur moi ou de leur soi, ils entendent par là un état de choses où la personnalité humaine, différenciée nettement des autres unités, ne soit pas forcée de subir, dans ses relations avec autrui, des charges sociales, une méthode de vie, une façon de se comporter, que, laissée indépendante, elle aurait pu tout aussi bien rejeter. Ils n’admettent pas non plus que ce rejet puisse les priver du moyen de production, s’il les privait de tout autre avantage sociétaire. Contre tout milieu social qui ne leur consent pas au moins cela, les individualistes anarchistes se situent, en général, en état de légitime défense, selon la phrase consacrée. – E. Armand.

(À consulter les mots égoïsme, personne-personnalité, la série des études sur individu-individualisme, etc.).


MOINE n. m. (latin monacus, grec monakhos, de monos, seul). Religieux qui vit dans un couvent ; membre d’une communauté religieuse d’hommes. La vie monastique suppose le renoncement au monde et la pratique de la pénitence. Conséquence logique de la croyance aux vérités révélées, de la religion, à savoir : que l’âme seule a chez l’individu une vie réelle, une existence libre et immortelle, que le corps n’est qu’un phénomène, un accident, par conséquent une chose absolument négligeable. Le corps n’est qu’un moyen pour l’âme de mériter ou de démériter, de gagner l’infini des jouissances ou de sombrer dans les souffrances éternelles : le ciel ou l’enfer. Les tendances du corps sont comme lui-même, nécessairement matérielles, limitées, finies, et celles de l’âme, comme elle-même : spirituelles, illimitées, infinies. Les premières éloignent de Dieu, de sa loi, tandis que les seconds rapprochent de l’Être suprême. Il faut donc soumettre les tendances du corps (passions), aux tendances de l’âme (foi). On devra ainsi, pour faire son salut, éviter les occasions de pécher, sauvegarder le corps de tout ce qui peut éveiller ou exacerber les désirs et les passions, d’où cet éloignement du monde, cette retraite au désert ou dans les couvents. Et quand, malgré tout, le corps se rebelle et que grondent ses appels, il faut diminuer son emprise, l’affaiblir, le punir – d’où la pratique de la pénitence, de la macération, de l’ascétisme – afin de le rendre plus souple, plus docile à la volonté de l’âme… Le grand ennemi des religions, c’est la vie. Toute doctrine religieuse qui enseigne un au-delà de la vie, est une doctrine de mort.

Il est assez difficile d’indiquer à quelle époque les moines firent leur apparition ; toutefois on en trouve trace vers la moitié du troisième siècle de l’ère chrétienne, en Orient ; sous le nom d’ermites ou anachorètes, ils vivaient dans des cabanes solitaires. Il fut donné, en effet, au christianisme de produire cette espèce d’individus qui se faisaient une gloire de la vermine et de la crasse de leur corps, qui exaltaient la mort et maudissaient la vie.

Mais, pour une pareille existence, une foi robuste était indispensable ; nul doute ni sur la réalité de la Révélation, sur celle de l’existence d’un ciel et d’un enfer, ni d’un Dieu, ne devait effleurer l’esprit du moine. L’ignorance y devait pourvoir. Mais vinrent les

siècles de doute ; la règle fut examinée, la vie reconquit en partie ses droits. Seuls les peuples continuèrent à accepter la loi de renoncement aux joies et aux richesses ; leurs conducteurs, reprenant la tradition païenne, s’essayèrent à faire de leur vie une perpétuelle jouissance. Les moines avaient été rassemblés en communautés par Saint-Pacôme qui, en 340, institua les premiers cénobites. Sa sœur, vers la même époque, ouvrait aux femmes les premiers couvents de nonnes.

Au ive siècle, saint Basile, évêque de Césarée, avait composé la fameuse règle qui régit encore aujourd’hui les moines orientaux. Au vie siècle, saint Benoît de Nursie, abbé du Mont Cassin, légiféra pour les moines de l’Occident. Sa règle forma les moines Bénédictins qui donnèrent naissance aux Camaldules, aux Chartreux, aux ordres de Citeaux et de Clairveaux.

Tant que dura la foi, les monastères furent de sévères retraites, de saints lieux de prières, de mortifications et de labeur. Mais les moines ne tardèrent pas à subir l’attrait du grand courant qui entraînait les princes et le pape lui-même vers les fêtes et les plaisirs. Dès lors, très souvent, le couvent est transformé en une vaste maison de débauche. Le travail y est délaissé, la « mortification » consiste à bien manger, boire et paillarder.

Cependant, l’Église a su répandre, dans le monde, une légende peu controversée qui consiste à nous présenter les monastères comme des maisons de science à qui nous devons la transmission de tous les trésors de l’antiquité. On cite les Bénédictins comme des modèles d’application, de patience et de savoir. Or, à de très rares exceptions près, la vérité est toute autre. La patience et l’application des moines copistes a été des plus néfastes. Certes, ils nous ont légué dés manuscrits parfaitement écrits et aux enluminures merveilleuses ; mais on y cherche en vain les œuvres profanes de la Grèce et de la Rome antiques. Mieux, les quelques œuvres qui sont parvenues jusqu’à nous et qui nous ont révélé le degré de civilisation atteint par ces ancêtres, ont subi de tels outrages – résultats de la patience et de l’application des moines altérateurs – qu’on a dû les soumettre à l’analyse chimique et critique, afin de séparer le faux du vrai, magistralement embrouillés pour les intérêts de la cause chrétienne.

Et quand on leur reproche ces faux ignobles que, grâce à la science, ils ne peuvent plus nier, voici comment ils se défendent, par la voix du grand catholique Joseph de Maistre : « De ce vague qui régnait dans les signes cursifs, ainsi que du défaut de morale et de délicatesse sur le respect dû aux écritures, naissait une immense facilité et, par conséquent, une immense tentation de falsifier les écritures ; et cette facilité était portée au comble par le matériel même de l’écriture ; car, si l’on écrivait sur la peau, in membranis, c’était pire encore, tant il était aisé de ratisser et d’effacer ».

C’est principalement au moyen-âge, et spécialement au viie siècle, que les moines, manquant de papier à l’heure où les chicanes religieuses battaient leur plein, et ne pouvant plus compter sur les fabriques d’Égypte détruites par Omar, se ruèrent sur les manuscrits que l’on avait enfermé dans les monastères pendant les invasions des barbares, les grattèrent, les lavèrent et y couchèrent leurs élucubrations. « Le papyrus, dit G. Itasse dans son étude sur les « faux », (C. Delagrave, 1898), même malgré son peu d’épaisseur, n’échappa point à cette exécution. Véritable armée de destructeurs, enrégimentés sous les ordres de docteurs irascibles et vindicatifs, les moines saccagèrent toutes les richesses bibliographiques des temps anciens, et ne laissèrent échapper à l’étreinte de leurs doigts crasseux et repoussants que quelques débris d’une littérature qu’ils ignoraient ou qu’ils considéraient comme néfaste… Un ou deux fragments d’un véritable intérêt littéraire ont été surpris de la sorte sous l’écriture plus récente de quelques ouvrages de piété ou de controverse. Les re-