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besoin, certains des procédés adoptés en tenant compte du but poursuivi et des conditions de la réussite. On donne aussi parfois le nom de techniques à la lecture, à l’écriture et au calcul considérant ainsi que ces connaissances sont des connaissances outils qui permettent d’acquérir d’autres connaissances et sont ainsi des techniques du savoir. Mais l’étude de ces techniques peut être méthodique : il y a, certes, de fausses méthodes de lecture, etc., qui ne sont qu’un amas de procédés appliqués à une matière d’étude morcelée plus ou moins arbitrairement, mais il y a aussi de vraies méthodes reposant sur une idée directrice, ce qui ne veut pas dire qu’elles soient bonnes pour ce ! a, car il y a bien évidemment de bonnes et de mauvaises méthodes. Il y a surtout des individus qui appliquent les procédés d’une méthode d’une manière figée sans tenir compte de l’esprit qui doit les animer et sans essayer de les modifier ou de les adapter aux divers cas particuliers qui se présentent à eux.

Méthodes logiques et méthodes pédagogiques. — L’utilité de distinguer ces méthodes a été ainsi démontrée par Cellerier :

« Une méthode d’enseignement est l’ensemble des voies et moyens, des attitudes, des activités que nous adopterons pour enseigner une notion à un élève. Le but de la méthode sera non seulement de déposer cette notion dans la mémoire de l’enfant, mais de la rendre facilement utilisable. »

Ouvrons ici une parenthèse. Si nous rapprochons ces arguments des explications de Bernard, nous voyons clairement qu’on ne peut prétendre avoir une méthode si on ne se préoccupe pas de choisir ou de réaliser les conditions de temps et de milieu les plus favorables à l’obtention des résultats poursuivis. Or il est indéniable que de nombreux pédagogues encore se préoccupent plus d’enseigner suivant un ordre preconçu que d’adpter leur enseignement au temps, et de taire une place à cet enseignement occasionnel, si intéressant et si profitable pour les enfants.

Il est plus évident encore qu’on ne se soucie guère de réaliser les conditions de milieu les plus favorables. Certes, Mme Montessori et surtout le Dr Decroly et Dewey, pour ne citer que les principaux, ont proclamé l’importance du milieu éducateur et ont fait des efforts méritoires en vue de sa réalisation, mais la plupart des pédagogues bourgeois ont négligé cette partie du problème de la méthode. S’il fallait réaliser un bon milieu éducateur pour tous les enfants des prolétaires, cela coûterait cher : il faudrait démolir les écoles-taudis, multiplier les établissement d’instruction – pour éviter les classes trop nombreuses, les doter de vastes cours pour les jeux, de petits jardins, de petits élevages, etc. Et alors, placé dans un tel milieu, le petit prolétaire sentirait plus âprement les tares du milieu familial – qui est aussi un milieu éducateur mais souvent à rebours, parce que l’air y est confiné dans des taudis et parce que les parents ne peuvent pas toujours donner la nourriture, les soins, etc., utiles au développement physique, intellectuel et moral de leurs enfants.

Signalons aussi dans cette parenthèse, que Cellerier se préoccupe seulement du problème de meublage laissant de côté le problème de formation de l’esprit, du caractère, etc.

« Mais le terme de méthode s’emploie aussi en logique. Il signifie, alors, la marche rationnelle que suit l’esprit dans ses recherches, soit pour atteindre, soit pour démontrer la vérité. Or dans l’enseignement, nous sommes souvent appelés à exposer à l’élève un raisonnement. Et le raisonnement suit une de ces méthodes de la logique. Le raisonnement à exposer sera analytique s’il consiste à disséquer les parties d’un tout, comme c’est le cas dans l’étude de la phrase

grammaticale ; il sera synthétique lorsque nous partirons de quelques éléments simples pour construire un vaste édifice tel que celui de la géométrie ou de l’astronomie. Il sera inductif dans les sciences qui se fondent sur l’observation des faits pour en tirer des lois ; déductif dans les sciences synthétiques, etc… Tout cela ce sont des méthodes logiques, c’est-à-dire des modes, des qualités de la manière enseignée à l’élève, mais non les qualités de notre enseignement. C’est, pour ainsi dire, l’itinéraire suivi par l’esprit dans une recherche, non l’attitude adoptée par le maître pour exposer cet itinéraire à l’élève. »

Or les attitudes de notre esprit peuvent varier d’instant en instant. « Pour démontrer que la somme des angles d’un triangle est égale à deux angles droits, nous passons quatre ou cinq fois de l’analyse, qui scrute les rapports entre tel côté, tel et tel angle, à la synthèse qui en tire telle ou telle déduction, et vice-versa. » L’analyse et la synthèse sont corrélatives, l’analyse conduit à la synthèse puis la synthèse perfectionne l’analyse, il n’y a pas opposition entre elles. Dans ce va-et-vient de l’analyse à la synthèse, il y a changement dans l’objet enseigné, changement de méthode logique, mais le mode de l’enseignement, la méthode d’enseignement ne varient pas.

Il faudrait donc distinguer : « Ces deux ordres de choses si différents : la matière enseignée et les méthodes qu’elle peut enfermer, d’une part, et l’acte d’enseigner, avec les formes qu’il peut revêtir, de l’autre. Les méthodes logiques (modes de raisonnement) dépendent de la nature de l’objet enseigné. Les méthodes pédagogiques (attitudes adoptées dans l’enseignement) se règlent au contraire en grande partie sur la nature de l’enfant, son développement, etc. »

Unité de la méthode pédagogique. — Il faut que l’instituteur, s’élevant au-dessus des procédés et des techniques, ait une méthode d’enseignement de la lecture, une méthode d’enseignement du calcul, une méthode d’enseignement du dessin, etc., mais ces méthodes ne doivent être que des cas particuliers d’une méthode pédagogique plus générale qu’il faut appliquer en tenant compte des individualités enfantines et en l’adaptant aux diverses matières d’enseignement, aux divers sujets d’étude.

Si l’on a bien compris notre distinction des méthodes logiques et des méthodes pédagogiques, on doit admettre que les divers enseignements que nous donnons à un même enfant doivent s’inspirer d’une même méthode. Non pas seulement même méthode d’enseignement, mais encore même méthode pour l’enseignement et l’éducation. Comme nous allons le voir tout à l’heure, il existe, en effet, une liaison étroite entre l’éducation et l’enseignement : la méthode des logiciens ne peut être qu’une méthode d’autorité car le pédagogue qui ne peut ou ne veut pas avoir un enseignement vraiment intéressant doit imposer l’étude, s’il veut que ses élèves retirent quelque profit de cet enseignement.

Le progrès pédagogique s’accomplit, certes, partiellement à la suite de réformes dans les détails ; mais il procède plutôt par bonds, par révolutions. Vouloir passer progressivement d’une méthode pédagogique à une autre méthode, c’est agir comme le ferait un piéton qui, désireux d’apprendre à pédaler, déciderait d’adopter une solution réformiste et de passer progressivement de la marche à la pratique de la bicyclette. Une méthode est un tout, une construction et non un tas de moellons, il faut adopter le tout ou choisir une autre méthode ; il faut éviter d’avoir plusieurs méthodes pédagogiques.

Vers la méthode idéale d’enseignement. — Disons d’abord pourquoi nous devons avoir une méthode idéale d’enseignement. Certes, il nous est assez difficile