Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/121

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
MAT
1465

différentes ; inversement des excitants différents déterminent sur la même terminaison la même sensation. On en conclut donc que si l’unique est perçu diversement et le divers perçu uniformément, nous ne sommes point renseignés exactement sur la réalité objective.

On ne fait pas attention, dans cette expérience fondamentale, que l’on se contente uniquement d’opposer les sens entre eux et qu’on accorde soudainement la réalité objective à l’un d’entre eux, pour servir de juge et d’étalon, très arbitrairement au détriment des autres. De quel droit affirmer que l’excitant créant des sensations diverses ne contient qu’une seule excitation ? De quel droit également affirmer que les différents excitants créant une même excitation ne contiennent pas tous le même excitant, sinon en admettant comme démontré que l’on connaît réellement la nature extra-sensuelle des excitants ? Ce qui est la négation même de toute l’argumentation. Admettons au contraire que les excitants ne sont que des synthèses et que chacun de nos sens s’est spécialisé pour en percevoir analytiquement les éléments, et les contradictions disparaissent.

Le sceptique, enfermé dans sa subjectivité, ne peut s’expliquer la multiplicité des faits objectifs s’imposant à sa volonté et qu’il ne peut aucunement extraire de son moi. D’autre part le spectacle contradictoire de ses efforts désespérés pour convaincre des êtres qui n’existent point, ou définir des faits qu’il affirme inconnaissables détruit toute valeur documentaire à ces fantaisies verbales.

La théorie de Binet n’explique d’ailleurs pas la conscience elle-même, ni le procédé extraordinaire par lequel la matière inconnue peut soudainement se faire connaître à une conscience simple et bornée, laquelle utilisant ces faux renseignements, devrait mener, me semble-t-il, à sa plus rapide disparition le corps qui la loge si témérairement.

L’observation directe ne nous permettra peut être jamais de voir si les éléments nerveux excités ont véritablement quelque chose de l’excitant ; si la couleur, la forme ou le son courent le long des nerfs centripètes mais le fait qu’entre notre représentation des choses et leur existence réelle notre vie se réalise normalement prouve tout au moins que les relations sont justes. Si ces relations sont justes, il faut donc admettre qu’à chaque variation objective correspond une variation subjective et que notre cerveau conserve des équivalents quelconques de ces variations. La difficulté consiste alors à passer de cette variation et de ce mouvement cérébral matériel à l’état conscient soi-disant immatériel mais précisément nous avons vu que la conscience se développe en proportion de ces variations ou sensations. La conscience ne serait donc que le rapport des sensations entre elles, rapport synthétique englobant des sommations de sensations liées à l’état affectif de l’organisme.

Comme la matière vivante se différencie de la matière non-vivante par sa faculté de persistance dans les diverses réactions physico-chimiques où les autres substances se détruisent, les perceptions se conservent également et par leurs rapports mutuels engendrent la pensée qui n’est pas plus immatérielle que la lumière ou la pesanteur.

Il n’y a donc pas plus de différence entre une pensée et un mouvement qu’il y en a entre un mouvement et une couleur. Celle-ci est une synthèse d’ondulations ; celle-là une autre synthèse d’oscillations. Le passage du discontinu objectif au continu subjectif s’explique alors par le seul fait que la connaissance ne pouvant jaillir que d’une sommation de sensations, cette sommation ne peut. être discontinue sous peine de disparaître ; tout comme disparaît la forme d’un triangle dont on sépare les côtés. Ainsi la question de savoir-si l’image subjective est identique à l’image objective et si notre cerveau contient véritablement des paysages en miniature n’a

plus aucun sens, car notre image subjective, formée probablement d’innombrables éléments épars dans notre cerveau ne peut révéler à l’anatomiste la plus petite figure d’arbre ou de fleurs. L’anatomiste et le psychologue se placent à un point de vue analytique, tandis que notre conscience est le résultat d’une action synthétique de nos éléments nerveux pas plus visibles au microscope que la chaleur elle-même dont on ne peut nier les effets synthétiques.

Notre connaissance est donc un effet du monde objectif et cet effet ne peut se différencier considérablement de sa cause. Or, dans sa thèse psychologique, Binet affirme que si toutes nos sensations sont vraies, cela revient exactement au même pour la compréhension du, monde objectif que si toutes étaient fausses car étant toutes irréductibles les unes aux autres aucune ne peut expliquer les autres et par cela même la constitution de la matière. C’est expédier un peu vite une question de première importance. Le but de la méthode objective, c’est précisément de ramener par l’analyse toutes les choses perceptibles à des éléments communs. Mais Binet lui-même pouvait remarquer que toutes les sensations sont susceptibles de variations, d’augmentation ou diminution d’intensité, de modifications diverses éveillant des idées de rapports, d’évaluations quantitatives. Si dans les diverses analyses objectives nous ne trouvons pas toujours des odeurs, des sons, ou des saveurs mais que, par contre nous rencontrons invariablement du mouvement, je ne vois pas pourquoi nous choisirions l’odorat comme explication universelle des choses. Il est donc infiniment plus logique de faire du mouvement la base unificatrice de toutes nos sensations et des réalités objectives puisqu’il est inévitablement présent à toutes nos sensations que de ne prendre qu’un seul de ses aspects sous forme de son et de saveur.

Nous voici donc arrivé au terme de notre étude avec la certitude que notre connaissance est essentiellement sensuelle, que les sensations elles-mêmes sont des effets du monde objectif et que la différence entre l’objectif et le subjectif est de nature identique à celle existant entre toute cause et son effet. Ce qui revient à dire qu’il ne saurait y avoir plus de différence entre notre connaissance de la matière et la matière elle-même, qu’entre deux états consécutifs de cette matière.

Que pouvons-nous tirer de cette connaissance positive concernant les divers problèmes examinés par les philosophes antérieurs. Tout d’abord, selon que ces problèmes se rapportent à la connaissance immédiate du monde sensible, susceptible d’expériences et de démonstrations, ou qu’ils envisagent la connaissance du monde extra-sensible au delà de notre espace et de notre temps, nous pouvons les résoudre plus ou moins affirmativement.

Le premier mode de connaissance est actuellement représenté par la méthode scientifique construisant patiemment une explication mécaniste de l’univers. Que celui-ci soit constitué par les trois sortes d’atomes fluides de Clémence Royer comprenant l’atome éthéré en nombre infini et les atomes vitalifères et matériels en nombres finis ; que ce soit la conception radioactive de Gustave Lebon nous représentant le monde comme une sorte de matérialisation et de dématérialisation successives et incessantes de la substance s’évanouissant par dissociations de ses innombrables éléments ; que ce soit la thèse électro-magnétique qui nous explique ce même mode par un fourmillement d’électrons, de ions, de quantos tourbillonnant vertigineusement en des systèmes inimaginablement réduits, il est évident que ces divers systèmes s’accordent au fond sur la substance et sur le mouvement perçu à notre échelle sensuelle et qu’ils ne divergent mutuellement que dans leurs explications imaginatives extra-sensuelles.

La biologie, la physiologie, la psychologie même s’ins-