Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 2.djvu/670

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LIB
1276

cisme. La Philosophie de Comte eut surtout pour disciples Littré, Wyroubov, etc. L’organe de Littré et de Wyroubov Revue de Philosophie positive, parut de 1867 à 1883.

A partir de 1848, le rationalisme a pris une extension remarquable. On peut dire que la philosophie de Littré, etc. s’est imposée. A part quelques esprits conservateurs, tous les savants, tous les écrivains remarquables ont abandonné les vieilles fables religieuses. Proudhon, le propagateur de l’anarchie, ne mâchait pas ses mots. Ses œuvres contiennent des attaques furibondes contre le christianisme. Tous ses partisans étaient des libres-penseurs ardents. Il fut suivi par Bakounine, Kropotkine, les Reclus, J. Grave, Malato, Séb. Faure qui dénonça, à travers le pays, en paroles ardentes, les « Crimes de Dieu », en un mot par tous les libertaires. Il y eut une autre école aussi négative que la philosophie de Proudhon, c’est celle du baron Colins, auteur d’énormes volumes indigestes, dont une vingtaine ont été publiés par ses disciples Hugontobler, A de Potter, Poulain, Frédéric Bordes, etc., et par leur organe La Philosophie de l’Avenir. Cet « avenir » n’a pas admis les théories de Colins, le fondateur du « socialisme rationnel ». Colins avait dit : « L’idée d’un dieu est aussi raisonnable que celle d’un bâton avec un seul bout. »

Blanqui, le fameux révolutionnaire qui passa une grande partie de sa vie en prison, est l’auteur de la devise : « Ni Dieu, ni Maître », qui fut le titre d’un journal de ses partisans. Tous les blanquistes, ces jacobins modernes étaient aussi d’ardents libres-penseurs.

La Commune de Paris en 1871 était dirigée par des Jacobins comme Félix Pyat, Vermorel, Delescluse, etc. qui tous auraient bien voulu anéantir la puissance de l’Église tout en installant une nouvelle forme d’État fédéraliste. La minorité plus socialiste que les chefs n’était pas moins opposée à la religion, toutefois on ne peut attribuer aux idées antireligieuses la mort de l’archevêque de Paris, du Président Bonjean, des fusillés de la rue Haxo. Ces fusillades étaient le résultat de haines politiques qui n’avaient rien à voir avec le mouvement rationaliste. Les massacres par les Versaillais, les torrents de sang versé par les valets de Thiers, de Galiffet, etc. n’arrêtèrent pas le progrès de la libre-pensée. Au contraire, les réfugiés qui avaient échappé aux hécatombes portèrent à l’étranger avec les idées d’affranchissement des peuples, l’idée de liberté de la pensée. Le rationalisme étouffé en France quelque temps reprit de plus belle. Malheureusement les chers socialistes, par esprit politique, pour ne pas offusquer les électeurs non encore débarrassés des vieilles superstitions, ont proclamé le principe que la religion était une affaire individuelle. Ils ont fermé les yeux sur les progrès énormes que fait le cléricalisme ; les écoles laïques créées avec tant de peine dans le dernier quart du xixe siècle sont ébranlées par l’influence des femmes. Les maîtresses laïques sont mises à l’index dans certaines provinces, les écoles n’ont presque pas d’élèves, car les parents menacés par les partisans de l’Église craignent de perdre leur situation, leur gagne-pain. Les socialistes, aveugles volontaires, ne veulent pas voir qu’en abandonnant la libre-pensée, ils ouvrent la voie à la réaction la plus noire, ce qu’on voit en Italie, en Espagne et dans les départements où la libre-pensée n’a pas d’influence. Gare à la civilisation si le cléricalisme ou même le socialisme officiel viennent à être victorieux !

Pourtant les recherches scientifiques à la Sorbonne et dans d’autres laboratoires font progresser la science et démontrent l’absurdité des théories théistes. Si quelques savants comme Pasteur, Lapparent, Branly,

sont restés chrétiens, c’est que, absorbés par leurs recherches, ils n’ont jamais tenté d’aller plus loin, et de plus, les Branly et les Lapparent, professeurs dans les universités catholiques, auraient pu perdre leurs places s’ils avaient dit qu’ils étaient libres-penseurs : ils ont trahi leurs idées libres-penseuses par politique.

Malheureusement nous avons vu de notre temps des palinodies honteuses : les Briand, les Millerand, etc. Après avoir prêché la grève générale ils ont fait arrêter ceux qui avaient mis en pratique leurs méthodes. Millerand fut le premier à envoyer une ambassade au Vatican. Nous voyons le résultat de ces honteuses manœuvres, le cléricalisme sera le maître de la situation. Déjà les Jésuites, les frères ignorantins, ont de longues processions d’élèves qu’ils abrutissent et dont ils feront les soutiens de l’État bourgeois et obscurantiste.

Au xxe siècle la situation a empiré. Les ouvriers occupés de leur gagne-pain, ne pensent plus à leur cerveau, ils élisent des députés, des sénateurs et ne voient pas les nuages noirs qui vont fondre sur la pensée humaine.

En France, il n’y a presque plus de sections organisées de la Libre-Pensée. La presse se réduit à un ou deux petits journaux, comme le Libre-Penseur de France. Une Union fédérale des Libres-Penseurs révolutionnaires de France existe, parait-il, mais son programme est strictement marxiste, donc assez éloigné de la lutte antireligieuse. La Fédération nationale des Libres-Penseurs de France (dont Lorulot est le propagandiste officiel) est influencée par les tendances libertaires de l’Idée Libre, organe qui consacre à la propagande rationaliste un effort suivi et des pages intéressantes.

En Suisse, il y a une Fédération romande de la Libre-Pensée, dont l’organe est la Libre-Pensée internationale. Cette Fédération a quelques sections, mais elle ne fait guère de recrues. Les jeunes gens ne pensent plus qu’aux sports et ne lisent rien. Le journal anarchiste Le Réveil de Genève, et sa partie italienne Il Risveglio, sont de bons défenseurs de la libre-pensée.

Dans la Suisse allemande ou alémanique, il y a une fédération assez active et un journal Der Freidenker, publié à Bale, et fort bien rédigé. Les libres-penseurs des deux langues assistent aux congrès internationaux. En Allemagne le mouvement montre une énergie très heureuse, mais entachée d’idées marxistes en politique.

Les libres-penseurs organisés comptent au moins un million d’adhérents. Ils publient de nombreux journaux et d’intéressantes et savantes revues, comme Les Cahiers mensuels monistes, organe officiel de la Ligue moniste allemande, qui a des sections dans presque toutes les villes, lesquelles donnent un grand nombre de conférences scientifiques. Mais l’Association la plus nombreuse, c’est l’Union pour la Libre-Pensée et la crémation qui, en 1928, comptait 550.261 membres payants. Cette Union a publié, en 1928, une grosse brochure de 100 pages, in-8o, sur son activité, plaquette intitulée : Notre travail, Nos critiques, illustrée de nombreuses photographies, l’Hôtel de la direction des automobiles pour la distribution des journaux, les salles de réception, de fiches, de dépôt de livres, de séances, de la bibliothèque, de composition typographique, etc. La fortune accumulée est de près de 2 millions de marks or. Avec de telles ressources on peut publier force journaux, revues, livres ; on peut venir au secours des libres-penseurs malheureux, bâtir des crématoires, faire donner des conférences un peu partout. Il n’y a pas, en Europe, d’installations pareilles à celle des libres-penseurs à Berlin. Il y a à côté de l’Union des libres-penseurs prolétariens et autres, d’autres organisations, comme celles qui publient la revue scientifique Urania