Face au « sire » famélique, que l’évocation de ces festins faciles fait frémir d’espoir aux entrailles, et qui,
Déjà se forge une félicité
Qui le fait pleurer de tendresse,
mais que ce « rien » ― « peu de chose » ― le collier ! soudain fait fuir… « il court encor ! » Peut-on mieux, sans qu’un mot la désigne, mettre au plus haut la liberté ?
Là, c’est encore le loup, cette fois prêt à fondre ― l’agneau est sans défense ! ― et « justifiant », par captieux arguments, sa cruauté. Ironie atroce des inégalités vitales, le faible a tort d’avance : le fort tient la raison suprême.
Par ici se traîne vers nous « Un pauvre bûcheron tout couvert de ramée, gémissant et courbé…, n’en pouvant plus d’efforts et de douleur », un pauvre homme accablé de tous les maux du peuple… Il appelle la mort, et sa délivrance. Elle vient :
C’est, dit-il, afin de m’aider
À recharger ce bois
Puissance de la vie !
Plutôt souffrir que mourir,
C’est la devise des hommes…
Là-bas, « serrant la queue et portant bas l’oreille », c’est le renard, maître ès-tromperie, qu’a joué, à revanche, la cigogne, et qui s’en va
Honteux comme un renard qu’une poule aurait pris.
À l’écart, ce labyrinthe : la chicane, d’où sort le dépouillé :
On fait tant à la fin que l’huître est pour le juge,
Les écailles pour les plaideurs.
Maintenant, sans prologue ni morale, un sobre drame. Entendez, le chêne s’apitoie, soie et velours, sur le roseau :
Vous avez bien sujet d’accuser la nature :
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau…
puis se redresse, altier, solennellement suffisant :
Cependant que mon front au Caucase pareil,
Non content d’arrêter les rayons du soleil,
Brave l’effort de la tempête…
pour condescendre enfin, protecteur :
Encor, si vous naissiez à l’abri du feuillage…
Alors le roseau, sachant la majesté fragile :
Les vents me sont moins qu’à vous redoutables…
Vous avez jusqu’ici… mais attendons la fin
Elle est proche :
Du bout de l’horizon accourt avec furie,
Le plus terrible des enfants
Que le Nord eût porté jusque-là dans ses flancs…
et s’abîme
Celui de qui la tête au ciel était voisine
Et dont les pieds touchaient à l’empire des morts.
Le limpide et vivant poème ! Dites-moi, en est-il beaucoup de plus beaux, et d’un plus juste caractère, que cette simple fable, aux vers ruisselants d’harmonie ? N’est-ce pas là, ô chantre de Jocelyn, une musique sœur de la tienne ?…
Apparaissent : le Lion, de sa puissance infatué, superbement péjoratif : « Va-t’en, chétif insecte… », entouré de sa cour. Et le renard, capitaine cynique, enragé flatteur, si expert en feintes fertiles. Puis, quatre animaux divers : le Chat, « grippe-fromage » :
Marqueté, longue queue, une humble contenance,
Un modeste regard, et pourtant l’œil luisant
et qui a, dit le souriceau :
En figure aux nôtres pareilles ;
« triste oiseau le Hibou ; Ronge-Maille le Rat ; dame Belette au long corsage : toutes gens d’esprit scélérat ». Puis c’est « la Bique allant remplir sa traînante mamelle » et le Cochet avec
Sur la tête un morceau de chair,
Une sorte de bras dont il s’élève en l’air…
La queue en panache étalée,
« les Filles du limon » devant « le Roi des astres » ; le Lièvre, poltron foudre-de-guerre ; la Tortue au train de sénateur ; « peuple Vautour au bec retors, à la tranchante serre » s’attaquant aux Pigeons « autre nation, au col changeant, au cœur tendre et fidèle »… ces pigeons dont l’amour nous vaudra ce délicat conseil :
Amants, heureux amants, voulez-vous voyager ?
Que ce soit aux rives prochaines.
Soyez-vous l’un à l’autre un monde toujours beau,
Toujours divers, toujours nouveau…
Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste…
Près du Vieillard qui dit la parabole des dards, enseignant que « toute puissance est faible à moins que d’être unie », voici l’Avare qu’un trésor vain possède, l’imprudent Villageois, le Chartier embourbé… Et passe une beauté, si jeune, veuve en larmes qui, elle aussi veut partir, d’abord pour l’autre monde, ensuite pour le cloître… Suivez le fil de son chagrin, si pareil à ceux d’aujourd’hui :
L’autre mois on l’emploie à changer tous les jours
Quelque chose à l’habit, au linge, à la coiffure :
Le deuil enfin sert de parure,
En attendant d’autres atours ;
Toute la bande des Amours
Revient au colombier ; les jeux, les ris, la danse,
Ont aussi leur tour à la fin ;
On se plonge soir et matin
Dans la fontaine de Jouvence.
Enfin la belle, à son père, voyant que plus il ne propose un autre époux :
Que vous m’aviez promis, dit-elle.
Tant est, annonçait La Fontaine, malicieux philosophe, que :
On fait beaucoup de bruit, et puis on se console :
Sur les ailes du Temps, la tristesse s’envole,
Le Temps ramène les plaisirs.
Mais, sur ce fond noir, en assemblée, ces animaux prostrés, que la terreur rapproche ?
On n’en voyait point d’occupés
Ce sont les Animaux malades de la Peste. Pour conjurer le mal, il faut, suggère le lion, que le plus coupable périsse… Et chacun se confesse. Le lion dénonce, avec ostentation, ses « appétits gloutons » :
Même il m’est arrivé quelquefois de manger
Le berger.
mais le renard, renchérissant, le trouve « trop bon prince » :
Manger moutons, canaille, sotte espèce
…Vous leur fîtes, Seigneur,
En les croquant beaucoup d’honneur…
et sa harangue outrée éclipse ses rapines.
Le tigre, l’ours, jusqu’aux simples matin,
En leurs moins pardonnables offenses
sont « aux dires de chacun » trouvés « de petits saints ». L’âne vient à son tour, et dit sa faute énorme :
J’ai tondu de ce pré la largeur de ma langue.
Haro sur le baudet ! « ce pelé, ce galeux »… La mort