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précieuses dont on pourrait favoriser le développement. Or, tous les enfants ne se développent pas de la même façon ; ils ne peuvent pas progresser tous de la même allure.

« …il est admissible que, dans certaines leçons, tous les écoliers fassent la même chose. Mais, à côté de ce domaine où l’instruction peut être obligatoire et uniforme, n’y en a-t-il pas un autre où la diversité et la liberté doivent être admises ?…

« Il existe beaucoup d’écoles où les jeunes gens peuvent se spécialiser. Mais nous n’avons pas encore celle où l’enfant pourra s’épanouir. »



Certes, la plupart des écoles méritent encore les reproches que Roorda adresse à l’École. On en comprendra la raison lorsque l’on saura que l’École est née de l’Université et non l’Université de l’École. Par routine, l’École est restée mieux adaptée à la préparation à des études plus complètes qu’à la préparation à la vie.

De plus en plus cependant, l’idée se répand que l’École est faite pour les écoliers, si divers en leurs aptitudes et en leurs intérêts, et que tous les écoliers doivent profiter de l’enseignement d’une école. Sans doute parmi les défenseurs d’une meilleure et plus juste adaptation des écoles aux écoliers, il en est un certain nombre qui se placent uniquement ou presque uniquement au point de vue social : pour qui les écoles spéciales pour arriérés ont pour but de déterminer les charges sociales, les écoles pour surnormaux de tirer le maximum de profit des élites, l’école unique — pas encore réalisée en France — de recruter toutes les élites. Mais que le but soit ou ne soit pas le progrès social, il n’en est pas moins vrai que les moyens envisagés se résument à peu près tous en une meilleure adaptation de l’enseignement aux individualités enfantines. Le progrès individuel et, partant, l’individualisation de l’enseignement sont les moyens du progrès social.

Le besoin de différencier l’enseignement par la création d’écoles différentes s’est surtout fait sentir à propos des enfants trop différents des autres pour pouvoir profiter de l’enseignement collectif. La première école pour sourds-muets fut créée à Paris en 1760 ; en 1784, à Paris également, on créait la première école pour aveugles ; cependant, l’écriture Braille, la plus usitée aujourd’hui pour les aveugles, ne fut inventée que vers 1829. L’enseignement pour les enfants infirmes et estropiés est encore aujourd’hui trop négligé, sauf peut-être au Danemark et aux États-Unis. À New-York, en 1921, près de 2.000 enfants estropiés étaient transportés journellement à des écoles spéciales par deux autobus municipaux et plusieurs véhicules loués ; plus de 500 étaient hospitalisés et 172, non transportables, instruits à domicile par 12 instituteurs volontaires.

Cependant, l’intérêt des enfants n’est pas toujours seul en cause, celui des instituteurs a également influé sur la différenciation des écoles. On comprend que les enfants arriérés, anormaux, vicieux, aient été une gêne pour leurs maîtres. On devine que les élèves particulièrement bien doués n’aient pas été dans le même cas et que les maîtres soient heureux de conserver de tels élèves dans leurs classes. Aussi, alors que la première école spéciale pour arriérés était créée en Allemagne dès 1867, ce n’est qu’en 1905 que des écoles pour surnormaux furent créés aux États-Unis. Aujourd’hui encore, l’École unique n’est désirée par la plupart des instituteurs qu’à la condition qu’ils n’y perdront pas leurs bons élèves.

Pour que chaque enfant profite au maximum du temps passé par lui à l’école et du travail qu’il y fait, il faut que l’école tienne compte de la diversité des

aptitudes et des intérêts. Parmi les solutions qui ont été proposées pour satisfaire à cette condition, l’une consiste à différencier les écoles et les groupes d’une même école, chaque groupe homogène pouvant ainsi recevoir un enseignement collectif profitable ; l’autre à différencier les travaux dans la même école, à individualiser l’enseignement et à assurer le contrôle, soit directement par le maître, soit indirectement. Il est, enfin, des écoles qui s’efforcent de combiner les deux solutions précédentes. Nous remettons à plus tard un exposé des méthodes employées pour la sélection des groupes ou pour l’enseignement individualisé. La première de ces solutions est employée dans quelques grandes villes, la seconde convient aux petites écoles.

Un modèle de différenciation du premier genre nous est offert à Jackson (États-Unis) où, en 1921, on comptait :

1o Des ungraded schools pour enfants déficients ;

2o Des lower auxiliary schools pour jeunes arriérés ;

3o Des upper auxiliary schools pour arriérés plus âgés ;

4o Des opportunity schools pour les arriérés qui vont quitter l’école ;

5o Des speed schools, écoles rapides pour mieux doués ;

6o Des open air schools pour prétuberculeux et anémiés ;

7o Des schools for deaf pour sourds ou durs d’ouïe ;

8o Des schools for the blind or sight saving school pour aveugles ou vues faibles ;

9o Des maîtres-répétiteurs (spécial help) pour des enfants normaux mais retardés en quelque matière.

Parmi les autres types d’écoles spéciales, dont nous n’avons pas encore parlé, nous devons citer celles pour enfants vicieux, vagabonds, délinquants, qui se sont surtout développés en Angleterre et aux États-Unis.

Ajoutons encore les écoles destinées aux tout-petits et, parmi elles, les jardins d’enfants de Froebel, créés en Allemagne dès 1837, les écoles maternelles françaises organisées tout d’abord par Mme Pape Carpentier et la maison des enfants (Case deï Bambini), de Mme Montessori, apparue en Italie, en 1907.

Ainsi, peu à peu, en se différenciant, l’École tient de plus en plus compte des aptitudes diverses des enfants. En est-il de même en ce qui concerne les intérêts enfantins ? Certainement oui, mais si cet autre progrès peut être constaté dans les divers types d’écoles dont nous venons de parler, elle est surtout évidente dans ce qu’on a appelé les Écoles nouvelles et les Écoles du travail (Arbeitsschule). Claparède fait naître les premières en Angleterre en 1889 et sur le Continent en 1898, et les secondes aux États-Unis en 1896 et en Allemagne en 1907, mais il est certain que l’origine des méthodes mises en application dans ces écoles est bien plus lointaine. Écoles nouvelles et Écoles du travail sont aujourd’hui désignées le plus souvent sous le nom d’Écoles actives.

En résumé, l’École a progressé, soit qu’elle s’efforce de tenir mieux compte du développement mental (Écoles pour arriérés, sur mesure, de plein air, pour surnormaux) soit qu’elle veuille s’adapter aux intérêts et, en particulier, au besoin d’activité des enfants (École active). Enfin, le souci de sélectionner l’élite, celui de mettre de l’ordre dans l’organisation scolaire et une poussée démocratique visent aujourd’hui le problème de l’École unique. Bien que ces formes du progrès soient inséparables en réalité, que, par exemple l’École active se préoccupe également de la diversité des aptitudes, nous adopterons cet ordre et cette division pour la suite de cette étude que nous termi-