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à des fins dépourvues d’idéalisme. Les commerçants surtout en comprirent toute l’utilité pour le développement de leurs affaires. Des bourgeois désœuvrés l’apprirent par snobisme. Les institutions catholiques se gardèrent de négliger cet outil qui pouvait si bien servir leur propagande. Les policiers, enfin, se hâtèrent d’en tirer parti. Hélas, les chauvins eux-mêmes n’eurent pas de scrupules à l’employer pour leurs desseins pendant la guerre.

Plus lentement, mais de façon certaine, la nouvelle langue pénétra dans les milieux ouvriers et révolutionnaires. Les anarchistes et syndicalistes anarchistes qui formaient l’élément le plus nombreux dans les milieux espérantistes prolétariens d’avant-guerre se groupaient dans l’association internationale Paco-Libereco, « Paix-Liberté », qui éditait une revue courageuse Internacia Socia Revuo. Plusieurs traductions d’ouvrages anarchistes datent de 1907 et de 1908 et ont été édités par les soins de cette association.

Plus tard se constitua une autre organisation internationale réunissant les révolutionnaires de toutes tendances Liberiga Stelo, « L’Étoile Libératrice », tous les espérantistes d’avant-garde apportèrent leurs efforts à la nouvelle association.

Un grand mouvement se dessinait dans les milieux prolétariens pour se séparer totalement des espérantistes bourgeois.

En 1914, le 10e Congrès de U. E. A. devait s’ouvrir à Paris. Les révolutionnaires avaient projeté de profiter de la présence des délégués pour organiser un premier Congrès Ouvrier.

Le Travailleur Espérantiste, organe de l’Union Espérantiste Ouvrière Française offrit ses colonnes aux organisateurs de ce Congrès. Hélas, la guerre vint et tout espoir dut être abandonné provisoirement.

Après la guerre Le Travailleur Espérantiste fit paraître un supplément en Esperanto Esperantista Laboristo qui devint l’organe officieux de Liberiga Stelo.

Puis vint le Congrès de Prague (1921). Le premier Congrès ouvrier préparé depuis 1914 put enfin avoir lieu à l’issue de celui de U. E. A. Là se consacra la scission. Liberiga Stelo devint Sennacieca Asocio Tutmonda (S. A. T.) Association Mondiale A-nationale. Esperantista Laboristo prit le nom de Sennacieca Revuo et devint l’organe officiel de la nouvelle association.

Cette association comprend actuellement 3.500 membres et fonctionne parfaitement, faisant paraître un hebdomadaire Sennaciulo tirant à 6.000 exemplaires et une revue mensuelle Sennacieca Revuo ayant plus de 3.000 abonnés.

Les anarchistes espérantistes, sentant à leur tour le besoin de faire entendre leur voix, d’exprimer librement leur pensée toute entière sur toutes choses, ont compris la nécessité de s’ouvrir un champ d’action qui leur serait propre et où aucune censure ne viendrait châtrer leur pensée, amoindrir la force de leur argumentation, ils ont rêvé d’un organe où ils pourraient ouvrir des débats d’idées sur les questions sociales, philosophiques ou autres du point de vue vraiment anarchiste et ainsi fut fondée en 1924 la Tutmonda Ligo de Esperantistoj Senstatanoj (T. L. E. S.), Ligue Mondiale des Antiétatistes Espérantistes, qui vient à son tour d’éditer son organe Libera Laboristo.

En dehors des organisations purement esperantistes, la langue internationale est utilisée par un nombre considérable de personnes et de groupements.

Des organisations bourgeoises telles que : Chambres de commerce, Comités des Foires internationales, Offices de Tourisme, etc… l’emploient avec d’heureux résultats. Le Bureau International du Travail l’emploie pour sa correspondance au même titre que les autres langues.

L’Esperanto est enseigné dans bon nombre d’écoles primaires et secondaires dans beaucoup de pays. Il est inutile de s’étendre sur les progrès qu’il a faits dans la T. S. F. et les services qu’il rend dans cette voie.

Mais c’est surtout dans les organisations ouvrières qu’il montre son utilité et devient chaque jour un auxiliaire plus précieux.

L’Internationale de l’Enseignement assure toute sa documentation sur le mouvement pédagogique mondial presqu’exclusivement au moyen de l’Esperanto. L’Esperanto est même si répandu chez les postiers qu’ils ont pu former une ligue Internacia Ligo de Esperantistaj Post-Telegrafistoj (I. L. E. P. T. O.), Ligue Internationale des Postiers-Télégraphistes Esperantistes, qui fait paraître une revue mensuelle très intéressante, La Interligilo de l’P. T. T. La Fédération Internationale des Transports l’utilise également pour ses rapports internationaux.

L’Association Internationale des Travailleurs publie un bulletin d’informations en Esperanto.

Toutes les organisations ouvrières japonaises utilisent l’Esperanto. Il faut remarquer qu’il est très répandu en Extrême-Orient : Chine, Japon, très répandu également en Russie ; que les pays centraux, Allemagne, Autriche, Tchécoslovaquie, etc., en comptent une proportion beaucoup plus forte que les pays occidentaux.

Actuellement cinquante journaux ou revues paraissent entièrement rédigés en Esperanto et cinquante-quatre, partie en Esperanto, partie en langue nationale.

L’Esperanto et les Anarchistes. — D’après le chemin parcouru par l’Esperanto en trente-huit ans, il est facile de se rendre compte qu’il répond à un besoin. La vie moderne n’est plus nationale, elle est devenue internationale, mondiale.

L’homme d’aujourd’hui ne peut plus ignorer ce qui se passe hors de son pays. L’anarchiste ne le peut ni ne le veut. Il ne peut se contenter des informations intéressées des journaux bourgeois. Des organismes se sont créés pour renseigner les camarades de façon impartiale, mais le temps passé en traductions et retraductions fait perdre de l’importance à toute information qui ne vient plus à son heure.

Nous avons besoin aujourd’hui de savoir tout et de savoir vite ce qui se passe dans le monde entier.

Nous avons besoin aussi de savoir quelle forme particulière prend l’idée anarchiste lorsqu’elle est étudiée et approfondie par des hommes chez qui les mœurs et l’éducation différentes des nôtres ont créé une mentalité également différente de la nôtre ; nous avons besoin de comparer les pensées et les œuvres de tous. Seul, l’emploi généralisé de l’Esperanto peut résoudre ces problèmes.

En l’utilisant pour ces fins, les anarchistes rendent à l’Esperanto toute sa valeur sociale ; c’est pourquoi ils ont voulu créer leur organisme propre T. L. E. S. Il leur appartenait de redonner à cette incomparable invention le but que lui avait assigné son auteur : l’intercompréhension entre les hommes, but qui, atteint, fera peut-être naître entre eux les sentiments de fraternité et d’amour. Mais ce but n’est-il pas aussi l’un de ceux que se propose l’Anarchie ? Ainsi, sans le savoir, peut-être, Zamenhof, par son œuvre, collabora à l’œuvre anarchiste.

Zamenhof (Louis-Lazare). — Docteur et philologue, auteur de l’Esperanto, né en 1859, à Bielostock.

Placé par les hasards de sa naissance dans cette partie de la Pologne déchirée où vivaient, dans un perpétuel état de lutte plusieurs races possédant chacune leur dialecte propre, où les querelles nées de l’incompréhension éclataient à chaque instant, il fut souvent le témoin de scènes douloureuses entre Juifs,