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Influence des Ancêtre ? Oui ! les anarchistes la constatent. Ils ont les yeux trop grandement ouverts sur les réalités pour la nier. Mais ils ne consentent pas à en être les victimes résignées, tandis que d’autres en sont les arrogants profiteurs. Ils entendent : d’abord, étendre à tous, sans exception aucune, le bénéfice ou la charge de tout ce qui, dans le passé, a été utile ou nuisible à l’espèce humaine ; ensuite, — ce patrimoine de honte et de gloire, de succès et de revers, ayant été, par la Révolution sociale, mis fraternellement en commun, sans exception d’aucune sorte, de façon que personne n’en soit et n’en puisse être frustré, — ils veulent instaurer un milieu social (voir Anarchie) qui assure à chaque Individu le droit et les moyens de briser l’influence des Ancêtres, quand, par la force souvent néfaste du passé, elle s’oppose à la marche en avant vers la lumière, vers les modes nouveaux d’existence, vers des arrangements sociaux égalitaires et fraternels, vers le rayonnement de la pensée, vers l’épanouissement de la vie.

Sébastien Faure.

ANIMISME n. m. (du latin anima, âme). Système philosophique, créé par Stahl, dans lequel l’âme est la cause première des faits vitaux aussi bien que des faits intellectuels et moraux. Les vitalistes, au contraire, admettent, à côté de l’âme, un principe vital. C’est Stahl qui a réuni en un corps de doctrine, les idées éparses sur l’animisme et dont les principales remontent à Aristote. La vie, d’après lui, ne peut être ramenée ni aux lois générales du mouvement, ni à un système de combinaisons chimiques : le principe vital est proprement l’âme pensante.

ANONYMAT (an, priv., et gr. onuma, nom, qui n’a pas de nom, sans nom) — Des faits de plus en plus nombreux ont attiré l’attention sur ce vocable, qui jouit désormais d’une triste célébrité. La chose qu’il désigne est proprement sans nom ! — L’anonymat est par excellence l’arme des lâches, des résignés, des timorés, des faibles, des impuissants méchants ou bêtes. Des gens seront toute leur vie des anonymes : anonymes dans leurs actes, dans leurs sentiments, dans leurs pensées. Ils manquent de personnalité. Mais pour nuire ils retrouvent toute leur énergie. Comme ces larves sans yeux qui désagrègent les bois les plus durs, ils s’attaquent aux âmes nobles et élevées, et tentent d’abattre la pensée hautaine et solitaire qui dédaigne la populace. Combien de crimes dont nous ignorerons à jamais les auteurs ! Souvent, les anonymes nuisent plus par leur silence que par leurs paroles : ils ont juré de perdre le génie et tous les moyens leur sont bons. Il faut qu’ils suppriment ceux qui ne pensent pas comme eux (ce qui équivaut à ne pas penser du tout). — Ces lâches anonymes, qui n’ont pas le courage de leurs opinions (!), sont pour nous des barbares, des ennemis, des étrangers (bien qu’ils prêchent l’union sacrée) avec lesquels nous n’avons rien de commun. Ils ont de la vie — et de l’art — une conception différente de la nôtre. Par ces temps d’hypocrisie et de mensonge, il fallait s’attendre à voir l’anonymat devenir comme une sorte de symbole de la décadence sociale. Il résume nos mœurs politiciennes. Il a le privilège de représenter un état d’esprit, il est à la hauteur des événements. Nul autre temps ne lui fut sans doute aussi favorable. C’est l’ère de l’anonymat qui commence, une ère de délations et de persécutions comme aux époques les plus sinistres de l’Histoire. Chaque époque a ses anonymes, et la nôtre a les anonymes qu’elle mérite. — Il y a les anonymes qu’on connaît et les anonymes qu’on ne connaît pas. Les uns et les autres sont aussi dangereux. Les premiers, malgré leur dissimulation, sont vite repérés. Les seconds, c’est n’importe qui, des gens qu’on rencontre qu’on ne reverra sans doute jamais, mais qu’il

suffira d’avoir vus une fois pour les juger ; des parasites, des sous-ordres qui s’inclinent devant un « patron », suivent les conseils d’un directeur d’inconscience, s’auto-suggestionnent ou se laissent dominer par le premier et le dernier venu, prêts à offrir à qui leur demandera leurs témoignages avariés et leurs paroles d’honneur suspectes. Qu’importe leurs noms ! Ils ne comptent pas (ils comptent cependant par leurs méfaits). — On est à la merci d’X mystérieux, qui ne se fatiguent pas de répéter quotidiennement les mêmes sales gestes. La méchanceté comme la bêtise est inlassable. — L’administration, la presse et la littérature (pseudo-) sont remplies d’anonymes dont l’unique fonction est de nuire à ceux qui leur déplaisent (pour leur déplaire, il suffit d’être indépendant). Anonymes de la diplomatie et de la politique tiennent entre leurs mains la destinée des individus : leur pouvoir occulte exerce ses ravages sans limites et sans contrôle), ils sont irresponsables. Il y a des sociétés anonymes de mercantis qui volent légalement les esprits simples qui leur confient leurs intérêts. Policiers-anonymes se chargent de faire respecter l’autorité au moyen de rapports rédigés en dépit du bon sens. La puissance térébrante des anonymes est telle que bien peu d’individus résistent à son action souterraine et méthodique (seules les âmes fortement trempées en viennent à bout). Ce qui guide l’anonyme dans ses pérégrinations, inquisitions, perquisitions, dénonciations, c’est l’amour du mensonge ; c’est le besoin de satisfaire de vieilles rancunes et d’assouvir de petites vengeances. C’est l’intérêt. L’anonyme est souvent un raté et un mécontent qui rend les autres responsables de sa non-réussite (!). Il faut qu’il s’en prenne à quelqu’un de son néant. Les anonymes sont plats comme des punaises (c’est faire injure à ces animalcules que de leur comparer ces tristes sbires !) Cette lâcheté sans nom (elle n’a de nom dans aucune langue, comme la pourriture dont parle Bossuet) qui consiste à jeter la suspicion sur celui-ci ou celui-là, pour le perdre irrévocablement dans l’esprit de mauvais juges et de méchantes gens, est tolérée, encouragée et récompensée par une société qui a horreur de la vérité. La société entretient dans son sein l’anonymat, il est nécessaire à son existence. Elle a horreur de ceux qui ont une personnalité, qui s’élèvent au-dessus de la moyenne. Qui n’a pas été victime — au moins une fois dans sa vie — des agissements de quelque anonyme qu’on ne soupçonne pas, et qui souvent n’est pas loin, jaloux de votre « place » qu’il cherche à prendre, — ami, confrère ou collègue, — et qu’une idée fixe domine : vous faire du tort ? Parfois on se demande ce qu’on a bien pu faire à tel ou tel personnage pour qu’il vous regarde de travers. Ne cherchez pas. C’est quelque anonyme, tapi dans un coin, qui observe chaque jour vos gestes, et qui les lui rapporte, sans que vous vous en doutiez. C’est toujours infidèlement que l’anonyme rapporte vos paroles, c’est en les déformant, c’est en les dénaturant. Il falsifie vos idées, il vous prête des sentiments que vous n’avez pas. Ce mouchard amateur, inconscient et borné, sait pourtant bien ce qu’il fait : il sait qu’en falsifiant tel document, qu’en interprétant telle pensée, il vous enverra au bagne ou… à la mort (et s’évitera ainsi d’y aller lui-même, car tout bon anonyme a quelque chose sur la conscience, qu’il cherche à se faire pardonner). — Quiconque pense est tôt ou tard victime du mouchardage et de la délation. On laisse de côté l’imbécile : mais celui qui pense, et qui a le tort de dire ce qu’il pense, malheur à lui, son compte est bon ! C’est alors que l’anonyme accomplit une fonction vraiment sociale : contribuer à supprimer ce qui dépasse le niveau commun, faire rentrer chacun dans le rang. — Les plaintes anonymes pleuvent