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blèmes internationaux. Elle doit mettre les compagnons en possession des renseignements et précisions, des données et de la documentation qui les aideront à se guider dans l’étude extrêmement complexe de la vie sociale universelle. Ils doivent notamment connaître : les forces et ressources dont dispose, en tous pays, le mouvement anarchiste, les moyens de propagande qu’il possède, les méthodes de combat dont il use, l’action qu’il mène, les préparatifs qu’il fait et les chances de succès qu’il a en cas de Révolution. (Voir la deuxième partie de cette Encyclopédie.)

Ce n’est encore pas suffisant et, au risque de paraître chimérique, je complète ma pensée : l’éducation anarchiste ne doit pas se limiter à cette connaissance du mouvement international. Elle comporte, en outre, un entraînement méthodique, dont le résultat doit être de soustraire graduellement les compagnons aux attaches naturelles et plus ou moins instinctives qui les lient, plus ou moins, à leur pays d’origine et de faire véritablement de chacun d’eux un individu chez qui le « national » disparaisse insensiblement, pour faire place au « mondial ».

L’anarchiste « idéal » serait celui qui, encore que matériellement rivé à un coin déterminé de l’espace par les circonstances de la naissance, de la langue, de l’éducation et du milieu national qui lui sont propres, étendrait les préoccupations de son esprit et les vibrations affectueuses de son cœur à l’Univers entier, au point qu’il se sentirait aussi près de ses frères les plus éloignés que de ses frères les plus rapprochés.

Je me garde bien d’affirmer qu’il est aisé d’en arriver là ; mais chacun comprendra qu’il serait désirable qu’il en fût ainsi ; et cela suffit pour que nous y tendions.

b) Organisation. Quoi qu’il en soit et si loin que nous soyons encore de cet anarchisme « idéal », les camarades éprouvent le besoin de se mettre en relations, de se connaître, de s’entendre, de se grouper, en un mot de s’organiser internationalement, comme ils conçoivent la nécessité, pour être forts, de se grouper, au sein de chaque pays, localement, régionalement et nationalement.

Il va de soi qu’il s’agit d’une organisation internationale ayant la même plasticité, la même souplesse que l’organisation nationale elle-même et respectant, comme cette dernière, l’indépendance de chaque groupement.

Il ne saurait être question d’imposer aux anarchistes de toutes les nationalités et de toutes les races une règle uniforme, une même tactique, des formations de combat identiques. Encore moins peut-il s’agir de demander aux compagnons de faire le sacrifice de leurs conceptions personnelles, afin d’obtenir que toutes celles-ci soient coulées dans le même moule.

Une organisation de ce genre serait contraire à l’esprit anarchiste et lui serait, par conséquent, mortelle.

Elle donnerait naissance à un pseudo-anarchiste tiré à x… exemplaires et priverait le mouvement de ce qui fait son originalité et sa raison d’être, sa grandeur et sa fécondité.

Chaque race, chaque pays forme un être collectif qui, comme chaque individu, a son ascendance, son tempérament, ses traditions, son histoire, ses conditions de vie et d’évolution, ses aptitudes, sa mentalité, son atmosphère.

L’organisation internationale ne peut méconnaître ces réalités ; a fortiori, ne doit-elle point leur faire violence.

Son rôle consistera à favoriser des rencontres, à multiplier des échanges de vues, à généraliser toutes informations utiles, à provoquer des rapprochements,

à susciter et à réaliser des ententes entre les camarades de toutes nationalités.

De ces rencontres, échanges de vues, informations, rapprochements et ententes sortiront, tout naturellement, comme le cours d’eau jaillit de la source, divers courants qui, faibles et restreints à l’origine, deviendront de plus en plus puissants et vastes ; si bien que, lorsque, dans un pays quelconque, se produira une initiative ou une action anarchiste de quelque importance, celle-ci sera non seulement portée à la connaissance des anarchistes de partout, mais encore dans la mesure du possible, imitée ou, pour le moins, secondée, soutenue, fortifiée par l’action solidaire des anarchistes du monde entier.

Ce point de contact permanent est devenu nécessaire ; cette liaison morale et matérielle de tous les éléments anarchistes est devenue indispensable à l’époque où nous sommes, alors que, par le progrès incessant des sciences appliquées, par l’interpénétration des peuples, par la presse mondialement informée, les distances sont en quelque sorte supprimées, les moyens de communication et de transport de plus en plus rapides et les barrières nationales virtuellement inexistantes.

Il est temps de créer un organisme international que les anarchistes sont presque seuls à ne point posséder. Quand on songe que les Gouvernements, les Partis politiques, les organisations syndicales et coopératives, les académies et les églises, les sociétés sportives et musicales, les groupes industriels commerciaux et financiers, etc., etc… ont reconnu depuis longtemps déjà la nécessité de se grouper internationalement, on rougit et on déplore d’avoir à constater que « l’Internationale anarchiste » reste encore à créer, car on ne peut prendre au sérieux les tentatives qui, jusqu’à ce jour, ont été faites dans ce sens.

Je pense qu’il est urgent d’organiser « L’Internationale anarchiste ».

Pour commencer, il suffira de créer un bureau international dont le siège sera, selon les commodités et les circonstances, déplacé plus ou moins fréquemment et dont le mandat se bornera à être comme un agent de liaison entre les organismes nationaux et, aussi entre tous les compagnons des deux hémisphères.

Lorsque, par les soins de ce bureau international — qui pourrait se composer de trois ou quatre camarades et se réunir régulièrement — des relations suivies auront été assurées entre tous les éléments anarchistes désireux de se grouper internationalement et si ces éléments eux-mêmes en reconnaissent la nécessité, on resserrera et fortifiera progressivement les liens existants.

Le changement de siège de ce Bureau international aura pour effet non seulement de ne créer en faveur d’une nation quelconque aucune situation privilégiée, mais encore de soustraire le mouvement anarchiste mondial à des influences personnelles qui, à la longue et quelles qu’elles soient, seraient préjudiciables à ce mouvement.

Ce sont les événements qui, le plus souvent, dicteront le choix de la Capitale ou du Centre, voire du Continent où siègera le Bureau international : tantôt au point où l’action anarchiste sera menée le plus vigoureusement, tantôt au point où celle-ci, étant le plus menacée, aura besoin d’être le plus âprement défendue.

Un des rôles essentiels de ce « Bureau international » sera la convocation, l’organisation et la tenue des Congrès anarchistes internationaux.

Il est à prévoir que l’annonce de ces Congrès provoquera de la part des Gouvernements, surtout si les circonstances sont graves, des mesures propres à les