Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 1.djvu/74

Cette page a été validée par deux contributeurs.
ANA
73

naire proprement dite et d’assurer au mouvement anarchiste, dès la Révolution, la plus puissante vitalité et les meilleures conditions de développement.

Si nous admettons — et pas un libertaire ne songerait à le contester — que, pendant la Révolution, l’action anarchiste sera, d’abord, de détruire de fond en comble toutes les Institutions à base et à structure autoritaires et, ensuite, de jeter immédiatement les fondements de la structure sociale libertaire, il saute aux yeux que les tâches immédiates de l’Anarchisme sont de deux sortes : les unes négatives ou démolitives, les autres positives ou reconstructives.

Les premières ont pour objet de saper profondément le principe d’Autorité dans toutes ses manifestations, de démasquer et de combattre par avance toutes les manœuvres par lesquelles, disqualifié ou abattu, il tente de se réhabiliter ou de se survivre sous une autre forme.

Les secondes ont pour but de créer et de développer, d’ores et déjà le plus qu’il se peut, tous les modes de vie, individuelle et sociale, d’esprit anarchiste et de forme libertaire, propres à favoriser les impulsions, à faciliter les courants, à provoquer les mesures, à faire naître les arrangements de caractère anarchiste et à en assurer — aussitôt la besogne destructive accomplie — le développement spontané, libre, rapide et naturel.

Cet immense labeur doit s’effectuer — et, en réalité, il s’effectue — dans l’ordre suivant : éducation, organisation, action.

a) Éducation. Je considère que la tâche d’éducation qui s’impose aux anarchistes est à la fois la première à effectuer et la plus indispensable.

Cette tâche éducative exige un double travail : intérieur et extérieur.

J’entends par travail intérieur, celui que chaque compagnon a le devoir de réaliser en lui-même et par travail extérieur, celui qu’il doit accomplir en autrui, c’est-à-dire, hors de lui.

Vigueur physique, culture intellectuelle, beauté morale, l’Anarchiste se doit d’acquérir et de pousser au maximum, dans sa propre personne, ces trois valeurs : une bonne santé, une instruction vaste et profonde, des sentiments et des habitudes franchement libertaires.

Voilà ce que j’appelle dans le domaine de l’éducation, le travail « intérieur », C’est grâce à cet effort constant sur lui-même qu’un compagnon devient un vivant exemple et exerce sur tous ceux qui l’approchent une force indéniable de rayonnement et d’attraction.

Mais un militant ne peut pas plus qu’il ne veut limiter son effort éducatif à son exclusive culture. Ce serait une fleur sans parfum, un fruit sans saveur. Ce serait un être propre au milieu d’êtres sales, un homme marchant dans la clarté au milieu d’individus tâtonnant dans la nuit.

Il est donc naturel et, en quelque sorte, fatal qu’il propage, autour de lui et aussi loin que possible, les sentiments qui l’animent, les pratiques morales qui le distinguent, les connaissances qu’il a acquises et jusqu’à la vigueur physique qui fait de lui un individu normal, équilibré et résistant.

Dans cette œuvre d’éducation que j’appelle « extérieure » et qui a pour champ « les autres », il se sert de tout ce qu’il est à même d’utiliser : la conversation, la discussion, la causerie, la conférence, le journal, la brochure, l’exemple personnel. Il tire parti de toutes les occasions que les circonstances mettent à sa disposition. À l’atelier, dans son entourage, dans les groupements qu’il fréquente, dans les milieux où il vit, en un mot, partout où il se trouve, il explique, argumente, critique, riposte ; tour à tour attaquant et se défendant, il ne se lasse pas d’exposer ses raisons,

d’affirmer ses convictions, de combattre les Maîtres, de dénoncer les intrigants, de flétrir les exploiteurs, de dire toujours carrément ce qu’il pense.

Certains camarades estiment que, à se prodiguer ainsi, l’anarchiste perd de lui-même et, à la longue, se vide, s’épuise ; en sorte que l’éducation « extérieure » s’exercerait au détriment de l’éducation « intérieure », je pense tout à fait le contraire. J’ai la certitude que, loin de s’anémier en se consacrant à la propagande d’éducation extérieure, l’anarchiste se fortifie. Car, pour éclairer et convaincre ceux à qui il s’adresse, il faut qu’il élargisse sans cesse son champ de lumière et donne à ses propres convictions des assises toujours plus dures et plus profondes.

Il cultive les autres dans la mesure où il se cultive lui-même ; l’œuvre d’éducation « extérieure » et celle d’éducation « intérieure » marchent de pair ; elles s’épaulent mutuellement et, dès lors, comment le propagandiste s’exposerait-il à s’affaiblir en pratiquant régulièrement un exercice qui le pousse à un entraînement suivi et à des efforts incessants ?

Le labeur éducatif auquel s’adonne l’anarchisme a ceci de particulier, qu’il ne s’accommode pas de la ruse, du détour, de la supercherie, de la dissimulation, procédés en usage dans les partis politiques qui, tous, s’ingénient à piper les adhésions et à forcer le recrutement, parce qu’ils ne visent que le nombre.

Les anarchistes, eux, n’ont rien à dissimuler et leur propagande doit être franche, loyale, sans détour. Ils n’ont que faire de ruser, de surprendre, de manœuvrer.

Tout le monde reste libre d’être avec ou contre eux. Mais ils entendent que, si on se dit ou si on est avec eux, ce soit en connaissance de cause, en toute conscience et en pleine volonté ; car, en matière de recrutement, les anarchistes s’attachent beaucoup plus à la qualité qu’à la quantité des adeptes qu’ils font. (Voir Éducation.)

b) Organisation. J’ai dit un peu plus haut que la tâche immédiate d’Éducation doit précéder et dominer toutes les autres.

C’est l’évidence même : la vitalité de l’organisation et la fécondité de l’action correspondront en effet, au degré d’éducation et d’entraînement que les éléments appelés à se grouper et à agir auront atteint au moment de se réunir et auquel ils s’élèveront par la suite.

En France, les Anarchistes organisés se réunissent en groupes locaux ; ceux-ci, reliés entre eux par région, forment les Fédérations régionales, et ces dernières constituent l’Union nationale.

Le groupe local a pour somme la valeur additionnée des unités qui le composent ; la fédération régionale a pour somme la valeur totalisée des groupes locaux qui la constituent et l’Union Nationale a pour somme la valeur cumulée des fédérations qui la forment.

La valeur efficiente de ce qu’on appelle « l’Organisation » repose donc toute entière sur celle des individus organisés.

Plus ces derniers seront conscients, virils et solidaires, et plus l’Organisation qui les réunit sera vivante, plus sa marche sera sûre, plus son orientation sera précise, plus son action sera continue et énergique.

Pour aboutir à une organisation souple et forte, en même temps que conforme à l’esprit libertaire, il faut donc, de toute nécessité, aller de la base au sommet, de l’unité au nombre, du particulier au collectif, c’est-à-dire de l’individu au groupe local, du groupe à la fédération régionale et de la fédération à l’union nationale.

C’est le fédéralisme : permettant à chaque organisé de rester lui-même, de se soustraire à tout écrasement