« C’est le phénix qui renaîtra de ses cendres et quel phénix !
« Il faudra entourer d’une surveillance étroite ces malfaiteurs, ces insoumis, ces déserteurs d’un nouveau genre : les paresseux ; il faudra veiller à ce qu’ils ne s’introduisent pas dans les domiciles à l’heure où les ateliers étant pleins, ceux-ci seront vides ; il faudra pourvoir tout le monde d’un carnet de travail, tenir une comptabilité régulière des heures réellement faites, ouvrir dans chaque atelier un registre de présence, proportionner la part de chacun dans la répartition des produits à l’exacte mesure du travail qu’il aura réellement effectué ; il faudra faire la chasse aux réfractaires, instruire et juger leur cas ; il faudra… mais, que ne faudra-t-il pas ?
« Il saute aux yeux que, pour remplir ces multiples fonctions de législateurs, de vérificateurs, d’enregistreurs, etc., il sera nécessaire de prélever une partie de la population appelée, par l’âge et la validité, à contribuer au travail productif. Affectée à ces fonctions spéciales, cette partie de la population sera dérobée à la production utile. Et le plus clair résultat de toutes ces mesures destinées à traquer les fainéants, ce sera d’ajouter à ceux-ci un nombre appréciable de fonctionnaires improductifs. Ce sera le triomphe du Gribouillisme.
d). Capable de s’adapter. — L’adaptation domine toutes les théories évolutionnistes. Quand on songe à l’incalculable influence que le milieu exerce sur les êtres vivants qui lui sont soumis ; quand on observe la prodigieuse facilité avec laquelle ceux-ci s’adaptent aux conditions mêmes de ce milieu ; quand on constate que le milieu est comme un bain dans lequel trempe l’individu et par lequel il est peu à peu pénétré ; quand on sait, enfin, que la pression exercée par le milieu social sur l’individu équivaut à une saturation constante et quasi irrésistible (car ceux qui résistent à cette saturation sont des êtres exceptionnellement doués) on n’hésite pas à admettre que l’homme de demain, transporté dans un milieu libertaire, s’y adaptera aussi bien et même mieux, aussi vite et même plus promptement que l’homme d’aujourd’hui s’adapte au milieu actuel. Aussi bien, l’adaptation au milieu possède actuellement la valeur d’une thèse scientifique dont personne ne s’avise de nier l’exactitude.
Je résume cette longue réponse à la première objection : l’Anarchie ne présuppose pas, n’exige point un être inexistant ; cet être existe. Le milieu social que les Anarchistes veulent instaurer n’est pas opposé à la structure physique, intellectuelle et morale de l’homme ; il lui est, au contraire, strictement conforme puisqu’il répond scrupuleusement à ces quatre besoins qui caractérisent l’espèce humaine : la liberté, la sociabilité, l’activité, l’adaptation au milieu.
Seconde objection. — Celle-ci est empruntée à la marche des événements. Elle s’inspire du renforcement du principe d’Autorité dans divers pays et de la vague de Dictature qui, dans ces dernières années, a submergé, notamment en Italie, en Espagne et en Russie, les récentes conquêtes du principe de Liberté. Les tenants de l’Autorité, adversaires déterminés de l’Anarchie, tirent argument de ces faits contemporains pour ériger en certitude historique le développement progressif des forces autoritaires et l’affaiblissement graduel des aspirations libertaires. Ils disent : « Dans les plans et systèmes de transformation sociale, il n’y a de consistant que ce qui est conforme au développement historique des civilisations. Tous les grands bouleversements enregistrés par l’histoire ont
Cette objection ne peut pas être prise au sérieux ; elle repose sur des observations superficielles et prend pour une évolution historique régulière et à longue portée ce qui n’est qu’accidents et circonstances éphémères. La guerre maudite qui, durant plus de quatre années, a ensanglanté le globe, a produit un ébranlement fantastique ; elle a accumulé des ruines prodigieuses ; elle a tué des millions d’hommes en pleine force ; elle a détruit le labeur de plusieurs générations ; elle a formidablement et pour longtemps encore hypothéqué l’avenir ; elle a disloqué de vastes empires et remanié la carte du monde ; elle a amené l’écroulement de plusieurs monarchies et la naissance de plusieurs républiques ; elle a démesurément favorisé et enrichi certaines industries et elle en a ébranlé et appauvri d’autres ; elle a détraqué toutes les valeurs monétaires sur lesquelles reposent toutes les transactions ; elle a conduit au triomphe du régime bancaire, dont toutes les puissances de production, de transport et d’échange sont devenues outrageusement tributaires ; elle a placé les États eux-mêmes sous la dépendance étroite de la finance internationale ; elle a, pour tout dire, renversé la table des valeurs. Cette catastrophe sans précédent date d’hier ; l’humanité tout entière en est encore bouleversée et on prétendrait assimiler cinq ou dix ans d’un effondrement aussi indescriptible à une évolution reflétant fidèlement tout un processus historique ? Ce serait prendre l’inondation pour le cours régulier d’un cours d’eau, l’ouragan pour le souffle accoutumé des vents, la tempête pour le régime ordinaire des océans. Emprisonner l’évolution dans quelques années et, pour dégager le sens évolutif de cette minute historique, choisir les années les plus exceptionnellement troubles et l’époque des secousses les plus violentes, voilà à quels procédés inqualifiables nos adversaires ont recours pour formuler contre l’anarchie une objection qu’ils imaginent décisive !…
Tous ces régimes de dictature qu’on nous jette à la face comme des soufflets sont essentiellement transitoires. Les Dictateurs eux-mêmes le proclament :
« La Dictature ne saurait être considérée comme un