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ANA
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Première certitude : L’homme recherche le bonheur ; la Société a pour but de le lui assurer ; la meilleure forme de société est celle qui se rapproche le plus de ce but.

Seconde certitude : L’homme est heureux dans la mesure où il est libre de satisfaire ses besoins ; la pire des sociétés est donc celle où il est le moins libre ; la meilleure est en conséquence, celle où il est le plus libre. L’idéale sera celle où il le sera complètement.

Conclusion : la Doctrine anarchiste, se résume en un seul mot : Liberté.



Mais j’ai dit que l’Anarchie est : 1o une Doctrine ; 2o une Vie. Nous allons, à présent, passer de la première à la seconde, de la théorie à la pratique, du principe à sa réalisation, de la Doctrine qui inspire et impulse, à la Vie qui réalise.

Il coule de source que la naissance de l’Anarchie (état social sans Gouvernement, sans État, sans Autorité, sans contrainte), ne peut être que consécutive à la mort de l’état social actuel.

Ici commence la seconde partie de ma démonstration.

L’Histoire, l’Expérience et le Raisonnement, ces trois abondantes sources auxquelles l’homme puise toutes les vérités utiles, nous ont d’abord conduits à la condamnation sans appel de toutes les Sociétés pratiquant le régime de l’Autorité et à la nécessité d’instituer sur la Liberté le milieu social.

J’imagine donc la Révolution accomplie : l’Autorité est réduite en poussière ; il s’agit maintenant de vivre en liberté. Nous avons détruit ; il nous faut reconstruire. Qu’allons-nous faire ?

Des demi-fous (je ne puis, s’ils sont sincères, les qualifier autrement) songent encore à un accouplement bizarre des deux principes contradictoires de Liberté et d’Autorité. Ils rêvent encore d’asseoir la liberté de tous sur l’Autorité de quelques-uns, comme s’il était possible que l’Autorité donnât naissance à la Liberté et favorisât le développement de celle-ci ! Avec une logique implacable et une farouche énergie, les Anarchistes combattent cette absurdité. Ils se dressent contre toute tentative de restauration autoritaire ; ils s’opposent à tout essai de résurrection du Pouvoir, sous quelque forme que ce soit. Ils finissent par l’emporter sur leurs adversaires et brisent leurs dernières résistances. C’est la période, plus ou moins longue, durant laquelle le devoir le plus pressant et la nécessité la plus impérieuse sont de défendre la Révolution libertaire victorieuse contre les retours offensifs des tenants de l’Autorité, y compris celle qui leur apparaît comme la plus intolérable, la plus absurde et la plus dangereuse : la Dictature du Prolétariat.

Les défenseurs de la Révolution conçoivent — enfin — que deux choses contradictoires ne peuvent pas mutuellement s’engendrer puisqu’elles s’excluent ; que, conséquemment, l’Autorité sociale ne peut pas plus aboutir à la liberté individuelle que de la liberté individuelle ne peut sortir de l’Autorité sociale.

La faillite et l’abolition du principe d’Autorité se trouvent bien et définitivement établies. Il ne s’agit plus que de donner au principe de Liberté une réalité vivante et féconde.

Serrons de près le problème à résoudre et ne perdons pas de vue que nous supposons l’Autorité Gouvernementale brisée par la Révolution triomphante : voilà l’Individu débarrassé de ses chaînes ; il est devenu un être libre, c’est-à-dire en possession de la faculté de satisfaire ses besoins et, par conséquent, d’être heureux.

Mais, être sociable, vivant au milieu de ses semblables, participant à la vie commune, il s’agit de pré-

ciser ce qu’il aura à donner à ses pairs et ce qu’il aura à en recevoir, dans quelles conditions et dans quelle mesure, il collaborera à la satisfaction des besoins ressentis par tous et participera, en échange, à la satisfaction de ses propre besoins.

Le problème se pose impérieux et urgent.

Comment le résoudre ? Il ne faut pas songer à recourir à la force, à la violence, à la contrainte, formes diverses de l’Autorité, mais à la douceur, à la persuasion, à la Raison, formes multiples de la Liberté.

On s’arrête donc à la Raison.

Mais encore faut-il que la Raison s’impose d’elle-même, en vertu de sa propre force, par l’unique ascendant de son prestige et non par des menaces ou des sanctions.

Alors, on cherche, on expérimente, on compulse, on interroge les résultats des diverses méthodes d’application. L’Entente apparaît, se présente, se recommande par ses résultats et emporte les suffrages.

L’exemple de la nature est là : éloquent et démonstratif. Tout y est entente par accord libre et spontané, par affinités et caractères communs entre individus ou unités de la même espèce : les infiniment petits, sorte de poussière, se recherchent, s’attirent, s’agglomèrent et forment des noyaux ; ces noyaux, à leur tour, se recherchent, s’attirent, s’agglomèrent et forment des organismes ; ces organismes se recherchent, s’attirent, s’agglomèrent et forment des organismes de plus en plus vastes.

On fait l’essai de cette méthode empruntée à l’ordre naturel, un essai loyal et loyalement conditionné. Cet essai est répété ; les résultats appliqués à l’ordre social sont satisfaisants ; l’essai est étendu, appliqué à des masses croissantes ; il sort vainqueur de cette épreuve, il triomphe, et il est finalement adopté.

C’est la méthode de l’Entente libre et spontanée. La plus petite unité : l’individu recherche, attire les autres, s’agglomère avec celles-ci à un premier noyau et forment la Commune. Les Communes, à leur tour, se cherchent, s’attirent, s’agglomèrent et forment un organisme plus étendu : la Région. Les Régions, à leur tour, se cherchent, s’attirent, s’agglomèrent et forment une organisation plus vaste encore et plus complexe : la Nation.

Entente entre les individus et les familles qui constituent le noyau Communal, entente entre les Communes qui constituent l’organisme régional ; entente entre les Régions qui constituent l’organisation nationale ; entente de bas en haut, à tous les degrés ; entente partout.

Les peuples qui vivent en Communisme libertaire se recherchent, ils s’attirent, s’agglomèrent et forment une organisation plus vaste encore que la Nation.

Le jour où toutes les Nations vivront en Communisme-libertaire, elles se rechercheront nécessairement, fatalement s’attireront, s’agglutineront et formeront un immense organisme international les réunissant toutes.

Ce sera la réalisation mondiale de la Liberté de chacun, par l’Entente entre tous !

Car, ce qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est que ce n’est plus, comme autrefois, l’organisme le plus vaste : l’organisation centrale qui, par voie d’absorption ou d’annexion, de contrainte ou de guerre, amène la compression des organismes intermédiaires et des noyaux pour aboutir à l’écrasement des molécules individuelles. C’est, tout à l’opposé, la molécule individuelle qui, par voie d’entente, et d’extension ou de développement, se joint aux molécules les plus proches, et forme noyau avec celles-ci, puis, passant par des organismes de plus en plus vastes, le cercle de l’Entente s’élargis-