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de le défendre, non pas qu’ils pensent qu’un mètre de vieux tissu vaille la peine de se battre et de coûter la vie à des camarades, mais parce que ce n’est jamais à leur drapeau qu’on en veut, mais à leurs idées. Bien que n’ayant pas le culte du drapeau, les anarchistes sont néanmoins les plus courageux et les premiers à attaquer et à se défendre lorsqu’ils sont brutalisés physiquement et moralement par les forces de réaction ; c’est qu’ils donnent à chaque chose sa juste valeur, que ce ne sont pas des religieux qui dépensent leur « énergie » à adorer des images, des statues ou des drapeaux.

Au figuré : Être sous les drapeaux signifie : être au service militaire. Se ranger sous les drapeaux de quelqu’un : se mettre sous la direction politique de quelqu’un ; joindre son parti ; mettre son drapeau dans sa poche : cacher ses opinions politiques ou philosophiques ; planter un drapeau : partir de quelque part sans payer ce que l’on doit.


DROIT. n. m. Dans la plupart des langues, et plus particulièrement dans toutes les langues aryennes, la notion de justice est liée à celle de la rectitude. La ligne droite est regardée comme le symbole du bien. C’est ainsi que du sanscrit argu (droit au physique et au moral), dérivent les mots arguta (droiture, honnêteté), et arguya (droit, honnête). La même application se retrouve dans les langues germaniques et celtiques. En Anglo-Saxon, les mots reht, riht, aujourd’hui right, expriment à la fois au propre l’idée de ligne droite, au figuré l’idée de droiture, d’honnêteté, de justice. En Allemand, il en est de même de la racine reht, aujourd’hui recht.

« Droit » vient du mot latin « directum », participe passé du verbe dirigo, dont le sens précis est « mettre en ligne droite », par exemple, dans l’expression dirigere aciem, ranger une armée en bataille (en ligne droite). Directum, dans le sens figuré, signifie ce qui est conforme aux lois. Ce mot, comme d’ailleurs le verbe rego dont il est issu, contiennent aussi l’idée d’ordre, de commandement. Du verbe rego est également issu le mot latin regula, qui a, au propre et au figuré, les mêmes acceptions que le mot règle, en Français.

L’idée de droit, dans l’origine grammaticale même du mot, se confond aussi avec l’idée d’une règle imposée par une force ou une autorité supérieure. Pour exprimer cette idée, les Latins employaient, de préférence au mot directum peu usité, le mot jus, qui provient du verbe jubeo, je commande, j’ordonne. Du mot jus sont venus les mots français : justice, jurisprudence, etc.

Le Droit, si l’on s’en tient à l’origine grammaticale du mot, est donc un ordre, un commandement, une règle, qui s’imposent aux individus. Nous verrons plus loin qu’il n’était pas sans intérêt d’insister sur cette origine.

Le mot « Droit », nous disent les jurisconsultes modernes, peut être pris dans deux grandes acceptions différentes.

« Si l’on se place au point de vue objectif, le Droit désigne l’ensemble des préceptes, règles ou lois qui gouvernent l’activité humaine dans la société, et dont l’observation est sanctionnée au besoin par la contrainte sociale, autrement dit par la force publique. » Le Droit objectif, dans les sociétés modernes, est, en général, unique pour tous les individus appartenant à une même communauté politique. C’est ainsi, par exemple, que l’on dira : le Droit français, le Droit allemand, le Droit italien, etc.

« Dans le sens subjectif, le mot droit désigne les facultés ou prérogatives appartenant à un individu et dont il peut se prévaloir à l’égard de ses semblables dans l’exercice de son activité. » Chaque genre de

faculté ou prérogative constitue un droit déterminé, par exemple le droit de propriété, le droit de puissance paternelle. À chaque droit de l’individu, correspond un devoir légal, c’est-à-dire une obligation de respecter le droit, et qui s’impose à tous les autres individus. Le mot droit, dans ce sens subjectif, implique donc l’idée d’un pouvoir accordé à l’individu.

Le droit, dans les deux sens qui viennent d’être précisés, suppose l’existence de groupes d’hommes ou sociétés humaines, mettant au service des individus la force collective pour faire respecter les droits de ceux-ci (sens subjectif), et imposant à tous leurs membres, l’observation du Droit (sens objectif). Sur l’origine et l’évolution des sociétés, on trouvera dans d’autres mots de l’Encyclopédie, notamment au mot « Société », les développements qui n’ont pas leur place ici. Nous plaçant en présence du fait de la contrainte sociale, nous bornerons nos explications à analyser d’une manière plus complète, l’idée de Droit, à en rechercher l’origine, et à en retracer l’évolution générale, enfin à en déterminer les diverses divisions ou formes dans nos sociétés modernes.

L’idée de droit, avons-nous dit, implique la contrainte. Nous n’avons eu en vue que le Droit dit positif, celui qui est obligatoire en vertu d’une loi écrite ou non écrite. Mais on prend souvent le mot « droit » dans une acception beaucoup plus large.

Les jurisconsultes romains définissaient le droit « ars boni et œqui », la science du bien et du juste, définition qui, ainsi qu’on l’a fait remarquer, n’est guère qu’une tautologie ; il faudrait, en effet, définir ce qui est bon et juste, et c’est là où commencent les difficultés. Aristote disait « la décision du juste est ce qui constitue le droit ». Au xviiie siècle, Montesquieu, dans l’Esprit des lois, définit le droit « la raison humaine en tant qu’elle gouverne le monde », La Commission de l’an VIII, chargée de la rédaction du Code civil (voir ce mot), avait inséré dans son projet, un article premier, qui disparut dans la rédaction définitive comme constituant une simple déclaration de principes, et qui disait : « Il existe un Droit universel, immuable, source de toutes les lois positives : il n’est que la raison naturelle, en tant qu’elle gouverne tous les hommes ».

Ces diverses définitions s’appliquent à ce que les Juristes appellent le Droit naturel par opposition au Droit positif. Il y aurait une législation antérieure et supérieure à tout droit positif, et dont la loi écrite aurait pour tâche de se rapprocher aussi exactement que possible, étant d’autant plus parfaite qu’elle ressemblerait plus fidèlement à ce modèle. C’est à cette législation idéale que font allusion les philosophes et les jurisconsultes de Rome. L’idée du droit naturel s’harmonise d’ailleurs avec les doctrines de Rousseau, inspiratrice de la génération révolutionnaire, lesquelles représentent l’homme comme investi, par le seul fait de sa naissance, de droits inhérents à sa personnalité, identiques dans tous les temps, et sous tous les climats, et ne supportant d’autres limitations que celles qu’il a consenties lui-même dans le pacte social sous certaines conditions, et en vue de certains avantages déterminés. (Voyez ci-dessous : Droits de l’homme.)

La grande difficulté reste toujours de déterminer ce qui est ou non conforme au Droit naturel. En philosophie, en morale, en science sociale, les conceptions des hommes sont essentiellement variables suivant les époques ; elles dépendent des transformations de toute sorte que produit l’évolution des sociétés. Pour une même époque et dans un cadre social déterminé, ces conceptions s’éloignent les unes des autres, presque toujours sinon toujours pour de profondes raisons économiques. Dans cette confusion, dans ce chaos d’idées, dans cette multitude de projets de réforme, de conceptions morales ou sociales, où trouver le Droit naturel ?