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Villars qui arriva à les soumettre en traitant avec un de leurs généraux, mais la plupart des chefs périrent dans les supplices plutôt que de se rendre.

A côté des dragons, faisant leur triste métier de soldats, en se livrant à des atrocités sans nom, on vit des hommes d’Eglise montrer, dans cette lutte religieuse, une férocité sans précédent. Des prêtres, des moines, s’organisèrent en vertu d’une Bulle du Pape Clément XI et participèrent au carnage, à côté des troupes royales. Tout était bon pour réduire le protestant. On enrôla des voleurs de grand chemin qui pillèrent et rançonnèrent leurs victimes et l’on peut dire que, dans l’histoire criminelle de Louis XIV, les dragonnades sont les pages les plus terribles et les plus sanglantes.

Après dix ans de lutte inégale et de sacrifices sans nombre, le courage des protestants dut céder devant la force et la puissance de l’adversaire ; ils furent vaincus. Mais, de nos jours encore, malgré le recul de l’histoire, dans certaines contrées du Midi, on conserve, vivace, la haine du catholique, qui se transmet de père en fils. Les cicatrices creusées dans le corps des protestants par les dragons du roi, ne se sont pas encore refermées et, dans les petites villes et villages des Cévennes, durant les longues soirées d’hiver, on raconte aux enfants les souffrances endurées par les ancêtres.

L’histoire a des revirements ; dans certains pays du monde, la nouvelle religion s’est imposée et elle dirige à présent les corps et les esprits. En Angleterre, par exemple, le pasteur est tout puissant ; le protestantisme a triomphé. Est-ce en souvenir de la barbarie exercée par les catholiques que le peuple anglais reste indifférent au supplice que subit le peuple irlandais ? Nous savons, certes, que derrière le manteau religieux duquel se couvrent certains politiciens, il y a autre chose ; mais en façade, la guerre entre l’Irlande et l’Angleterre est une guerre religieuse et le peuple anglais devrait, lui, si fier de sa « liberté », comprendre que d’autres ont droit à une « liberté » au moins égale.

Toutes les religions se valent et n’engendrent que la pauvreté et la misère. Les dragonnades de Louis XIV se manifestent sous un autre nom de nos jours encore. Il y a dix ans à peine, les pogroms organisés en Russie par le gouvernement et exécutés par les cosaques n’étaient pas autre chose que des dragonnades. Et même, dans des contrées qui se targuent d’avoir atteint le plus haut degré de civilisation, on assiste encore parfois au massacre de nègres, dont le seul crime est d’avoir une couleur de peau différente de celle des Yankees.

Quand donc les hommes comprendront-ils qu’assez de sang a coulé, que la terre en est inondée et qu’ils doivent pratiquer enfin un peu d’amour et de fraternité ?


DRAPEAU. n. m. (du latin drappellum, formé de drappus, drap). Le mot drapeau servait primitivement à désigner la pièce de drap utilisée pour emmailloter les enfants en bas-âge et que l’on nomme aujourd’hui lange. Par la suite, il devint synonyme de chiffe, de vieux morceau d’étoffe ou de linge : « Un marchand de viels fers et drapeaux » et désigne enfin, de nos jours, la pièce d’étoffe que l’on place au bout d’une lance et qui sert à distinguer, par ses couleurs, les nations ou les partis.

Mais, qu’importe le mot ; l’usage du drapeau est très ancien puisque déjà les douze tribus d’Israël avaient chacune des enseignes de couleurs différentes, munies de signes particuliers.

S’il n’est pas considéré comme un Dieu, le drapeau peut être de quelque utilité. Il sert de marque de ralliement et peut être utilisé pour faire des signaux, etc.

Mais, à nos yeux, c’est à peu près là toute son utilité. Notre point de vue n’est, malheureusement, pas partagé et le drapeau est autre chose que ce qu’il devrait être, que ce qu’il est : un vulgaire morceau de chiffon que l’on promène au bout d’un bâton.

La grande majorité des hommes voient dans le drapeau le symbole de leurs partis, de leurs nations, de leurs dogmes et en font une telle idole qu’ils lui rendent des honneurs particuliers et se font parfois tuer pour lui. Ce ne serait qu’un demi-mal s’il n’obligeaient pas tous leurs semblables à se livrer comme eux à leurs ridicules pratiques.

Le culte du drapeau s’exerce partout ; il est une divinité devant laquelle on se courbe et auquel on rend des hommages publics. Certains lui vouent une vénération et une adoration passionnées.

Le drapeau a ses églises et ses prêtres. Chaque nation a ses drapeaux et, en France, il y en a un par régiment qui porte, outre le numéro de son régiment, la devise Honneur et Patrie, le nom des quatre principales victoires inscrites dans les annales du corps. Le drapeau est déposé, généralement, dans la salle d’honneur du régiment et, lorsqu’on le sort ― pour lui faire prendre l’air, sans doute ― il est porté par un officier, lieutenant ou sous-lieutenant, et entouré de sa garde, qui est composée d’un sous-officier et de quatre soldats de première classe, choisis par le colonel.

Quand vous apercevez un régiment et son drapeau, prenez une autre route, si votre intention n’est pas de lui rendre les hommages qui lui sont dû ; car, sans aucun doute, il se trouvera, parmi la foule d’imbéciles et de goujats, un être assez stupide pour vous découvrir de force. Ne manquez pas de respect au drapeau si vous désirez conserver votre liberté, car toute insulte à cette loque vous conduirait devant les tribunaux. C’est un Dieu, comme tous les autres Dieux, et il faut y croire ; il représente tout le passé sanglant et sa gloire est d’avoir fait périr sous ses plis des millions de jeunes gens pleins de force et de vie.

Avant 1789, le drapeau français était blanc ; un décret du 30 juin 1790 interdit les étendards de cette couleur et on leur substitua le drapeau tricolore : bleu, blanc et rouge. Le drapeau blanc symbolise, en France, à l’heure actuelle, la monarchie ou sert, en temps de guerre, à indiquer que l’on demande une trêve et que l’on désire parlementer.

Chaque parti politique ou secte philosophique a également son drapeau, ses emblèmes, ses étendard. Le drapeau rouge qui, « en vertu d’un décret de l’Assemblée Constituante, devait être déployé chaque fois que l’on proclamait la loi martiale et qu’on se préparait à dissiper un rassemblement par la force des armes » est devenu, plus tard, le symbole de la « Révolution ». Les socialistes l’adoptèrent et les communistes autoritaires également. Les uns et les autres le prostituèrent dans la politique et s’il est arrivé dans le passé, que le peuple se battit autour de lui, actuellement, il n’est plus qu’un torchon comme les autres qu’on idolâtre et qui sert à tromper et à asservir le peuple.

Le drapeau rouge a ses fanatiques tout comme le drapeau tricolore et on se livre devant lui aux mêmes mouvements, aux mêmes simagrées et les profanes sont également menacés par le troupeau populaire lorsqu’ils refusent, en certaines occasions, de se livrer à l’adoration du nouveau Dieu.

Les anarchistes ont également un drapeau. Il est noir. Les anarchistes sont les seuls qui voient en lui, non pas un symbole, mais un morceau de chiffon qui sert à rallier tous les camarades au cours d’une promenade ou d’une manifestation. Ils remplaceraient tout aussi bien ce drapeau par une pancarte ou tout autre ustensile, mais un drapeau porté bien haut est plus pratique et se voit de plus loin. Il leur arrive