Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 1.djvu/564

Cette page a été validée par deux contributeurs.
DEV
563

rement ne devraient se réclamer de l’Anarchisme que ceux qui sont restés dans les grandes lignes de la tradition.

Nous n’avons pas l’intention, nous l’avons dit, de faire l’historique de tout le mouvement anarchiste. Nous ne nous arrêterons donc pas à tous les actes d’héroïsme qui illustrèrent le mouvement Anarchiste de 1877 à 1896. En Italie, c’est Cafiero et Malatesta qui, à la tête d’une poignées d’hommes brûlent les archives de Letina et de San Gallo, prennent armes et argent et les distribuent au peuple ; en Allemagne ce sont les attentats contre Guillaume Ier ; en Espagne, en Russie, c’est l’action révolutionnaire qui reprend avec vigueur ; en France c’est la période tragique qui fait trembler la bourgeoisie ; mais c’est aussi la chasse à l’homme, la répression brutale et terrible du capital qui a peur et qui se défend. Oui, certes, on blâme « l’anarchisme » qui éveille chez l’individu une telle vigueur, on blâme l’idée qui fait jaillir une telle source d’énergie désintéressée, mais les adversaires les plus irréductibles, sont obligés de reconnaître néanmoins la sincérité des hommes qui se sacrifient pour une cause qui est juste, et si l’on qualifie de rêveurs ceux en qui a germé l’idée de rénover le monde, on se courbe tout de même devant la beauté du but, devant la grandeur de l’idéal poursuivi.

Mais hélas, toute médaille a son envers, et à côté de cette noblesse, évoluent les spéculateurs de l’idée anarchiste, qui vont se charger de la discréditer. Tous ceux dont l’égoïsme particulier n’est pas satisfait, tous ceux qui, traînant comme un boulet leurs tares physiques et morales, cherchent dans ce monde imparfait à assouvir leur soif de jouissance, vont se couvrir du manteau de l’Anarchisme pour légitimer leur méfaits.

Et l’Anarchie crédule et confiante ouvre ses portes ; elle accueille, loyalement et sans arrière-pensée, ces aventuriers qui, petit à petit, s’implantent, s’imposent, envahissent le mouvement, à la grande joie de la bourgeoisie qui les présente à la masse ignorante comme les anarchistes, les vrais.

Et cependant que, fatiguée par une intense période de lutte et de coercition, l’Anarchie se repose, cependant qu’à la violence des premières heures a succédé la période d’instruction de la classe ouvrière, qui, émotionnée par les événements, cherche à savoir, pénètrent chez nous les faux savants, les faux philosophes, colporteurs ignares de lectures qu’ils n’ont pas digérées, et dont tout l’anarchisme se réduit à considérer leur petite personne, planant au-dessus « des humains trop humains ».

Alors, c’est la discussion lassante et stérile, c’est l’œuvre ébauchée par les aînés qui se désagrège, c’est l’anarchie sectionnée, amputée qui se défend contre les attaques de l’extérieur et de l’intérieur. Toutes les tentatives d’unifier le mouvement sont vouées à un échec. On ne marie pas de l’huile et de l’eau, et les divergences qui séparent les différentes écoles creusent un fossé entre les différents éléments qui se réclament de l’anarchie. En 1900, les étudiants socialistes internationalistes de Paris lancent le cri d’alarme et, dans un manifeste, demandent aux anarchistes de s’entendre. Peine perdue, leur appel reste sans écho, et l’anarchisme continue à se perdre en discussions stériles.

En 1907, a lieu le Congrès Anarchiste d’Amsterdam où notre cher camarade Malatesta fait l’impossible pour jeter les bases d’une organisation internationale. On souscrit à sa proposition, il sort victorieux de la discussion mais hélas, les engagements pris de part et d’autre ne sont pas suivis d’effets et les espérances sont déçues. Le mouvement reste ce qu’il était : chaotique, personnel, toujours.

Et c’est la grande guerre, qui vient à son tour jeter le trouble dans le mouvement Anarchiste. Des hommes, et non des moindres, prennent parti pour la France « du droit et de la liberté ». Les Kropotkine, les Jean Grave,

les Malato, les Pierrot, découvrent un Anarchisme patriotique et publient le trop fameux manifeste des seize, dont s’empare toute la bourgeoisie « alliée » comme tremplin, pour entraîner à la boucherie des millions de travailleurs. La guerre se termine et à la déviation patriotique succède la déviation syndicale. On confond anarchisme et syndicalisme et comme si cela n’était pas encore suffisant pour tuer l’Anarchisme, le Communisme autoritaire, profitant de la désorientation des Anarchistes absorbe une partie de ses éléments.

Le plus brièvement possible nous avons exposé ce que nous entendons par déviations Anarchistes. L’Anarchie souffre de ces déviations, et il faudrait, pour la relever, revenir à une plus saine compréhension de la doctrine.

Les camarades, les compagnons anarchistes, reliraient utilement et avec profit le bref discours que fit sur l’organisation, en 1907, notre ami Malatesta.

« On s’écrie avec Ibsen, que l’homme le plus puissant du monde, est celui qui est le plus seul et cela est un non-sens énorme », dit notre camarade. « L’homme « seul » est dans l’impossibilité d’accomplir la plus petite tâche utile, productive ; et si quelqu’un a besoin d’un maître au-dessus de lui, c’est bien l’homme qui vit isolé. Ce qui libère l’individu, ce qui lui permet de développer toutes ses facultés, ce n’est pas la solitude, c’est l’association. » (E. Malatesta)

Mais pour s’associer faut-il encore avoir, dans ses grandes lignes un programme commun. « Les mots divisent et l’action unit », il serait donc utile pour mettre fin au flottement dont souffre l’anarchisme depuis tant d’années de mettre fin à la discussion stérile.

Un certain nombre de camarades anarchistes communistes ont compris le danger et, en 1926, au Congrès d’Orléans, ils ont tenté de remettre sur pied un programme, susceptible, non seulement de rencontrer la sympathie de presque tous les anarchistes révolutionnaires, mais aussi d’intéresser le peuple. Espérons que leurs travaux ne seront pas vains et que l’avenir leur apportera une récolte abondante.

Jetons un coup d’œil dans le passé, et profitons des erreurs de ceux qui nous ont précédé pour ne pas commettre les mêmes. Nous avons accompli un formidable travail de destruction. Rien n’a résisté à la critique et à la logique des Anarchistes ; toutes les branches, tous les rouages des sociétés autoritaires ont été idéologiquement détruits ; le militarisme, le nationalisme, le patriotisme, le capital et la bourgeoisie, toute l’autorité en un mot, a vu ses principes s’écrouler sur les coups répétés de l’Anarchie. Il nous faut construire à présent. Évitons donc de nouvelles déviations. Regardons autour de nous, et constatons la faiblesse des autres organisations malgré la force numérique de leurs membres. Le syndicalisme s’est piteusement écroulé, parce qu’il n’a pas su rester dans la ligne droite qu’il s’était tracée ; il est déchiré maintenant par les divers partis politiques qui se disputent sa direction, comprenant que le syndicalisme représente un intérêt tout particulier sur le terrain électoral.

Le socialisme, qui n’a pas su rester dans la tradition, qui s’est corrompu dans un parlementarisme étroit, qui s’est discrédité en abandonnant toute idée révolutionnaire, est menacé de ruine, et ne conservera pas longtemps l’autorité dont il dispose encore auprès des masses populaires ; quant au communisme, il se perdra bientôt dans le démocratisme bourgeois.

Il y a une place à prendre dans le mouvement social et cette place revient à l’Anarchisme. Remontons le courant, revenons à l’origine et, en évitant toutes déviations dans le futur, l’anarchie, comprise et aimée, en sortira régénérée et grandie. — J. C.


DEVISE. n. f. La devise est une courte sentence qui exprime d’une façon vive et saillante une pensée ou un