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sincère et logique des théories de l’amour libre et de la liberté sexuelle. Parmi les individualistes anarchistes, naturellement, cette formule ne se conçoit appliquée que dans des milieux volontairement, librement choisis par celles et ceux qui les constituent.

Même en laissant de côté toute conception doctrinale, il est clair que dans tout milieu sélectionné, petit ou grand, où les occasions de jouissance amoureuse, physique ou sentimentale, seraient en abondance, les ruptures amoureuses perdraient leur caractère brusque, tranché, blessant. D’ailleurs, comme les mots « toujours » et « jamais » ont une apparence et une signification trop dogmatiques pour les admettre autrement que relativement dans le vocabulaire individualiste anarchiste, si c’est « en camarades » qu’on se lie amoureusement, c’est « en camarades » qu’on se délie : sans aigreur, sans âpreté, avec douceur, en amis disposés à recommencer l’expérience amoureuse le lendemain même de sa fin, le cas échéant. À la vérité, de bons camarades ne s’imposent pas la cessation de leurs relations amoureuses ; quand ils y mettent un terme, c’est qu’ils sont d’accord l’un et l’autre.

La liberté de l’amour implique que ceux qui la pratiquent possèdent une éducation sexuelle étendue et pratique. Tout essai de vie amoureuse sous-entend, parmi les individualistes anarchistes, que ceux qui la tentent sont au courant de l’hygiène sexuelle, des moyens à employer pour se préserver de toute contamination vénérienne, éviter les suites de tout rapport sexuel suspect ou douteux.

On s’est demandé pourquoi des idées semblables à celles que je viens d’exposer rencontrent, particulièrement parmi l’élément féminin des milieux anarchistes — individualistes comme communistes, d’ailleurs — une mécompréhension qui est souvent de l’hostilité. Sans nier les autres causes dont l’examen approfondi allongerait démesurément cet article, on peut attribuer cette opposition à la persistance de l’éducation religieuse chez les compagnes anarchistes. Dans les pays protestants, l’idée qui présida à la Réforme, la réaction du fond contre la forme, de l’esprit contre la matière, de la foi sur les œuvres aboutit, en matière de mœurs, officiellement bien entendu, aux mêmes déviations, à la même mutilation, au même mépris de l’œuvre de chair que dans les pays catholiques. Sous le déguisement de préceptes moraux, on y retrouve les commandements de l’Église romaine : « Impudique point ne seras de corps ni de consentement. — Désirs impurs rejetteras pour garder ton corps chastement. — Œuvre de chair ne consommeras qu’en mariage seulement. » Ces préjugés sont parmi les plus tenaces à déraciner et c’est pourquoi pour maint esprit averti, l’émancipation sexuelle de la femme, l’éducatrice naturelle de l’enfant, semble devoir passer avant toutes les autres émancipations. Quand on serre la question d’un peu près, il n’est pas difficile de s’apercevoir que l’émancipation réelle de la femme dépend de son émancipation religieuse absolue et de son émancipation sexuelle. C’est seulement quand elle s’est débarrassée de la notion Dieu et de la notion moralité qu’elle est délivrée de la superstition et de l’ascétisme, de l’autel et du trône, du prêtre et du mari. La femme qui « a de la religion » et la femme qui « a des mœurs » sont les deux piliers de l’esclavage féminin individuel et du conservatisme social féminin. Elles le sont par surcroît de l’ignorance et de l’exploitation où croupissent la généralité des hommes. — E. Armand.

AMOUR — Le vocable le plus incompris, ayant subi le plus d’humiliations, de déformations, de falsifications. On lui fait exprimer le contraire de ce qu’il signifie. Le vocable — victime par excellence, souillé, sali par les moralistes, les bourgeois et les cuistres. Exploité par les

tenanciers de l’adultère au théâtre, les pornographes du roman naturaliste et psychologique ; se traduisant dans la vie par le fait-divers banal, le « crime passionnel » que la justice absout. Accaparé par les eunuques. Souverain dépossédé auquel il sied de rendre son royaume. Ce qui existe, ce n’est pas l’amour, c’est la caricature de l’amour. L’amour est le privilège d’une élite. L’amour est l’âme de l’art, de la poésie, de la vie, de toute passion noble et généreuse ; la source des œuvres vraiment spontanées, des libres créations originales et personnelles, des beaux gestes, des belles pensées. Foyer perpétuel d’enthousiasme, de sincérité et d’héroïsme. La condition de toute survie. Quand on voit les imbéciles semer la haine, on est tenté de leur crier : « Misérables ! vous ne voyez donc pas que vous tuez la pensée, l’art, le génie, tout ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue. Vous accomplissez là la plus stérile des besognes ! » Ils ne comprendraient pas. — N.-B. Ne pas confondre l’amour avec la philanthropie, l’indulgence, la résignation, la pitié, la bonté, l’aumône, la charité « officielle » ou mondaine, le sentimentalisme, l’altruisme, le socialisme. Ce sont là des formes d’égoïsme, et l’amour est l’adversaire de l’égoïsme. Il est l’action et le sentiment régénérés, embellis, magnifiés. Ce qui manque le plus à l’humanité actuelle, ce dont elle aurait tant besoin, ce qui pourrait la sauver, et ce dont elle ne veut pas entendre parler, sous aucun prétexte. — Aimez-vous les uns les autres. Précepte de l’Évangile, méconnu en tous temps, et en particulier dans le nôtre, que les disciples du Christ traduisent par ces mots : Haïssez-vous les uns les autres. C’est la plus colossale mystification qui ait jamais eu lieu dans l’humanité, c’est l’exemple le plus frappant de la déformation que la médiocrité fait subir aux idées, afin d’en tirer parti dans un but diamétralement opposé à celui que poursuivent initiateurs et précurseurs. — G. De Lacaze-Duthiers


ANABAPTISTES (du grec ana, de nouveau, et baptizein, plonger dans l’eau). On appelle anabaptistes les membres d’une secte religieuse et politique du seizième siècle. Les anabaptistes, issus du protestantisme, rejetaient le baptême des enfants comme inefficace, et soumettaient à un second baptême ceux qui embrassaient leurs doctrines. Thomas Münzer fut leur principal chef. La secte des anabaptistes recruta parmi les paysans le plus grand nombre de ses adhérents, que la noblesse protestante d’Allemagne, conduite par Luther, vainquit à Frankenhausen (1525). Chassés de toutes parts, les anabaptistes se dispersèrent, répandant leurs doctrines le long du Rhin et des Pays-Bas. En 1534, Munster devint leur centre d’action, avec le prophète Jean de Leyde, qui périt à son tour, ainsi que ses principaux partisans, lorsque l’évêque de Munster eût repris possession de la ville. Leurs sectateurs, appelés baptistes, se trouvent encore en Angleterre et en Amérique. C’est en somme un charlatanisme qui n’a pas réussi et qui a fait couler beaucoup de sang, surtout chez des malheureux paysans ignares que des aventuriers bernaient à leur guise.


ANACHRONISME n. m. (du grec ana, en arrière, et khronos, temps). Faute contre la chronologie ; erreur dans la date des événements. Les anachronismes sont fréquents en littérature. Par exemple, Shakespeare faisant tirer le canon dans son Jules César, ou Victor Hugo, dans Aymerillot, faisant dire à Charlemagne : « Tu rêves, dit le roi, comme un « clerc en Sorbonne. », et oubliant que la Sorbonne date seulement de Saint-Louis. Dans les beaux-arts également on rencontre maints anachronismes qui consistent alors soit à grouper dans une même composition des personnages ayant vécu à des époques différentes, soit à modifier l’ordonnance d’une scène historique, soit enfin à ne tenir