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reconnaissance du libre choix chez l’homme, donc vers le libre arbitre. Autrement, ils n’auraient pu établir leurs célèbres conceptions éthiques.

Ainsi, sur le terrain étique tout d’abord, le problème fut posé, la controverse naquit.

Philosophiquement, matériellement, moralement, socialement, etc., l’homme est-il libre et indépendant d’une prédétermination fatale ou, au contraire, toute son activité n’est-elle qu’un résultat inévitable de causes et de motifs se trouvant en dehors de sa volonté personnelle qui, dans ce cas, ne serait qu’une illusion ? Tel fut le problème légué à la postérité par la pensée antique.

Au Moyen-âge, du Ve au xve siècle, la controverse acquit un caractère religieux et scolastique. La préoccupation principale des penseurs de cette époque fut celle de concilier le dogme chrétien de la prédestination divine — sorte de déterminisme absolu — avec le principe de libre choix humain nécessité par la même religion chrétienne. Saint Augustin, Thomas d’Aquin et d’autres encore, versèrent beaucoup d’encre pour y aboutir. Le résultat de leurs efforts fut plutôt maigre, car, malgré qu’au xie siècle le déterminisme intégral eût été condamné comme hérésie, le xive siècle fournit la théorie du déterminisme absolu (toujours à base religieuse de Wiclef), et le xvie siècle, celle, déterministe aussi, de Luther.

Les siècles xvie siècle et xvii furent remplis de luttes religieuses et philosophiques entre les déterministes extrêmes, déterministes modérés et les partisans du libre arbitre. Pascal, Fénelon et Bossuet furent les penseurs religieux les plus puissants de cette époque parmi ceux qui s’occupaient du problème. Pascal et surtout Fénelon, défendirent des théories déterministes, tandis que Bossuet penchait plutôt vers l’idée du libre arbitre, tout en cherchant à concilier les deux extrémités.

D’autre part, cette époque est remarquable par des tentatives consécutives de construire des systèmes métaphysiques grandioses. C’est à la métaphysique spéculative que la religion cède le pas. Les systèmes les plus importants sont ceux de Spinoza, de Leibniz et de Kant, ce dernier (mort en 1804) jetant son ombre gigantesque sur tout le xixe siècle. Spinoza fut un déterministe accompli, intégral. Il n’admettait à la volonté humaine aucune liberté de choix réelle. La raison déterminante universelle et absolue de Spinoza est la nécessité rationnelle, logique. Leibnitz, tout en étant partisan d’un déterminisme général de caractère moral, admet, néanmoins, une certaine liberté intérieure de volonté et d’action. Quant à Kant, il fut le premier qui établit définitivement le principe de la causalité générale déterminante. Il admettait, cependant, une liberté relative dans le domaine psychique.

Au xixe siècle, nous avons, tout d’abord, quelques tentatives, spéculatives aussi, de compléter et de préciser la philosophie de Kant. Tels sont les systèmes métaphysiques de Schelling et de Schopenhauer qui, tout en étant déterministes par rapport à la causalité universelle, admettent une certaine liberté intérieure conditionnelle. Nous trouvons plus intéressante la conception de Fichte qui, le premier, fixa l’attention sur la force créatrice de l’homme et prépara ainsi le terrain à l’idée d’une causalité psychique spécifique. C’est pour cette raison qu’il penchait vers la possibilité du libre arbitre. Des idées analogues furent développées par le philosophe français Maine de Biran.

Vers la fin du xixe siècle, la philosophie spéculative, la métaphysique, se trouvent définitivement engagées dans une impasse sans issue. C’est le positivisme d’Auguste Comte, c’est la philosophie évolutionniste, fermement établie par Herbert Spencer, qui guide la pensée humaine. D’autre part, c’est l’essor des sciences

précises et expérimentales, qui commence à marquer le pas de l’activité et de l’exploration des savants, des penseurs et des chercheurs de la vérité. Le problème général du déterminisme cesse précisément d’être un problème « général ». Dorénavant, ce seront les érudits des diverses branches séparées des sciences — psychologues, moralistes, économistes, juristes, sociologues — qui analyseront et tâcheront de résoudre la controverse, tant qu’ils seront poussés à le faire par les nécessités de leurs recherches scientifiques et, aussi, par les besoins pratiques.

C’est ainsi que le problème général métaphysique du déterminisme se divise, à notre époque, en plusieurs problèmes de déterminisme moral, économique, social, etc. Chaque branche des sciences résout la question plus ou moins à son gré. Et s’il reste encore un domaine qui s’en occupe toujours de façon générale, c’est la psychologie contemporaine, qui n’a plus rien de métaphysique, étant entièrement basée sur l’expérience et l’analyse précise.

Les résultats de ce nouvel état de choses ne sont pas encore très concluants. La controverse entre la conception déterministe et celle du libre arbitre est encore loin d’être définitivement résolue. Mais ce qui importe, c’est que la véritable essence du problème est aujourd’hui clairement et définitivement établie. Le fond de la question peut être formulé comme suit : tout en reconnaissant la présence d’une causalité universelle, générale, fatale ; à laquelle l’homme ne pourrait pas se soustraire entièrement, sa volonté et son action peuvent-elles jouir d’une certaine liberté de choix ? Si oui, en quel sens et dans quelle mesure cette liberté pourrait-elle être admise ?

Les éléments principaux pour la solution éventuelle de ce problème sont fournis par la psychologie qui s’occupe à établir le principe d’une causalité psychique spécifique introduisant dans la chaîne des causes générales un anneau sui generis, un facteur indépendant, dans une certaine mesure. Sur cette voie, le problème en touche de près un autre, celui de la capacité créatrice chez l’homme. (Voir : Création, Libre arbitre, Évolution, Progrès).

N’ayant pas encore abouti à un résultat décisif, l’analyse psychologique du problème laisse toujours le champ libre à d’autres sciences de résoudre la question à leur gré.

Ainsi, par exemple, dans les sciences économiques et sociales, nous avons aujourd’hui la conception marxiste qui est celle d’un déterminisme économique et social presque absolu, basé sur le monisme et le matérialisme philosophiques et historiques. Et nous avons, en même temps d’autres théories socialistes et, surtout, la conception anarchiste, qui, étant beaucoup plus d’accord avec les données de la psychologie et de la sociologie modernes, se basent sur le principe pluraliste et synthétique, permettant de s’approcher de la conciliation définitive du déterminisme extrême avec le libre arbitre illimité. C’est, précisément, le problème de la force créatrice de l’homme, — de son essence, de son rôle, de ses effets, — qui doit intéresser surtout les anarchistes.

Notons pour conclure que le problème du déterminisme a des accointances avec celui du hasard. Mais c’est un sujet à part qui doit trouver sa place au mot correspondant : Hasard).

Note bibliographique : Voir Libre arbitre. — Voline.


DÉTERMINISME. n. m. Ce terme désigne la théorie selon laquelle tout phénomène, y compris celui de la volonté, est déterminé par les circonstances dans lesquelles il se produit, d’où nécessairement résultent les conséquences. Le déterminisme est basé sur le principe