Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 1.djvu/544

Cette page a été validée par deux contributeurs.
DES
543

gabegie capitaliste et de résister à tous leurs adversaires politiques qui entendent élaborer le monde nouveau sur une autorité qu’ils qualifient de socialiste ? Qui sait ? Quoi qu’il en soit, le désordre et la désorganisation ne disparaîtront qu’avec l’autorité, et l’organisation sociale n’assurera le bonheur de l’humanité que lorsque les hommes pourront jouir pleinement de leur liberté économique et morale. — J. Chazoff.


DESPOTISME n. m. (du grec : despotès, maître). Pouvoir d’un despote. Exercice absolu et arbitraire du pouvoir. Forme de gouvernement où tous les pouvoirs sont abandonnés entre les mains d’un seul individu. Le despotisme de Louis XIV. Le despotisme de Napoléon Ier.

Ayant rappelé que de Jules César à Vespasien « aucun empereur ne mourut que de mort violente », que depuis la ruine de la liberté romaine jusqu’à Charlemagne, trente empereurs furent massacrés, Mirabeau ajoute : « Il faudrait bien du courage aux despotes s’ils réfléchissaient sur les suites du despotisme. »

Il serait, certes, préférable que les despotes réfléchissent. Ce serait un bienfait pour le peuple et avantage pour eux. Mais malheureusement, l’exemple du passé, la fin tragique de certains de leurs prédécesseurs n’arrêtent pas le despotisme des tyrans qui gouvernent le monde par la violence et la brutalité. Ce n’est pas le courage qui anime le despote, mais la lâcheté.

Quelle piètre figure que celle de ce Néron qui, après une vie de débordements, de cruautés et de débauches hésita à se donner la mort, lorsqu’il apprit que le Sénat l’avait déclaré « ennemi de la patrie » et qu’il allait expier les crimes commis durant son règne ! Et Louis XI, monarque méchant et vicieux, qui, après avoir terrorisé son royaume par sa barbarie, trembla devant la mort, et se livra durant des années à ses dévotions superstitieuses dans son château de Plessis-Lès-Tours ! Et la fin du roi Soleil, du grand roi, qui pendant 60 ans, appauvrit la France, affama ses sujets, martyrisa le peuple, et fut effrayé lorsqu’à 77 ans, il dut quitter cette vie qu’il combla de son luxe et de ses crimes !

Comme tous les maux qui ravagent l’humanité, le despotisme découle du principe d’autorité et nous avons constamment dénoncé les méfaits déterminés par l’application de ce principe. Tout être auquel on abandonne une parcelle d’autorité est enclin à abuser des pouvoirs qui lui sont conférés ; il n’y a donc pas lieu de s’étonner qu’un homme auquel on donne toute licence pour diriger une Nation, un État, qui n’est soumis à aucun contrôle, qui n’a à répondre devant personne de ses gestes, de ses actions, abuse de ce pouvoir. L’histoire nous a suffisamment édifiés sur les désastres causés par le despotisme et il semble cependant que les peuples n’ont pas appris grand chose à son étude. Ils se laissent encore, de nos jours, mener par les despotes qui poursuivent l’œuvre de destruction sociale.

On peut comprendre que dans le passé — l’ignorance étant un facteur de despotisme — les hommes se soient laissé gouverner aveuglément par des tyrans ; mais comment admettre, qu’en notre siècle de progrès et de science, où le peuple a, malgré tout, la possibilité de se livrer à certaines recherches, où la lecture lui fournit un bagage de connaissances que ne possédaient pas ses aînés, il consente encore à être conduit comme un vil bétail, et s’agenouille devant ses bergers qui l’exploitent et le tuent. C’est inconcevable, et cette passivité ne peut être mise que sur le compte de sa lâcheté et de sa paresse politique.

Comme tout ce qui est abusif, le despotisme n’a qu’un temps, et détermine une réaction, toujours violente. C’est ce qui explique que, dans les pays où il s’exerce on assiste fréquemment à des attentats ou à des complots. Nous savons que ni le complot, ni l’attentat, ne peuvent être considérés comme un but, et que seule la

révolution sociale peut libérer l’humanité et permettre l’éclosion d’une société meilleure. Nous avons signalé que le despotisme ne s’exerce que favorisé par la lâcheté de la grande majorité du peuple et nous avons déjà dit que dans les pays où la liberté la plus élémentaire est férocement brimée, où il est impossible aux travailleurs de s’exprimer librement par l’organe de la presse, où le droit de réunion est interdit, où la dictature règne en maîtresse ; partout où tous les autres moyens se sont manifestés inopérants, et où il est indispensable que la Révolution vienne, de son souffle énergique et puissant, balayer l’air, pour en chasser les miasmes du despotisme, on ne voit pas quels autres procédés que le complot, signe avant-coureur des révoltes fécondes, peuvent être employées. (Voir Complot, page 380).

On trouvera en outre à la page 178, la liste de certains attentats qui ont été déterminés par le despotisme.

Pourtant le despotisme a évolué, il évolue chaque jour et n’emprunte pas à présent les mêmes formes que dans le passé. Le peuple qui s’est nourri depuis quelques années du lait démocratique, accepte d’être gouverné, mais se refuse à admettre qu’il est un esclave à la merci de ses maîtres. Il subit la main de fer à condition cependant qu’elle soit recouverte du gant de velours. Et les maîtres font cette concession au peuple, Ils portent le gant. Le résultat reste le même, si les formes ont changé.

Le despotisme d’un Bonaparte apparaît mesquin et petit à côté de celui des gouvernants modernes. Les ruines accumulées durant le premier empire ne sont rien à côté de celles engendrées par la folie furieuse des chefs d’Etat, républicains ou royalistes, qui déclenchèrent la grande tuerie de 1914. Il est évident que si l’on avait dit au peuple qu’il devait se battre, pour Guillaume Il ou pour Poincaré, il eût sans doute refusé. Il eût hésité à abandonner sa terre, son foyer, sa famille, pour défendre l’honneur d’un quelconque tyran ; mais le despotisme s’est modernisé, avons-nous dit, et les hommes du monde entier sont partis au massacre, parfois en chantant, avec la douce illusion de se sacrifier pour une cause juste, alors qu’en réalité ils allaient se faire tuer pour un despote occulte, resté dans l’ombre, caché dans les plis du drapeau démocratique, pour un despote plus cruel, plus meurtrier, plus barbare, que tous ceux du passé : le capital. Pendant quatre années, les maîtres invisibles du monde exerçant leur despotisme, jetèrent en pâture au Dieu de la guerre, des millions et des millions de jeunes êtres virils, ils livrèrent à la dévastation des millions d’hectares de terre cultivable, ils arrêtèrent toute la production utile du monde, et cependant l’exemple n’est pas encore suffisant, et l’expérience tragique n’a pas su inspirer à la collectivité une haine farouche contre l’autorité qui, fatalement, devient abusive et se transforme petit à petit en despotisme.

Nous pouvons dire aujourd’hui que le despotisme, n’est pas la manifestation du pouvoir absolu abandonné entre les mains d’un seul individu, mais d’une minorité qui exerce son pouvoir, par l’intermédiaire d’un homme de paille, placé à la tête d’un Gouvernement.

Mussolini est un despote, mais il n’est pas le despotisme, il est un agent du despotisme ; son autorité est subordonnée à celle d’une catégorie de dirigeants obscurs : banquiers, financiers, industriels, qui tirent les ficelles et dirigent toute la politique intérieure et extérieure de la Nation. Est-ce à dire qu’il est irresponsable ? Non pas. Il porte, au contraire, une grosse part de responsabilité dans les actes criminels du despotisme, mais sa disparition ne marquerait pas la fin du despotisme et, derrière lui, apparaîtrait immédiatement un