Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 1.djvu/540

Cette page a été validée par deux contributeurs.
DES
539

conflits est : l’erreur dans laquelle évolue la société basée sur le capitalisme. Un tel désordre règne en maître dans tous les rouages de l’État social, que les hommes les plus avertis, les politiciens les plus retors, les financiers les plus roués se perdent dans la confusion et sont incapables de remettre un peu d’ordre et de méthode dans les affaires publiques. Au désordre national, vient s’ajouter le désordre international, et nous en connaissons les conséquences tragiques. La guerre n’est que la résultante de ce que les défenseurs des sociétés modernes osent qualifier de « l’ordre ».

Examinons donc brièvement ce que cet ordre a coûté au monde. D’après les statistiques officielles, depuis la déclaration de la guerre jusqu’au 11 novembre 1918, sur une population de 39.600.000 habitants, la France a mobilisé 8.340.000 hommes. C’est-à-dire que pendant plus de quatre ans elle a arraché à la terre, à l’usine, toute la population mâle valide du pays.

Le total de ses pertes a été de 1.350.000 tués pour l’armée de terre ; 10.735 pour la marine et 30.000 morts dans la population civile.

Sur ces derniers chiffres, 669.000 hommes étaient employés dans l’agriculture, 235.000 dans l’industrie et 159.000 dans le commerce.

Ce n’est pas qu’en France que se manifestèrent les ravages du désordre bourgeois. Durant cette période tragique, les pertes des différentes nations se chiffrèrent comme suit :

  1 mort sur 28 habitants en France
  1 mort sur 35 habitants en Allemagne
  1 mort sur 50 habitants en Autriche-Hongrie
  1 mort sur 66 habitants en Grande Bretagne
  1 mort sur 79 habitants en Italie
  1 mort sur 107 habitants en Russie

N’est-ce pas terrible, et comment peut-on prétendre qu’un tel état de choses est normal, conforme aux nécessités des peuples et être assez fermé à toute raison pour ne pas comprendre que la cause de tout ce mal est l’autorité abusive des gouvernants qui, loin d’assurer l’ordre, perpétuent un désordre qui détermine des cataclysmes ?

Si l’on considère une nation comme une vaste entreprise commerciale ou industrielle, on peut, sans crainte de se tromper, affirmer que cette entreprise est gérée de façon incohérente et que ses administrateurs seraient bien vite remerciés s’ils dirigeaient une affaire privée. Les commanditaires forcés de l’État sont les habitants, contraints de subvenir à tous les besoins de la nation, et qui, en échange de leurs subsides, sont en droit de réclamer que leurs intérêts soient défendus et leur quiétude assurée ; en un mot ils sont en droit d’exiger « le fonctionnement régulier et productif des affaires ». Est-ce que l’État répond à ce besoin de la population ? Nous ne le croyons pas. Au contraire, si l’on envisage les bilans, on constate que le désordre des chefs d’État est nuisible aux intérêts de la collectivité, et que cette dernière souffre perpétuellement du chaos déterminé par la mauvaise gérance de la chose publique. Nous avons donné plus haut les pertes humaines occasionnées par la guerre qui est elle-même une conséquence du désordre social, voyons maintenant quelles furent les pertes matérielles qui vinrent s’ajouter à ce criminel sacrifice.

Pour la France seulement, on comptait 893.000 maisons détruites, 3 millions d’hectares du territoire complètement dévastés, 2 millions d’hectares de sol cultivé complètement ravagés, 120.000 kilomètres de routes rendus impraticables, 1.100 kilomètres de ponts et de barrages inutilisables, 119 millions de mètres cubes de mines à dénoyer et près de 10.000 entreprises industrielles employant au moins 16 ouvriers, complètement détruites.

Si on se place au point de vue financier, l’étendue de

la catastrophe consécutive au désordre bourgeois n’est pas moindre, et personne n’ignore les difficultés rencontrées par les gouvernements pour boucler annuellement des budgets qui engloutissent la plus grosse partie de l’épargne nationale. En conséquence, il semble que les anarchistes sont dans la vérité lorsqu’ils déclarent que l’ordre ne peut être établi dans une organisation sociale qui est à source d’un nombre incalculable de conflits et que le désordre n’ira qu’en s’amplifiant jusqu’au jour où les individus sauront se décider à combattre le désordre en employant des mesures radicales.

De toutes les écoles sociologiques qui se sont attachées et qui s’attachent encore à combattre la forme capitaliste des sociétés modernes, et qui entendent assurer l’harmonie entre tous les hommes, seul, l’Anarchisme n’a pas eu l’occasion de se livrer à des expériences matérielles. Ce que nous savons cependant, c’est que toutes les organisations politiques ou sociales qui ont tenté de mettre un frein au désordre économique du monde ont échoué.

La démocratie s’est montrée incapable de résoudre le problème de l’ordre, et plus récemment encore nous avons assisté à la tentative communiste, qui, elle non plus, n’a pas été couronnée de succès.

La raison en est bien simple. Tous les révolutionnaires politiques veulent « s’emparer de l’autorité et la fortifier pour la faire servir à leurs projets de rénovation sociale » alors que l’autorité est la cause initiale de tout désordre. C’est ce que les Anarchistes ont compris et c’est pourquoi ils sont les adversaires irréductibles de l’autorité. Les accuser d’être des agents de désordre est une diffamation intéressée, propagée par une minorité d’oisifs et de profiteurs, car si le désordre est nuisible à la collectivité, il permet à certains de « pêcher » en eau trouble et de vivre grassement au détriment de la grande masse des travailleurs,

Est-il même besoin d’insister sur les méfaits de l’autorité ? Est-ce que tout ce qui nous entoure n’est pas là pour démontrer que ses effets sont déplorables et que, depuis des siècles qu’elle dirige les destinées de l’humanité, elle n’est pas arrivée à écarter les conflits entre lez humains ?

Les Anarchistes sont des partisans de l’ordre, et l’ordre ne peut prendre naissance que dans la liberté. La liberté et l’autorité sont des contraires, et s’il est vrai que l’autorité n’a su engendrer que le désordre, la liberté engendrera l’harmonie. Abolissons donc l’autorité et nous aurons du même coup supprimé le désordre et toutes les misères qui en découlent.


DÉSORGANISATION. n. f. (du latin : desorganisatio). Altération profonde dans la structure d’un organisme, à la suite de laquelle toutes les fonctions initiales de cet organisme sont abolies. Dissociation des éléments constituant une chose physique ou morale. La désorganisation d’un corps, la désorganisation administrative, la désorganisation politique.

Physiologiquement, la désorganisation d’un corps a des causes multiples : elle est une conséquence de la maladie, de la vieillesse, du climat, etc., etc. Dans de nombreux pays, sous l’influence de l’air et de la chaleur, le foie se désorganise et tout le corps humain en est affaibli ; par l’action du temps, le corps de tous les individus se désorganise, mais ces désorganisations doivent être attribuées à des causes naturelles.

Il en est différemment lorsque l’on considère l’histoire à travers les âges et que l’on constate la lenteur avec laquelle l’humanité évolue ; c’est dans la désorganisation politique et morale des États, des Sociétés, qu’il faut chercher la source de cette nonchalance sociale entravant la marche de la civilisation et éloignant toujours l’être de la fraternité humaine.