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aspirations. Ainsi, selon les tempéraments, les circonstances et le degré d’éducation, l’amour sexuel est-il susceptible de prendre des formes variées.

Lorsque l’on dit que des animaux ou des gens sont en amour, c’est pour exprimer en termes atténués qu’ils sont en rut. Et le rut, c’est la forme la plus rudimentaire de l’attirance sexuelle, ce n’est que le besoin impérieux d’apaiser par le coït les ardeurs dont, à intervalles réguliers, sont le siège les organes génitaux masculins et féminins. La caractéristique du rut c’est de ne s’embarrasser guère d’idéalisme et de sentimentalité. Pour le plaisir de l’accouplement, le mâle cherche une femelle, la femelle aguiche un mâle. L’essentiel est qu’ils ne soient pas trop déplaisants. Et l’on se quitte sans regrets excessifs, lorsque la fringale est passée.

Mais voici où la cérébralité intervient : les sens sont assoupis, la sexualité sans exigences. Et, tout à coup, à l’instant où, perdu dans la foule, on ne pensait guère à une idylle, un regard entre mille autres vous emplit d’un trouble étrange, un visage, une démarche entre-aperçus, fixent irrésistiblement votre attention, sans que l’on puisse démêler la cause exacte d’un attrait si puissant et si soudain. On ne se connaît point ; on n’a pas eu le loisir de s’étudier, d’apprécier ses qualités et ses défauts, ni ce que sera le contact des épidémies. Et pourtant l’on se sent pris par quelque chose de mystérieux, qui n’est point de l’amitié, et ne peut être de l’estime, qui est plus captivant et plus fort que de la sympathie et, précédant le désir, ne peut être confondu avec lui. Question d’esthétique en conformité d’ensemble avec les silhouettes de nos rêves ? Affinités charnelles obscurément révélées par d’imperceptibles détails ? On ne sait pas toujours. On ne saura peut-être jamais. Toujours est-il que c’est de cette manière que débutent très souvent les liaisons qui comptent le plus dans une existence, et représentent le mieux des liaisons d’amour, sinon par la durée, du moins par l’intensité des souvenirs qu’elles nous laissent.

Beaucoup plus explicable et plus banal est l’amour qui s’ébauche par une camaraderie toute platonique, laquelle évolue jusqu’à l’amitié et, au premier rayon de soleil du printemps, fait se retrouver les gens dans le même lit.

Ces tièdes associations sont fréquemment heureuses et durables, parce qu’elles dégénèrent souvent en habitudes, et sont rarement bouleversées par des tempêtes passionnelles.

Dans un cas comme dans l’autre, il est à remarquer que ce qui a fixé le désir sexuel exclusivement sur une personne, ou tout ou moins concentré sur elle pour un temps nos préférences, c’est quelque chose d’intellectuel ou de sentimental, qui n’a que des rapports éloignés avec le besoin physiologique d’accomplir un acte reproducteur que rien n’empêcherait d’accomplir avec beaucoup d’autres personnes.

Il y a eu admiration pour la beauté des formes, attrait pour ce que révèlent des pensées intimes l’attitude et l’expression du visage. Il peut y avoir eu simple rapprochement affectueux dû à la ressemblance des caractères, quelquefois même à la compassion pour une faiblesse ou une déchéance. Lorsque, inévitablement, surgit le feu du désir, au lieu de s’étendre au hasard, il suit la voie déjà tracée par le culte de la beauté, ou de la vérité, ou de la bonté. Ce qui ne signifie pas qu’il ne s’éteigne point si la satisfaction des sens ne se trouve en complément des autres attraits. L’attirance sexuelle n’est pas seulement le rut ; elle est déterminée par des éléments très complexes Mais elle ne dure point et fait place à une simple estime ou à une familiale affection là où le rut ne découvre point sa part.

L’homme — et la femme est comprise dans cette expression — n’est ni un ange ni une bête… C’est un

ange monté sur une bête qui réclame du foin, et se cabre et hennit de révolte lorsque la brise apporte à ses naseaux la senteur aphrodisiaque des forêts.

Mais idéalisé, ennobli d’intelligence et de savoir, ou purement sensuel, l’amour doit être libre.

Il se suffit à lui-même dès l’instant que, sans nuire à personne, il embellit notre existence et contribue à notre bonheur.

Il n’a pas besoin de l’excuse de la procréation, qui en est seulement la conséquence normale, ni d’une sanction légale ou religieuse, qui ne sont que règlement d’intérêts ou simples formalités conventionnelles. En lui-même, il contient sa poésie et sa justification.

La fumée de l’encens, et la lecture monotone du code civil sont incapables de faire naître l’amour où il n’existe point, de lui conférer de la moralité où il n’est que vil marchandage. L’arbitraire du législateur est impuissant à rétablir en fait l’union des âmes, et l’appétit des sens, au sein des foyers où n’existe plus qu’animosité et que haine.

Quelle que soit la forme des unions, ce qui en fait la beauté morale c’est la saine jeunesse et l’attachement des conjoints, l’affectueuse harmonie de leur vie intime, la constante amitié qu’ils se portent dans les épreuves de l’existence.

Et c’est seulement en raison de ces vertus, et non de leur caractère légitime ou illégitime que nous devrions apprécier les couples humains.

Tout le reste n’est que décor, souci des apparences, ou sacrifice à certaines nécessités.

Admettre le principe de la liberté de l’amour, ce n’est pas nécessairement faire de la promiscuité la règle ; ce n’est ni condamner les liaisons durables, ni fournir des excuses à ceux qui, sans considération des tristes réalités de la vie sociale présente, sèment autour d’eux le désespoir, pour la satisfaction des caprices sans lendemain.

Mais c’est reconnaître l’égalité parfaite de l’homme et de la femme devant une morale unique ; c’est revendiquer hautement pour tous, comme pour nous-même, le droit d’aimer qui nous plaît, suivant le mode qui nous convient, de nous accorder sans cesser de nous appartenir, sans autre condition que la réciprocité du désir, sans autre obligation que de prendre sous notre responsabilité le dommage que notre conduite aurait pu apporter dans l’existence d’autrui.

Ce principe devrait être à la base des accords conjugaux dans une organisation sociale rationnelle, dont le but serait la collaboration des efforts de tous pour assurer à chacun le maximum de bien-être et de liberté avec le minimum de contrainte et de concessions, et non l’assujettissement permanent de l’individu à des dogmes surannés, ou pour des fins étrangères aux siennes. — Jean Marestan.

AMOUR, AMOUR EN LIBERTÉ, CAMARADERIE AMOUREUSE. Sous l’appellation d’amour, on peut comprendre force définitions. La mienne, dans cet article, sera la suivante. Par amour, j’entends tantôt l’attirance ou la passion sexuelle, tantôt le désir et la satisfaction de l’appétit sexuel, satisfaction manifestée ou par le coït ou réalisée par le besoin de toucher, caresser, embrasser quelqu’un du sexe opposé, voire de jouir de sa présence, s’entretenir avec lui. (Nystrom : La vie sexuelle et ses lois ; Forel : La question sexuelle ; Robert Michels : Sexual Ethics.)

Individualiste anarchiste, je ne pose nullement comme un dogme que l’attraction, l’appétit, le désir sexuels — l’Amour donc — ait seulement pour origine les appas ou attraits extérieurs de l’être aimé, le fait qu’elle ou il vous « porte à la peau ». Bien au contraire, surtout lorsqu’il s’agit d’unités humaines sélectionnées comme le sont les anarchistes, l’amour peut tout aussi bien