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a soutenu que la reproduction de l’espèce devait être entreprise au nom de la sélection. Il n’est point partisan d’engendrer des êtres misérables et laids, mais des hommes véritables, la qualité étant bien préférable à la quantité. L’évolution doit aider à peupler l’humanité de vivants, et non pas à la surpeupler d’idiots et de dégénérés. Que voyons-nous aujourd’hui ? La société d’après-guerre est au-dessous de tout. C’est que la sélection se fait à rebours, la mentalité des individus n’ayant de nom dans aucune langue, mentalité inférieure à celle du dernier des sauvages. Il est grand temps de réagir.

On peut objecter à Darwin qua la lutte des individus contre les conditions naturelles dépasse de beaucoup celle que se livrent entre eux les individus d’une même espèce. C’est le point de vue auquel s’est placé Kropotkine. Kropotkine voyait un facteur d’évolution dans l’entraide, et non dans la lutte pour l’existence (L’Entraide, un facteur d’évolution.) Cette évolution positive est autrement noble et utile que l’évolution négative, qui sacrifie les meilleurs aux pires scélérats. Ce qui résulte pour nous de l’examen des doctrines évolutionnistes c’est la nécessité de la liberté de chaque individu au sein d’une société libre, d’où mensonges, préjugés, dogmes et lois auront été impitoyablement bannis.

Haeckel dans son « Histoire de la Création des êtres organisés d’après les lois naturelles », rappelle que le peuple de Sparte n’a dû son haut degré de force virile qu’en pratiquant la sélection artificielle, et qu’il en est de même pour les tribus des peaux-rouges de l’Amérique du Nord qui mettent à mort les nouveau-nés débiles. Et le philosophe du monisme en profite pour montrer dans la sélection militaire pratiquée dans notre société dite civilisée un crime abject, les hommes les plus sains et les plus robustes étant immolés au Moloch insatiable. « Au contraire, tous les jeunes gens débiles, malades, affectés de vices corporels, sont dédaignés par la sélection militaire. » Opposant à la sélection artificielle du militarisme, la sélection naturelle, Haeckel voit dans celle-ci « le plus fort levier du progrès, le principal agent de perfectionnement ». Il croit que dans la nature, le parfait triomphe de l’imparfait. « Or, dans l’espèce humaine, cette lutte pour vivre devient de plus en plus une lutte intellectuelle, de moins en moins une bataille avec des armes guerrières. Grâce à l’influence ennoblissante de la sélection naturelle, l’organe qui se perfectionne plus que tout autre chez l’homme, c’est le cerveau. En général, ce n’est pas l’homme armé du meilleur revolver, c’est l’homme doué de l’intelligence la plus développée qui l’emporte, et il léguera à ses rejetons les facultés cérébrales qui lui ont valu la victoire. Nous avons donc le droit d’espérer, qu’en dépit des forces rétrogrades, nous verrons, sous l’influence bénie de la sélection naturelle, se réaliser toujours de plus en plus le progrès de l’humanité vers la liberté et par conséquent vers le plus grand perfectionnement possible ».

Nous pensons qu’en fait de sélection artificielle, la meilleure c’est encore celle qui n’attend pas la naissance de l’enfant pour le supprimer ou le conserver, mais prépare sa venue, ne le jetant pas dans la vie nanti de tares alcooliques ou autres.

Préparons une humanité meilleure en devenant meilleurs nous-mêmes, en réformant notre mentalité et nos mœurs, en n’obéissant qu’à la justice et à la vérité. Refusons d’imiter le troupeau, élargissons sans cesse notre idéal. L’individualisme conçu comme l’épanouissement de l’être vivant en beauté, libéré moralement et physiquement, est la meilleure sélection.

Derniers échos de la croisade contre le darwinisme. L’affaire Scopes. — Le procès du darwinisme avait été

engagé avant le darwinisme même. Avec celui-ci il est entré dans une voie aiguë. Il dure encore. La croisade contre l’origine simiesque de l’homme se continue chez les bourgeois bien pensants, rentés, assis, par l’entremise de leurs prêtres, de leurs moralistes et de leurs politiciens. Il n’est pas de théorie qui n’ait été plus mal comprise que le darwinisme, et qui n’ait été combattue avec d’aussi piètres arguments. Le procès engagé depuis plus d’un siècle entre Moïse et Darwin est un des moments de la lutte éternelle que se livrent l’esprit de mensonge et l’esprit de vérité. Darwin n’a dû qu’à sa prudence et à sa modération d’avoir la vie sauve.

On croyait qu’enfin le darwinisme, après une mise au point qui le plaçait au nombre des hypothèses fécondes de la science n’allait plus être discuté. On comptait sans le fanatisme, qui ne désarme jamais. Il est comme le feu, qui couve sous la cendre. On pensait close la lutte, lorsqu’elle a repris de plus belle, avec une extrême violence. Si tous les esprits sérieux ont accepté le darwinisme, en le corrigeant, le complétant ou le dépassant, les esprits rétrogrades voient toujours dans cette doctrine une doctrine diabolique, immorale et pernicieuse. Nous en avons eu récemment une preuve éclatante dans un procès intenté en Amérique à un jeune professeur. Ce procès a couvert de ridicule ceux qui l’ont provoqué, et il faut espérer qu’après cette expérience la bêtise ne récidivera plus. Elle a donné toute sa mesure. Jamais les adversaires du transformisme ne s’étaient montrés aussi plats, en pensées, en paroles et en actes. On voulut frapper un grand coup. L’Amérique, pays de bluff, se chargea de la besogne. La Croisade contre la théorie de l’évolution a eu cette fois pour théâtre le nouveau monde avec, pour chef, un politicien du nom de Bryan, ancien secrétaire d’État du cabinet Wilson. Le père du régime sec n’a guère brillé dans cette affaire. Se présentant, pour la quatrième fois à la Présidence des États-Unis, ce singulier homme d’État avait cherché par tous les moyens d’attirer sur lui l’attention, s’efforçant de provoquer de l’agitation dans le pays de Carlyle et de Walt Whitman. Il voulait essayer de déclencher un mouvement religieux « afin d’introduire la Bible dans la Constitution américaine ». Il tenta de faire les élections sur le dos du darwinisme, mêlant stupidement la religion et la politique à la science. L’antiévolutionnisme était devenu un mot d’ordre électoral, La bataille allait s’engager entre évolutionnistes et antiévolutionnistes ! William J. Bryan espérait bien faire triompher sur son nom la sainte cause de la Bible. Il pensait que l’incohérence du suffrage universel déciderait de quel côté est la vérité. Un procès fut intenté dans la libre Amérique au professeur John Scopes, coupable du crime de darwinisme. Il était accusé d’avoir violé la constitution de l’État du Tennessee en enseignant la doctrine de l’évolution, proscrite au nom de la Bible par ces braves protestants. Bryan se porta partie civile contre lui et se montra le plus enragé des antidarwinistes. C’est lui qui, en réalité, dirigeait les débats. Ce qui ne lui profita guère, car cet apôtre de la tempérance mourut d’indigestion, dans la ville même où avait lieu le procès. Le meilleur champion de cette mauvaise cause fut frappé en pleine bataille (en quoi Dieu, d’où il descend, se montra fort ingrat, en le faisant remonter au ciel). Si ces pudiques protestants avaient été tant soi peu logiques, ils auraient dû voir dans cette mort que Dieu même ne pactisait pas avec leurs gesticulations. Ce procès vaut d’être rappelé ici, en détail, car il est toujours bon de montrer à l’œuvre le fanatisme et de dénoncer les petits moyens qu’il emploie.

Le procès du darwinisme, du transformisme et de l’évolutionnisme réunis eut lieu à Dayton (Ohio), que des plaisants qualifièrent à cette occasion de Monkeyville