Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 1.djvu/492

Cette page a été validée par deux contributeurs.
DAR
491

fait réactionnaire. Esprit étroit, il ne pouvait admettre l’évolution. Ce physiologiste, qui ne croyait pas à la contemporanéité de l’homme et des grands mammifères antédiluviens, démontrée par Boucher de Perthes, fut en France un des adversaires les plus acharnés du transformisme. Il niait que la nature ait le pouvoir de créer et le pouvoir de détruire des êtres. Pour ce partisan de la fixité des espèces, qui répondait toujours à côté de la question, il n’y avait que deux systèmes possibles : la génération spontanée ou la main de Dieu. Mais la génération spontanée n’est qu’une chimère. Reste la main de Dieu. Dès qu’on remonte à Dieu, tout s’explique. C’est avec des arguments de ce genre qu’on a combattu et qu’on combat encore le darwinisme. Piètre argument qui s’explique par la bêtise et le fanatisme de ceux qui, à court d’arguments, n’en ont pas d’autre à opposer aux observations de la science que « la main de Dieu ».

Mon grand oncle Henri de Lacaze-Duthiers, savant officiel, membre de l’Institut et professeur à la Sorbonne pendant trente-cinq ans, était partisan de la fixité des espèces. Il resta le disciple de Cuvier jusqu’à l’heure de sa mort, survenue en 1901. Cependant, nul plus que le fondateur de la zoologie expérimentale, qui se méfiait des théories, n’a, par ses études d’embryogénie, contribué à montrer l’excellence de la doctrine de l’évolution. On ne s’explique pas comment il s’entêta à soutenir des idées que ses propres travaux démentaient constamment. Tous ses élèves, et non des moindres, se séparèrent de lui et passèrent dans le camp adverse, formant une équipe d’évolutionnistes comme on n’en vit jamais, parmi lesquels Albert Gaudry, Alfred Giard, Edmond et Rémy Perrier, Yves Delage, Pruvot, Boutan, Joubin, Roule, Cuénot, Pérez. Il n’est pas aujourd’hui de savant digne de ce nom qui ne soit plus ou moins évolutionniste.

Rompant avec Lacaze-Duthiers, qui lui avait fait passer sa thèse de doctorat ès sciences en 1872, Alfred Giard se jeta dans la bataille, professant, sous les fenêtres mêmes de son ancien maître, un cours sur l’évolution des êtres organisés, subventionné par la Ville de Paris. Giard fut vraiment un initiateur. Cet anarchiste de la science, qui combattait toutes les superstitions, avait été frappé par ce fait que l’embryon reproduit l’évolution de l’espèce au cours de son développement : il passe par les différents stades par où sont passés les animaux dont les fossiles ont été trouvées dans les terrains datés par la géologie : dans les entrailles de la terre comme dans le ventre de la mère, c’est la même succession, et le même ordre d’apparition des espèces : l’être devient poisson, batracien, reptile et mammifère. Dans l’embryon, il est vrai, la récapitulation des formes est rapide et synthétique.. La nature ne met plus des siècles à former l’être vivant, mais seulement quelques mois. C’est une création en miniature, qui rappelle la création primitive. L’ontogénie ou évolution de l’individu reproduit en petit la phylogénie ou évolution de l’espèce. Serres, Fr. Muller et Haeckel, ont insisté là-dessus. On a pu objecter à la loi biogénétique (ou de patrogonie) que certains stades sont « brûlés » au cours du développement de l’embryon, et que la larve, vivant dans des conditions différentes, s’écarte du type ancestral. Pour Vialleton, cette récapitulation des formes ancestrales ne serait qu’une métaphore. Ajoutons que la suite des fossiles ne forme guère une série continue, ce qui complique le problème. Il n’en est pas moins vrai que l’embryologie vient apporter son appui à la théorie de l’évolution que la paléontologie confirme de son côté. Ces deux sciences s’accordent pour nous prouver que l’être humain a passé par différentes phases avant d’arriver à sa forme actuelle. De plus, comment douter de l’évolution quand on constate, chez

l’homme, les transformations de certains organes rudimentaires ?

« L’idée transformiste est la seule qui nous apparaisse maintenant comme capable de fournir une réponse satisfaisante à la question de l’origine des êtres vivants qui peuplent la terre. » (Yves Delage). Non seulement cette doctrine éclaire l’origine des espèces végétales et animales, mais encore l’origine de l’homme, et c’est ici que la réaction élève ses protestations. L’animal ne compte pas, qu’importe qu’il ait été créé par la nature. Mais l’homme, l’homme qui a été racheté par le sang d’un Dieu, l’homme ne peut pas avoir la même origine que l’animal. Il y a entre eux un abîme.

Une des raisons de l’opposition au transformisme réside dans la paresse intellectuelle et l’esprit misonéiste qui font que les bourgeois conservent leurs vieilles erreurs, ne voulant pas se donner la peine de faire un effort de pensée et de rompre leurs habitudes de tout repos. Ces gens-là ne veulent rien savoir quand une vérité nouvelle prend la place d’une vérité ancienne. Ils ne veulent rien modifier à leur façon de faire : comment accepteraient-ils de gaieté de cœur la théorie de l’évolution des espèces ? Ce serait se condamner eux-mêmes. Ils préfèrent obéir à la fausse tradition que leurs parents leur ont transmise plutôt que de regarder en avant et de vivre. Il ne faut rien attendre de ces tardigrades. L’hypothèse de la création est simple, elle satisfait les cerveaux médiocres : pas besoin de travailler pour la formuler. Tout esprit critique est écarté ; il n’y a point de discussion possible. On se contente d’affirmer : c’est plus facile. Le transformisme, au contraire, exige l’étude de toutes les sciences et un renouvellement de la mentalité. Il exige des esprits ouverts à toutes les recherches désintéressées, des âmes curieuses, avides de savoir. Avouons que certains cerveaux ne se transformeront jamais : l’exemple donné par certains individus — qui n’évoluent que pour se renier — nous ferait mettre en doute l’évolution, conçue comme un progrès, et une marche en avant. On se demande si l’humanité se transformera jamais, quand on voit la façon dont agissent les brutes de tous clans, de toutes classes !

Après le Darwinisme. Neo-lamarckiens et Neo-darwiniens. Essor donné aux sciences biologiques. — Tandis que les adversaires du darwinisme continuaient leur lutte à outrance contre les théories évolutionnistes, leur opposant des arguments sentimentaux ou pseudo-scientifiques, les savants sérieux tiraient du système toutes ses conséquences, y adhéraient sans restriction ou le modifiaient et le rectifiaient. Lamarck avait encore ses partisans, restés fidèles à l’influence du milieu, tandis que les disciples de Darwin ne juraient que par la sélection naturelle. D’autres savants tentèrent de concilier les deux tendances. Le darwinisme, en créant de nouveaux courants d’idées, avait bien mérité de la science. Pour les néo-darwiniens, l’action du milieu sur l’organisme fut rejeté. Le représentant le plus « absolu » de cette tendance fut Weissmann. Weissmann niait l’hérédité des caractères acquis. Il écrivit dans ce but un ouvrage sur la « Toute-puissance de la sélection naturelle ». Un dogme scientifique en remplaçait un autre ! Weissmann fit, par la suite, des concessions et atténua la rigueur de son système. Il y laissa filtrer l’idée lamarckienne de l’influence du milieu, en la rattachant à la lutte pour l’existence et à la sélection dont l’action restait primordiale. Darwin avait reconnu lui-même l’erreur qu’il avait faite en ne tenant pas suffisamment compte de l’action du milieu. L’étude de ce que Weissmann appelle « le plasma germinatif » nous entraînerait trop loin. Bornons-nous à rappeler que, d’après Weissmann, chacun de nous possède le plasma germinatif de ses parents, de ses