Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 1.djvu/489

Cette page a été validée par deux contributeurs.
DAR
488

La carrière de botaniste de Lamarck s’annonçait brillante (on lui doit la méthode dichotomique encore en usage aujourd’hui), lorsque la Révolution l’orienta dans une autre direction : deux chaires de zoologie ayant été créées au Muséum, la Convention lui en confia une, celle des animaux sans vertèbres. Lamarck apporta en zoologie la méthode qu’il avait employée avec succès pour les plantes. Chose singulière, le père du transformisme avait d’abord été anti-transformiste en botanique. L’esprit critique modifia par la suite sa manière de voir, qui s’exprima pour la première fois dans son Discours d’ouverture du Cours de l’an VIII. Dans l’appendice de ses Recherches sur l’organisation des corps vivants, il dira avec noblesse : « J’ai longtemps pensé qu’il y avait des espèces constantes dans la nature, et qu’elles étaient constituées par des individus qui appartenaient à chacune d’elles. Maintenant, je suis convaincu que j’étais dans l’erreur à cet égard et qu’il n’y a réellement dans la nature que des individus ». Comme il est réconfortant d’entendre un véritable savant confesser une erreur, et marcher résolument dans la voie de la vérité. En 1802, dans son Hydréologie, il défendit la doctrine des évolutions insensibles en géologie par le jeu des causes actuelles ; il fut en somme le premier paléontologiste des Invertébrés, et ses vues en géologie contribuèrent certainement à préparer ses idées sur l’évolution des êtres vivants » (V. Delbos). Le naturaliste philosophe étudia les animaux sans vertèbres, qu’il qualifie de « singuliers animaux ». « Toute science, disait-il, doit avoir sa philosophie… Ce n’est que par cette voie qu’elle fait des progrès réels ». Lamarck peut être considéré comme le fondateur de la Biologie, nom qu’il a donné à l’explication scientifique des phénomènes naturels dans lesquels la vie entière doit entrer.

Pour Lamarck, dont le génie divisa les animaux en invertébrés et en vertébrés, les espèces ne nous semblent fixées que parce que nous les considérons pendant un temps très court, tandis qu’elles se transforment constamment. Les espèces descendent les unes des autres par la transmission des variations, et l’homme n’échappe pas à la loi commune : il ne constitue pas une exception en dehors de la règle. Il est soumis aux mêmes lois que tous les êtres. Les animaux se transforment, mais sous quelles causes ? Le milieu extérieur influe sur la forme et l’organisation des êtres. Ne croyez pas que ce soit là une influence directe, vous méconnaîtriez la pensée de Lamarck, qui s’est expliqué suffisamment à ce sujet. L’animal ne subit point passivement l’influence du milieu extérieur, des facteurs internes, parmi lesquels l’habitude, née des besoins, entraînant l’usage ou non d’un organe (d’où modification ou disparition de cet organe) joue un rôle essentiel. Il y faut joindre l’hérédité. Lamarck, comme Buffon, a entrevu la loi de sélection naturelle. Cependant, pour lui, le progrès des êtres ne provient point de leurs conflits. L’inorganique passe selon Lamarck à l’organique, mais entre l’homme et les animaux supérieurs ont dû exister des intermédiaires ; l’homme a sans doute eu pour précurseur un quadrumane arboricole, voisin du singe.

Lamarck a été l’un des premiers à reconnaître le rôle joué dans l’origine de la vie par les forces physicochimiques. Il a parlé avant Huxley et Haeckel, de « petites masses de matières gélatineuses » douées de mouvement et d’irritabilité. La nature produit des générations spontanées en ce qui concerne les êtres rudimentaires, d’où descendent les espèces les plus élevées. Ces modifications ont été graduelles, et se sont produites sous l’influence du milieu et de l’habitude. Les besoins des animaux changeant leurs habitudes, leur organisation change également. L’emploi d’un organe développe cet organe, le non-usage l’atrophie. D’où des transformations progressives, et des transformations régressives. Lamarck explique par ces transformations

l’apparition des espèces. Son œuvre fourmille d’exemples. Les carnassiers ont des griffes parce que les circonstances les ont obligés à manger de la chair. Chez les mammifères aquatiques le bassin a disparu, n’ayant pas d’utilité, tandis que les chez les mammifères terrestres les nécessités de la locomotion l’ont développé. Les fossiles nous prouvent que ces animaux n’avaient point les mêmes besoins que leurs descendants, dont ils diffèrent.

L’évolutionnisme s’élevait contre le récit de la genèse, d’après lequel les animaux ont été créés une fois pour toutes, selon un type déterminé et immuable, alors que la raison appuyée sur l’observation fait sortir les espèces d’espèces antérieures par évolution ou différenciation, sous l’influence de diverses causes. Avec Lamarck, le dogme de la fixité de l’espèce s’écroule. L’être n’est point stable, mais varie lentement, donnant naissance à de nouvelles espèces. Lamarck ne s’expliquait point, il est vrai, pourquoi les Paléothériums et les Mastodontes s’étaient éteints ; il pensait que nos ancêtres les avaient détruits. On peut objecter à Lamarck que le besoin ne crée pas toujours l’organe. Vraie ou non, sa théorie n’en a pas moins puissamment contribué à dissiper l’ignorance.

On voit combien la pensée de Kant était fausse, lorsqu’il disait dans sa Critique du Jugement, ne pouvant expliquer autrement que par la finalité la genèse de l’être organisé : « Il est absurde d’espérer que quelque nouveau Newton viendra un jour expliquer la production d’un brin d’herbe par des lois naturelles auxquelles aucun dessin n’a présidé ». En dépit de Kant, ce Newton est venu, il avait nom Lamarck.

Gœthe (1749-1832), peut être considéré comme l’un des précurseurs du transformisme. Dans ses recherches sur les Métamorphoses des Plantes (1790), le grand poète examine les organes dans ce qu’ils ont de commun, leur forme originelle, ensuite les modifications de cette forme originelle, ensuite les modifications de cette forme. Les organes de la plante sont, d’après lui, le résultat de la métamorphose de la feuille. Toute forme — et il appliquait cette théorie à la boîte crânienne qu’il considérait comme composée de vertèbres modifiées — recèle le type primitif qui se modifie sous l’influence du milieu. Chez Gœthe le transformisme était encore une vue de l’esprit. Il n’en tira pas toutes les conséquences que devait en tirer Lamarck.

Étienne Geoffroy Saint-Hilaire (1772-1844), dont l’enseignement fut continué par son fils Isidore (1805-1861), est aussi l’un des précurseurs du Darwinisme. C’est à lui que la Convention avait confié une des deux chaires de zoologie, du Jardin des Plantes, qui fut consacrée aux vertébrés. Geoffroy Saint-Hilaire fut l’un des adversaires de Cuvier, créationniste impénitent. Il servit grandement les idées de Lamarck, qu’il défendit contre le grand pontife de l’époque. L’auteur de la Philosophie anatomique admet la mutualité des espèces, comme celui de la Philosophie zoologique, mais il l’explique différemment. Il supprime la réaction de l’individu, dont Lamarck tenait grand compte. L’influence du milieu n’est plus indirecte, mais directe. L’animal reste passif au sein des transformations qu’il subit. Geoffroy Saint-Hilaire reconnaît que les espèces actuelles proviennent d’espèces fossiles, l’absence d’intermédiaires n’ayant point l’importance que lui attribue Cuvier. Proche de Lamarck sous certains rapports, il s’en éloigne sous d’autres : il n’y a point de type unique pour lui, malgré l’unité de composition organique qui existe, croit-il, dans la série animale. On sait qu’Étienne Geoffroy Saint-Hilaire a découvert un véritable système dentaire chez les oiseaux et que pour lui la tête est formée d’un ensemble de vertèbres. Non seulement il a signalé les analogies qui existent entre les squelettes des vertébrés, mais il a fondé l’embryologie et fait con-