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étaient ceux des cabires, entre autres leur danse mystique que le poète gallois Cynddeler a décrites : « ils se mouvaient rapidement encercles et en nombres impairs, comme les astres dans leur course, en célébrant le conducteur ».

Les fêtes religieuses du sang, de la volupté et de la mort se retrouvent avec la danse dans toutes les religions et sous toutes les latitudes. Nous allons voir comment elles ont continué avec le Christianisme, de quelle façon il se servit de la danse tout en la combattant et comment, tout en prétendant supprimer les excès de ses manifestations collectives, il les rendit encore plus démentes et plus tragiques.

Le christianisme et la danse. — Les usages des fêtes et de la danse étaient trop implantés dans les mœurs pour qu’il fût possible, à un moment quelconque, de les faire disparaître. D’ailleurs, quelle puissance les aurait attaqués sérieusement ? Ne sont-ils pas la soupape de sûreté de la chaudière sociale ? Au cirque, dans les saturnales, l’esclave oubliait sa misère. Lorsqu’il danse en souvenir de la prise de la Bastille, le peuple oublie que des centaines d’autres bastilles ont été reconstruites contre lui. Le Christianisme put détruire les temples du paganisme, en brûler les bibliothèques, en massacrer les adeptes ; il ne put changer les mœurs populaires et il prit le parti le plus habile, celui de s’adapter à elles en déclarant chrétien ce qui était païen. C’est ainsi que les fêtes antiques se retrouvent avec la théogonie païenne dans la religion catholique. C’est par les cérémonies et ses réjouissances habituelles que le peuple fut attiré vers le nouveau Dieu. L’Église prétend qu’elle a toujours condamné la danse ; en principe, peut-être, mais non en fait. Avec ce remarquable opportunisme qui, s’il lui a enlevé tout droit à l’autorité morale qu’elle prétend exercer, a fait sa force et sa fortune, elle s’en est servie comme de toutes les formes de ce qu’elle appelle « le péché ».

Les premiers ordres monastiques furent formés de réunions d’hommes et de femmes qui se retiraient dans des solitudes pour danser et faire leur salut. On les appelait choreutes du nom des danseurs grecs. Dans les premiers temps du Christianisme, à Antioche, les fidèles dansaient dans les églises et devant les tombeaux des martyrs. Chaque jour avait ses hymnes avec des danses propres, et la veille des grandes fêtes, on se réunissait la nuit, à la porte des lieux de culte, pour chanter et danser. Grégoire le Thaumaturge introduisit la danse dans le culte, et son développement devint de plus en plus grand à mesure que les cérémonies prirent plus d’éclat devant un plus grand nombre de fidèles. Les prêtres la conduisaient alors dans le chœur des églises. On disait que Saint Paul avait préconisé la danse comme une forme du culte. Les pères de l’Église en faisaient l’éloge et rappelaient que les Hébreux l’avaient pratiquée. D’après Saint Basile, elle était « par excellence l’occupation des anges dans le ciel ». L’église favorisait les anciennes fêtes païennes du 1er janvier, les dionysiaques et les saturnales, les brumalies célébrées en mars et en septembre en l’honneur de Bacchus, les vota, premières fêtes votives dont l’usage est demeuré, particulièrement dans les romérages des villages de Provence. C’est ainsi que s’organisèrent peu à peu dans les églises, et dans le même esprit que celui des saturnales, les fêtes des Innocents, des Fous, de l’Ane, des Sous-diacres ou des Diacres-saouls, des Cornards, des Libertés de Décembre et nombre d’autres dont les noms varièrent suivant les provinces. De ces fêtes, devait sortir le théâtre du moyen-âge. (Voir Théâtre). Elles avaient un caractère carnavalesque et leur fond principal était la parodie des cérémonies du culte. Des ecclésiastiques en étaient les organisateurs et les principaux acteurs. Dans la fête de l’Ane, cet animal était conduit en grande pompe dans l’église ; une messe était

célébrée à laquelle était mêlée la prose de l’âne. Les prêtres et le peuple chantaient et dansaient ensuite autour du baudet. La fête des Fous durait pendant les trois jours des saints Étienne, Jean et des Innocents, à la fin décembre. On élisait un pape ou évêque des fous qui prenait place dans le siège épiscopal, revêtu des ornements pontificaux. Les prêtres, barbouillés de lie, masqués et travestis, entraient en dansant dans le chœur et chantaient des obscénités. On mangeait sur l’autel des boudins et des saucisses, on y jouait aux cartes et aux dés, on brûlait de vieilles savates dans des encensoirs. Les danses continuaient au dehors ; les diacres et les sous-diacres étaient charriés par les rues dans des tombereaux remplis d’ordures où ils prenaient des poses lascives et faisaient des gestes impudiques. Ces « joyeusetés cléricales » se déroulaient non seulement dans les églises, mais aussi dans les couvents des deux sexes. La bibliothèque de Sens possède le manuscrit de l’Office de la fête des fous de Sens, attribué à l’archevêque Pierre de Corbeil. À Évreux, pour la fête des Cornards, qui avait lieu le 1er mai, on se couronnait de feuillages. Les prêtres mettaient leur surplis à l’envers et se jetaient du son dans les yeux puis dansaient avec le peuple. À Auxerre, la fête des fous se célébra jusqu’en 1407 et, en 1538, les chanoines jouaient encore à la balle dans la nef de la cathédrale, après quoi venaient le banquet et la danse. Ce ne fut qu’en 1467 que le duc de Bourgogne enleva au peuple de Liège son antique privilège de danser dans l’église.

On voit qu’au moyen-âge, et encore après, l’Église ne s’effarouchait pas de ces licences qui se manifestaient dans la danse comme dans toutes les formes de l’art, dans les farces, dans les fabliaux, dans les sculptures des cathédrales. Pour établir sa puissance, elle avait besoin que ce peuple, alors primesautier et épris de liberté, fit bon ménage avec le « bon Dieu ». Elle était indulgente aux simples et offrait des lieux d’asile aux persécutés. La maison de Dieu était « le domicile du peuple… la vie sociale y était réfugiée tout entière… On y mangeait puis on y dansait » (Michelet) ». L’Église ne songea d’abord à proscrire les divertissements religieux que lorsqu’ils risquèrent de trop faire oublier la religion. Elle les attaqua ensuite plus vivement lorsque, sa puissance définitivement établie, elle voulut imposer l’hypocrisie d’une vertu qu’elle avait de plus en plus perdue. Elle donna alors à Tartufe « le plus sale des deux masques que Satan avait au sabbat » (Michelet). Mais les mesures qu’elle prit furent toujours inopérantes et c’est d’ailleurs parmi les ecclésiastiques eux-mêmes qu’elle rencontra la plus forte résistance. Les prêtres dansaient entre autres le jour de leur première messe. En Allemagne, au milieu de sa messe d’installation, le nouveau curé allait prendre sa mère par la main et dansait avec elle. Il fallut un arrêt du Parlement de Paris, rendu en 1547, pour faire cesser cet usage en France. Celui des danses dans les églises, des « ballets dévots », comme dit Huysmans, persista dans certaines provinces jusqu’au xviie siècle. Un autre arrêt du Parlement de Paris fut rendu contre elles le 3 septembre 1667, et des ecclésiastiques résistaient toujours. À Limoges, le curé de Saint-Léonard dansait avec ses paroissiens dans le chœur. Il y avait encore des traces de ces ballets dans le Roussillon, au xviiie siècle. La cathédrale de Séville n’a pas cessé de posséder un corps de danseurs appelés seises qui évoluent devant le maître-autel au son de castagnettes en ivoire. On voit encore, dans certaines localités françaises, des danses ambulatoires, longues processions auxquelles participent des prêtres et qui sont des représentations plus ou moins parodiques des scènes de la vie de Jésus-Christ.

La transformation des mœurs fut plus efficace que les arrêts de l’Église, qui a plus suivi les mœurs qu’elle ne les a dirigées. On le voit encore de nos jours par les manifestations isolées et inutiles de certains prélats qui