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ries : particulières, religieuses, lyriques et dramatiques. Nous allons résumer l’histoire de la danse dans cet ordre, en divisant les danses particulières en danses populaires et danses de société et en rattachant les danses lyriques aux danses dramatiques.

La danse populaire. — Toutes les danses ont été, à leur origine, des danses populaires ; elles sont nées du peuple comme un des moyens d’expression naturels de ses sentiments.

Populaire était la danse religieuse en l’honneur du feu, du soleil, de la terre féconde, des esprits bienfaisants, avant que le prêtre vint l’obscurcir de mystère et la souiller de sacrifices sanglants. C’est une omelette que la population des Andrieux, dans les Alpes françaises, offre encore aujourd’hui au soleil lorsqu’il reparaît le 10 février au-dessus des montagnes qui enserrent leur village et après une éclipse de cent jours. Cette fête de l’offrande au soleil s’accompagne de danses. Elle était l’hommage de l’homme primitif à l’astre qui lui apportait la lumière, réchauffait ses membres, faisait mûrir la moisson, avant que les sorciers religieux, ensanglantant ce culte naïf et simple, en eussent fait ceux de Mythra, de Moloch, de Bouddha, d’Horus, d’Apollon, de Jésus et de cent autres personnages créés par leur imagination fertile en impostures. C’est du culte du feu et du soleil qu’est sorti celui, druidique, de Beal et que s’est conservé l’usage d’allumer des feux sur les montagnes. Sont aussi de même origine les feux et les danses de la saint Jean et tant de fêtes qu’on retrouve dans les coutumes de tous les pays comme les processions et danses grotesques des ramoneurs de Londres à la Noël, et les calendo de Provence avec leur cacho-fio, ou bûche de Noël, symbole de la renaissance du feu.

Les survivances sont aussi nombreuses des fêtes qui célébraient les cultes d’animaux fabuleux ou les victoires remportées sur eux, telles celles du serpent (l’Isère) et du dragon (le Drac), qui menaçaient Grenoble :

Le serpent et le dragon
Mettront Grenoble en savon.

Celles de la tarasque (Provence), du graouilli (Metz), de la gargouille (Rouen), etc. Il en est resté des danses comme la moresque (Provence), le bacchuber ou danse des épées, à Gap, la bravado, à Riez, etc… Tous les esprits des airs, de la terre et des eaux, ces êtres de rêve qui poétisent encore les vieilles croyances populaires : les fées, les follets, les sylphes, les lutins, les robolds, les gobelins, les elfes, les djiners, les ondines, se présentaient toujours dansants à l’imagination.

Populaire aussi la danse de guerre et de chasse où l’homme, fier de sa force et de son adresse, célébrait naïvement sa victoire dans la lutte. Certains peuples allaient à la bataille en dansant. On appelait danse persique la marche de la milice grecque imitée des Perses. Après les festins, on exécutait en Grèce la danse des Lapithes qui simulait leur combat contre les Centaures. Il reste de nombreux souvenirs des danses guerrières représentant des combats. Elles étaient surtout des pantomimes et des acrobaties. On les retrouve à l’état primitif chez les peaux-rouges, les néo-zélandais, les nègres. Ceux-ci s’amusent fort à imiter de façon grotesque les animaux dans leurs attitudes. Dans l’antiquité, et depuis, ces danses furent surtout des exercices de préparation guerrière. Elles donnèrent naissance aux sports et se confondirent avec eux. Les Romains bannissaient de leurs gymnases la véritable danse. Elle demeura plus ou moins dans les exercices militaires et c’est ainsi qu’à plusieurs reprises des ordonnances autorisèrent des écoles de danse dans les casernes françaises. La dernière, en 1818, fut rendue pour encourager la danse et l’escrime.

Mais la danse populaire par excellence est celle d’amour et de joie, le divertissement où l’on s’efforçait de plaire par son esprit et sa grâce, où l’on se délassait

du travail, se distrayait des soucis journaliers et où l’on donnait libre cours à sa bonne humeur, à son exubérance de corps et de sentiment. Cette danse d’amour et de joie se trouva tout naturellement unie à la poésie et à la musique pour produire la chanson (voir Littérature) inventée par les hommes « qui eurent les premiers le sentiment des mouvements, des cadences, des retours périodiques qui constituent le fond de tout art lyrique » (Julien Tiersot). Il n’est pas de peuple chez qui la danse et la chanson ne se soient ainsi manifestées comme un produit spontané du lyrisme humain. Les primitifs trolariens chantent en exécutant leur comédie du rapt des femmes :

Nous étions trois filles,
Filles à marier ;
Nous nous en allâmes
Dans un pré danser.
Au pré mes compagnes,
Qu’il fait bon danser !

Un berger arrive, et d’autres, qui veulent embrasser les filles ; il y a lutte, séduction, enlèvement : c’est le thème universel et immortel de l’amour et de la chanson de danse, chez les civilisés comme chez les sauvages. C’était celui des pâtres et de leurs compagnes dansant au temps de l’Iliade en chantant : « Où trouverai-je des roses ?… Où trouverai-je des violettes ?… » et qui trouvaient l’amour. La description de leurs danses faite par Homère, et leur représentation sur le bouclier d’Achille, sont les images frappantes des caroles ou danses françaises du moyen-âge qui s’accompagnaient de chansons semblables.

C’est toujours dans les éléments populaires que l’art de la danse s’est renouvelé et a trouvé ses plus remarquables inspirations. Un journal citait dernièrement cette opinion du musicien Maurice Ravel, assistant en Suède à des danses populaires : « c’est plus beau que les ballets suédois ». De même, les danses populaires françaises, russes, nègres, sont plus belles que les ballets français, russes, nègres. Elles ne sont pas la représentation de la joie ; elles sont la joie elle-même.

Le caractère de la danse populaire a varié avec celui des populations, de leurs milieux, de leurs occupations et de leurs goûts ; mais l’amour en est le fond immuable chez toutes. Il n’est pas de contrée où l’on n’ait pas dansé et où l’on n’ait pas eu sa danse de prédilection, même en Chine où la danse serait considérée depuis longtemps comme un amusement ridicule et peu digne.

A Athènes, les danses dionysiaques reçurent du peuple cette variété qu’elles devaient transmettre à la danse dramatique avec l’emmélic, noble et grave, la cordace, plus vive, violente et licencieuse, qui se retrouve dans la saltarelle romaine et la tarentelle napolitaine, la sicinnis, véhémente et satirique. Dans le Pont et en Ionie, une des formes de la sicinnis était la bachique, en l’honneur de Pan et de sa compagnie de satyres, silènes, nymphes et ménades. Les Lacédémoniens préféraient les danses guerrières, la pyrrhique en particulier. Lycurgue voulait qu’elle fût apprise à l’enfant dès l’âge de sept ans. Mêlée à des éléments dionysiaques qui la rendirent moins violente, la pyrrhique se répandit dans toute la Grèce. D’après une description d’Apulée dans les milésiennes, on y retrouve les figures du quadrille. La pyrrhique est aujourd’hui l’albanaise. Une de ses contrefaçons fut la bocane qui a donné son nom au boucan. Les Syracusains et les Crétois portaient leur préférence sur les danses lyriques accompagnées de chants sacrés en l’honneur d’Apollon.

Indépendamment des danses pratiquées dans les fêtes collectives qui avaient un caractère religieux ou national, il y avait en Grèce toute la variété des danses particulières, depuis la comique aposkélésis, exécutée par des enfants, jusqu’à la funèbre danse des robes qui a encore sa place dans les obsèques. Dans l’Epithalame