Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 1.djvu/472

Cette page a été validée par deux contributeurs.
CUL
471

de notre ère, elles ont été mises au diapason du dogme catholique.

Malgré cette cuisine, pas toujours.très adroite, — en comparant les textes du Nouveau Testament avec les accusations portées contre les premiers chrétiens par les contemporains et avec les pratiques des sectes hérétiques, où la tradition primitive avait beaucoup plus de chance de se conserver que dans une Église devenue officielle — en procédant donc d’après la méthode critique qu’on applique à tout récit légendaire ou même historique, on peut se rendre compte des mœurs des chrétiens primitifs.

Ainsi, on s’aperçoit que le Christ légendaire est un homme de mœurs assez « relâchées ». Son attitude aux noces de Cana, ses relations avec la courtisane Marie, sœur de Marthe, sa bonne amie également (c’est cette courtisane hystérique qui baignait ses pieds de larmes et les oignait de parfum), ses festins continuels en compagnie de péagers et de gens de mauvaise vie, ses dispositions à l’égard de la femme adultère, ses entretiens néo-platoniciens avec la Samaritaine qui avait eu cinq maris et dont le compagnon actuel n’était pas le mari, les femmes aisées et énamourées, cela va sans dire qui l’assistaient de leurs bourses — tout cela ne fait pas du Jésus mythique un ascète ni un doctrinaire très rigoureux sur le chapitre des mœurs.

Le rôle de Père la Pudeur, de Modérateur, fut destiné à un certain Saul, natif de Tarse, en Cilicie, un visionnaire doublé d’un épileptique, qui a orienté le christianisme naissant vers le dogmatisme et l’ecclésiasticisme.

À remarquer qu’à Tarse on adorait le dieu Sardan, qui présidait à la végétation, une divinité solaire qui mourait sur un bûcher puis montait au ciel.

Toujours est-il que converti au christianisme, sous le nom de Paul, cet homme, croyant la fin du monde proche (comme les autres chrétiens d’ailleurs), se mit en tête d’édifier et de moraliser à la judaïque les communautés chrétiennes primitives. Dans.ce but, il leur écrivit lettres sur lettres. Ces lettres prêches sont connues sous le nom d’Épîtres. Nous ne les connaissons pas dans leur rédaction primitive. L’autorité de certaines est contestée. Il est évident qu’elles ont été mises elles aussi, au diapason de la dogmatique ecclésiastique du ive siècle.

On veut que ces Épîtres aient subi des remaniements dus aux disciples du gnostique Marcion et aux anti-marcionites. Ce n’est qu’après avoir gratté la couche de ces corrections qu’on retrouve le véritable texte de Saint Paul.

Sans vouloir creuser aussi profondément, contentons nous de dire que ces Épîtres nous présentent Paul sous les traits d’un farouche contempteur de l’œuvre de chair. Il pense « qu’il est bon pour l’homme de ne point avoir de contact avec la femme » (I Corinth. 7/1). S’il autorise le mariage c’est par « condescendance » (id. 7/), et parce qu’il vaut mieux encore se marier que brûler. À ceux qui ne sont pas mariés et aux veuves il déclare, qu’il est bon de rester comme lui, célibataire (id. 7/8). Farouche, partisan de l’autorité paternelle il énonce : « Celui qui marie sa fille fait bien, celui qui ne la marie pas fait mieux » (id. 7/38).

Il entreprend une campagne contre les mœurs libres des premiers chrétiens et ce que les censeurs ecclésiastiques ont laissé passer montre ce qu’elles étaient. On entend dire généralement, écrit-il aux Corinthiens (I Corinth. 5/1), qu’il y a parmi vous de l’impudicité et une impudicité telle qu’elle ne se rencontre pas même chez les païens. Mêmes objurgations dans ses épîtres aux fidèles des églises de Colosses, Philippes, Éphèse, Thessalonique, etc… Partout le même refrain : Guerre à l’impureté, l’impudicité, les passions, les désirs, etc…

D’ailleurs, il veut commencer par en haut sa réforme des mœurs : « Que l’évêque, que le diacre, que l’ancien soit le mari d’une seule femme ». (Ep. à Timothée et à Tité.)

Les exégètes catholiques prétendent que dans ces derniers textes, il faut voir une allusion aux « secondes noces », question qui troublait alors l’Église. Un pasteur protestant m’a objecté une fois que la loi romaine autorisant le concubinage, on avait toléré la polygamie dans certains cas, pour ne pas dissoudre la famille. Mais ce sont des explications après coup. Il n’y a qu’à se rendre compte de l’état d’esprit du célibataire Paul et de son attitude arrogante à l’égard des libres mœurs des chrétiens primitifs, pour se rendre compte qu’il ne voulait pas de dignitaires polygames dans les communautés ou églises qu’il dirigeait ou influençait. Il ne voulait de polygames que pour martyrs.

Jude, au verset 12 de son Épître, avoue qu’il y a des hommes qui « souillent leur chair » et qui sont des « écueils » dans les Agapes. Il est forcé ainsi de donner raison aux romains, qui prétendaient que lesdites agapes étaient un lieu « de mystères infâmes », y compris la pédérastie.

Dans l’Apocalypse, les églises de Pergame et de Thyatire sont encore stigmatisées comme impudiques. Et l’Apocalypse est d’une date tardive.

Il ne faut pas prendre au tragique les mines scandalisées des écrivains romains quand ils parlaient des chrétiens primitifs. Les chrétiens primitifs fournissaient aux dirigeants de l’Empire un commode moyen de diversion politique, et l’on criait « aux lions les chrétiens » comme on fait aujourd’hui des procès de tendance aux communistes, aux révolutionnaires, aux anarchistes.

Les adeptes des cultes orientaux faisaient dans leurs mystères les mêmes gestes que les premiers chrétiens dans leurs agapes, mais ils ne se montraient pas rétifs devant l’autorité.

Les premiers chrétiens, au contraire, de par leur ascendance, judaïque de race ou d’intellect — les juifs étaient un peuple au col « roide » — se montraient rebelles au gouvernement impérial. Le service civil leur répugnait, le métier militaire leur était odieux ; enfin — et c’était là le principal — ils ne voulaient pas prêter le serment civique « au nom du génie de l’empereur ». L’État ne leur pardonnait pas ce refus et y voyait motif à suspicion.

Ce n’est donc pas à cause de leurs cris au scandale que j’accepte en partie les accusations des Romains contre les premiers chrétiens. C’est parce qu’elles cadrent avec les admonestations des Épîtres, ou ce qui en est parvenu jusqu’à nous.

Quand on veut se faire une idée des mœurs des primitifs, on ne se réfère pas à la morale officiellement en vigueur au sein des civilisations anglo-saxonne ou latine, par exemple.

On s’en va vers les aborigènes de l’Australie de l’Afrique Centrale ou Méridionale, de l’Amérique du Sud. On suppose que moins ils sont en contact avec nos civilisations, plus ils ont conservé de traits primitifs.

De même, quand on veut se faire une idée des mœurs des premiers chrétiens, on ne se réfère pas au catholicisme, à l’orthodoxie grecque, au luthérianisme, à l’anglicanisme, au calvinisme, etc., qui représentent des aspects civilisés du christianisme.

On s’en réfère aux Carpocratiens, aux Turlupins aux Kloeffers, aux Adamites, aux Hommes de l’Intelligence, aux Frères du Libre Esprit, etc., où on a tout lieu de supposer que la tradition primitive avait été conservée avec plus de pureté que dans les Églises officielles, d’autant plus que ces dernières les traquaient avec une férocité semblable à celles que les civilisés montrent à l’égard des Primitifs.