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dans ce cas les lois qui régissent l’Univers varient, vos calculs sont faux et personne ne connaît, personne n’est à même de connaître l’État de l’Univers ― il y a des milliards d’années. Pourquoi, dès lors, vous autorisez-vous à en parler ? Voilà ce que j’ai à dire sur votre première proposition. Est-il bien nécessaire maintenant que je m’explique sur la seconde ? Oui ? Eh bien ! j’en dirai quelques mots.

L’ordre, dites-vous, ne peut pas s’être établi tout seul et de lui-même. Je vais sans doute vous étonner, Monsieur le Pasteur, et, cependant, je ne crains pas de dire que s’il y a eu désordre dans l’agencement universel l’ordre n’a pu s’y établir que tout seul et de lui-même, par la force des choses, par le jeu fatal des forces en présence, par la suite nécessaire des mouvements, bouleversements et transformations contenus, à l’état potentiel, dans les corps en lutte. Permettez-moi une petite, toute petite comparaison : supposez l’Océan tourmenté par une formidable tempête, imaginez celle-ci parvenue à son paroxysme. Pour ne pas dramatiser le débat sérieux auquel nous nous livrons, j’éviterai, toute description empruntée à l’horreur de la plus violente tempête, dans la nuit la plus profonde, sous le ciel le plus bouleversé et sur la mer la plus furieuse. Cette tempête est l’image du désordre. En seriez-vous encore à croire que, pour calmer la violence de l’ouragan, le tumulte de l’orage et le soulèvement des flots, il faille qu’intervienne le Pacificateur suprême ; (si vous étiez prêtre, au lieu d’être pasteur, j’ajouterais la Madone, la Mère de Dieu, la Sainte Vierge !) Laissons au marin Breton ces grotesques superstitions ― et rions de son ignorante crédulité. Mais ne cédons pas à cette crédulité et ne tombons pas dans ces absurdités superstitieuses. Prenez garde, Monsieur le Pasteur, prenez bien garde : en affirmant que pour faire succéder l’ordre au désordre, il faut que se produise l’intervention de l’Ouvrier Divin, vous vous laissez choir dans le même abîme de superstition et de crédulité que le marin breton.

Celui qui met un frein à la fureur des flots
Sait aussi des méchants arrêter les complots.

Le poète a pu exprimer en ces termes sa foi en le Souverain Maître ; son excuse est d’abord qu’il n’appartenait pas au siècle de lumière qu’est le nôtre et qu’en suite, il ne discutait pas ; il rimait. Mais vous, monsieur, qui discutez sérieusement une question sérieuse, oserez-vous parler sans rire de « Celui qui met un frein à la fureur des flots » ? Vous savez bien que le calme succède à la tempête, que, après un temps plus ou moins long de bouleversements, d’agitations et de hurlements, le flot s’apaise de lui-même, que l’agitation tombe d’elle-même, et que, de lui-même aussi, le hurlement des flots en fureur se transforme en l’éternelle chanson du flux et du reflux. À supposer qu’il y ait eu tempête, autrefois, c’est-à-dire selon vous, désordre dans l’Univers momentanément bouleversé par les transformations qu’il a subies, l’apaisement, c’est-à-dire l’ordre, se serait fait peu à peu, tout seul et de lui-même, sans qu’il fût besoin qu’intervienne une Puissance extérieure et surnaturelle. Au fait, monsieur le Pasteur, si cet Ouvrier divin est intervenu, d’où sortait-il ? Où était-il avant et pendant l’état chaotique ? Que faisait-il ? Assistait-il, indifférent et impassible, à ce désordre ? Si oui, pourquoi et comment ? Et, alors, d’où vient que, tout d’un coup, il ait abandonné cette attitude impassible ? Pour quelle raison, et dans quel but est-il intervenu ? Allons, allons ; cessons de jeter dans une controverse sérieuse de tels enfantillages. »

On me croira, je l’espère, surtout après avoir lu attentivement ce qui précède, quand j’ose affirmer que je reproduis ici, fidèlement, les objections qui m’ont été faites, chaque fois que je me suis trouvé en présence,

non pas seulement de vagues croyants plus ou moins cultivés et capables de controverser, mais encore en face des porte-parole les plus autorisés du culte catholique et protestant.

Il est possible que le lecteur soit étonné du peu de consistance de la thèse chrétienne soutenant l’absurdité de la création ex nihilo. Ce qui est surprenant, ce ne sont pas le ridicule et l’invraisemblance de cette thèse, c’est le crédit qu’elle a trouvé depuis des siècles et qu’elle trouve encore auprès d’une foule de gens qui ne sont pourtant dépourvus ni d’intelligence, ni de culture.

Je m’excuse d’avoir, à propos de la création ex nihilo plus particulièrement mis sur la sellette la religion chrétienne. Ce n’est pas, qu’on veuille bien le croire, parce que je poursuis cette forme spéciale de l’idée religieuse, d’une hostilité particulière ; c’est, tout simplement, parce que, plus que toutes les autres, la religion catholique s’est prodiguée, avec un art incomparable, en démonstrations captieuses touchant ladite création ; c’est parce qu’elle a mis à contribution, sur ce point fondamental de sa doctrine, les ressources intellectuelles de tous ses commentateurs et doctrinaires. Mais il reste hors de doute et, conséquemment, bien entendu, que ma démonstration s’applique à l’ensemble des religions qui, toutes, reposent sur la croyance en un Esprit éternel et tout puissant qui, préexistant à tout ce qui tombe sous nos sens, a tiré du néant l’Univers au sein duquel nous existons. ― Sébastien Faure.


CRÉDULITÉ. n. f. Facilité à croire. L’homme crédule est un individu qui croit sans contrôler ce que lui raconte celui ou ceux en qui, à tort ou à raison, il a placé sa confiance. L’homme est un puits inépuisable de crédulité, car depuis le temps qu’il sert de jouet à tous les fantoches qui l’exploitent, ses yeux et ses oreilles auraient dû s’ouvrir et il devrait savoir analyser les sentiments de ceux qui captent sa confiance et profitent de sa crédulité. Il n’en est hélas pas ainsi. Le Lachâtre nous donne une définition assez juste de l’homme crédule : « L’homme crédule ne peut pas mieux être comparé qu’à un individu qui fermerait les yeux et se boucherait les oreilles pour ne plus voir et ne plus entendre que par les yeux et par les oreilles d’un autre ». N’est-ce pas ainsi que cela se passe et plus particulièrement en matière politique ? Comment l’électeur peut-il être assez crédule pour écouter les sornettes de tous les faux prophètes qui lui promettent le bonheur et comment peut-il être assez naïf pour croire en la force et la puissance d’un individu qu’il délègue dans un parlement quelconque ? La crédulité est un sentiment mystérieux comme la Foi, mais il faut espérer que, à force d’en être les victimes, les crédules se guériront de leur crédulité et qu’ils se refuseront un jour à servir de tremplin aux arrivistes et aux coquins.


CRITIQUE. (Etym : criticus, latin ; kritikos, grec). Si l’on s’en tient à l’étymologie, ce mot signifie difficile, dangereux, pénible. Il qualifie un état de crise. Ex. : période critique, situation critique, point critique, température critique, etc. Mais en art, en littérature, en philosophie, en politique, le terme change de sens et de qualificatif devient substantif. Il désigne alors cette faculté qu’exercent les hommes dans l’examen des choses. Critiquer, c’est voir, étudier, juger, peser ; c’est produire une opinion sur une œuvre, l’analyser, la disséquer. La critique ne vaut, cependant, qu’à la condition d’être étayée sur des connaissances étendues, un goût sûr et une absolue sincérité, exempte de tout parti pris.

La critique remonte à la plus haute antiquité. Toujours les humains se séparèrent en deux catégories : ceux qui créent, ceux qui étudient et discutent les méri-