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« Affranchi par le droit actuel, légalement libre de sa personne, il n’est point, il est vrai, la propriété vendable, achetable de celui qui l’emploie. Mais cette liberté n’est que fictive. Le corps n’est point esclave, mais la volonté l’est. Dira-t-on que ce soit une véritable volonté que celle qui n’a le choix qu’entre une mort affreuse, inévitable et l’acceptation d’une loi imposée ? »

« Les chaînes et les verges de l’esclave moderne, c’est la faim. » Et nous pouvons ajouter que ces chaînes et ces verges, sont le travail de la Constitution qui les fabrique pour la Bourgeoisie et le Capital.

Les sociétés sont construites sur des iniquités politiques et économiques et l’on peut dire que les iniquités politiques sont engendrées par les iniquités économiques. Toute Constitution sociale qui ne détruira pas l’iniquité économique n’aura rien fait, et ce sera l’éternel recommencement comme ce le fut depuis 93. Que peuvent les belles phrases, les formules pompeuses, les déclarations ronflantes, la sincérité des intentions même, si tout l’ordre économique s’oppose à la liberté et au bien-être collectif.

Il ne suffit pas d’écrire sur les murailles des monuments, d’enseigner aux enfants que les hommes sont libres et égaux alors que la réalité de la vie se charge bien vite de dessiller les yeux.

Il n’y a de bonheur possible que dans la liberté et l’égalité. Or, la liberté et l’égalité ne se donnent pas par une Constitution plus ou moins élastique ; elles se prennent, elles se gagnent par la lutte, par la volonté de vaincre et du jour où la Liberté ne sera plus un vain mot, il n’y aura pas besoin de Constitution pour nous le rappeler, car elle se manifestera par sa Grandeur et sa Beauté.


CONTINGENCE. n. f. Ce qui est relatif, subordonné dans sa réalisation à un fait ou à un événement. Ce qui peut arriver ou ne pas arriver. Ce mot est peu usité en dehors de la Philosophie. La « contingence » a soulevé le problème de la liberté, de la fatalité et du déterminisme. La question se pose à savoir si l’homme est libre de tous ses mouvements, de ses actes, de ses pensées et, philosophiquement parlant, responsable ; ou si au contraire il est dépendant d’une quantité de « Contingences », et par conséquent irresponsable.

Les Anarchistes qui pensent que l’individu est le produit du milieu, qu’il hérite des tares et des bienfaits du passé, qu’il subit l’ambiance de tout ce qui l’entoure, estiment qu’il est subordonné aux « Contingences » ; mais il ne faut pas en conclure que socialement il est absolument irresponsable de tous ses actes. L’individu a, lui aussi, une volonté dans le grand tout et c’est cette volonté individuelle qui doit être en lutte constante contre les « Contingences », pour se libérer des entraves que celles-ci lui ont tissées.


CONTRAINTE. n. f. La contrainte nous dit le « Larousse » est la violence exercée contre une personne. Le Lachâtre, un peu moins bref, nous dit « qu’elle est la violence exercée contre quelqu’un pour l’obliger à faire quelque chose malgré lui ou l’empêcher de faire ce qu’il voudrait ».

Si l’on approfondit tout ce que renferme en elle cette dernière définition de la violence, on peut conclure que nous sommes à chaque instant de notre existence, contraints à commettre des actes qui nous déplaisent, et si la violence ne se manifeste pas toujours brutale pour nous les imposer, elle agit sur notre volonté et entrave par ses rigueurs notre liberté.

Il n’est pas abusif d’affirmer que nous vivons sous une contrainte perpétuelle dans la société actuelle basée sur l’autorité, et il coule de source, qu’il n’en peut être autrement.

De même que l’Autorité, la Contrainte s’exerce sur-

tout sur ceux qui sont placés en bas de l’échelle sociale et qui sont toujours les premières victimes des maux engendrés par le désordre économique et politique des sociétés modernes ; or, la contrainte est un des fruits de ce désordre et cela se conçoit, car sans elle la société capitaliste ne serait pas viable.

Nous passerons sous silence les premières contraintes que nous subissons, dès notre plus jeune âge, bien qu’elles déterminent souvent tout le cours de notre vie. C’est dans la famille, à l’école, qu’elles nous sont imposées, mais les jeunes cerveaux s’assimilent facilement et les souffrances que nous ressentons s’estompent lorsque nous approchons de l’adolescence.

C’est surtout lorsque nous arrivons à l’âge d’homme que la contrainte devient féroce et que nous sommes obligés de nous courber sous elle ou de mourir. Elle se présente d’abord à nous, par les formes de travail qui nous sont imposées et auxquelles il nous est impossible d’échapper. En abolissant l’esclavage et le servage on n’a pas aboli la contrainte et on n’a pas donné naissance à la liberté. On prétend que l’homme est libre, surtout depuis les transformations opérées par la grande Révolution française, et que la disparition des corporations a fait du producteur un homme libre, que c’est de bon gré qu’il travaille aux conditions qu’il accepte après les avoir débattues en pleine conscience et en pleine liberté.

Nous savons quel crédit il convient d’accorder à un tel argument. Si nous n’avions pas à subir dès notre entrée en ce monde les « contraintes naturelles », c’est-à-dire l’obligation absolue de manger pour vivre, nous ne serions pas assujettis comme nous le sommes. Mais nous ne pouvons pas nous abstenir de nous nourrir et nous savons fort bien que le travail est indispensable pour subvenir aux besoins matériels de la collectivité. Ce n’est donc pas le travail que nous considérons ici comme une contrainte, mais la forme qu’il emprunte.

Nous avons dit d’autre part que le capitalisme avait accaparé tous les moyens de production et toute la richesse sociale et que le travailleur ne possédant que ses bras était dans l’obligation de les louer pour suffire à ses besoins les plus immédiats. Prétendre que cette location est libre, est non seulement ridicule mais criminel, puisqu’il est évident que si le prolétaire se refuse à louer ses bras au capitalisme, il ne pourra trouver sa subsistance ; il est donc contraint de travailler pour le capitalisme, et aux conditions que ce dernier voudra bien lui imposer.

Le travail en société bourgeoise est donc une véritable contrainte, puisque le travailleur, sous peine de mort, ne peut pas échapper à cette loi arbitraire forgée de toutes pièces par les hommes au profit d’une catégorie d’individus.

Que de choses ne nous oblige-t-on pas à faire malgré nous ! Nous disons que la contrainte s’exerce sur tous les travailleurs et qu’il est impossible de l’éviter. Les gouvernements, par leurs impôts directs et indirects, font peser sur tous les individus une contrainte continuelle et ce n’est seulement que lorsque le peuple se révolte que la violence entre en jeu. La contrainte s’impose encore à nous, lorsqu’au nom de la « Patrie » nous sommes appelés à remplir nos « devoirs militaires » et à « servir le pays », et quelles que soient les mesures que nous prenions pour nous défendre contre les obligations que nous jugeons arbitraires, c’est de la contrainte, et toujours de la contrainte qui s’abat sur nous et nous écrase.

« Nécessité sociale affirment ceux qui l’exercent ; sans autorité et sans contrainte il n’y a pas de vie collective possible, nous disent les partisans des sociétés gouvernementales » ; cependant, depuis les milliers et les milliers d’années que les sociétés sont élaborées sur ces