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pour s’imposer à la masse, et manœuvrent de telle manière qu’il est impossible de les déloger des fonctions qu’ils occupent et qu’ils entendent conserver indéfiniment. Ce sont des travers qui ne seront vaincus que par l’éducation des travailleurs qui, prenant leurs responsabilités, n’attendront pas leur libération de la venue d’un messie quelconque. Sans remonter bien haut dans l’histoire prolétarienne de la France, il faut cependant citer, car il exerça une réelle influence sur la vie et sur l’action du Prolétariat, le Congrès d’Amiens qui, en 1906, traça les droits et les devoirs de la classe ouvrière, détermina le but qu’elle poursuivait et élabora une charte restée célèbre dans le monde syndical.

Depuis la fin de la « Grande guerre », différents Congrès nationaux se sont réunis ; celui de 1919 mérite une mention particulière, parce qu’il fut celui où Jouhaux, secrétaire de la Confédération générale du Travail exposa et chercha à légitimer les déviations dont il s’était rendu coupable durant la guerre ; et aussi parce que ce Congrès marqua l’aube de la division du Prolétariat français, qui devait s’effectuer au Congrès suivant, à Lille. Deux tendances s’affrontèrent à ce quatorzième Congrès, qui tint ses assises dans la ville de Lyon, et les principes du réformisme et de la collaboration de classe sortirent victorieux de la bataille. Il est curieux de relire les déclarations du secrétaire de la C.G.T., qui défendit avec chaleur son attitude guerrière et les relations qu’il noua au cours de la boucherie, avec les représentants officiels des divers gouvernements. Le Congrès de Lyon ne fut qu’une préface ; insensiblement, la classe ouvrière ouvrit les yeux et comprit son erreur ; elle se sépara petit à petit des chefs réformistes qui voulaient éteindre le flambeau qui, durant des années, avait éclairé le prolétariat, mais ceux-ci se mirent sur la défensive, et par un statut arbitraire éliminèrent de l’organisation syndicale, les ouvriers et les syndicats qui refusaient de se courber sous le joug des dirigeants. Les forces prolétariennes furent coupées en deux et la scission fut consommée au Congrès de Lille.

Il se forma par la suite, en conformité avec le Congrès qui se tint à Paris, en décembre 1921, une nouvelle confédération ouvrière, qui prit le nom de Confédération générale du Travail unitaire, et qui ne tarda pas à grouper plusieurs centaines de milliers de travailleurs. Depuis cette date, toutes les tentatives pour regrouper les forces éparses de la classe ouvrière sont restées inopérantes. Dans chaque Congrès, des motions d’unité sont présentées et votées par les délégués du prolétariat, mais il semble que ces congrès soient guidés par des forces occultes et l’application de ces motions reste vaine. Le mal dont souffrent les organisations politiques a pénétré dans le giron du prolétariat, et les Congrès ouvriers n’offrent plus un caractère particulier, mais sont le théâtre de luttes politiques qui affaiblissent le prolétariat.

Il nous faut dire quelques mots sur les Congrès anarchistes et plus particulièrement sur ceux qui ont déterminé le mouvement anarchiste à son origine. C’est en 1873, que l’on doit fixer la naissance de l’anarchisme en tant que mouvement ; car si, antérieurement, les partisans d’une société anti-autoritaire travaillaient en collaboration avec les éléments révolutionnaires de l’Association internationale des Travailleurs, c’est en 1873 qu’ils se désolidarisèrent d’une façon catégorique des défenseurs du principe d’autorité. La résolution qui fut présentée au Congrès anarchiste de Berne, qui se réunit en 1876, résolution qui fut acceptée par tous les délégués présents mérite d’être citée :

1o  Plus de propriété, guerre au capital, aux privi-

lèges de toute sorte et à l’exploitation de l’homme par l’homme ;

2o  Plus de patrie, plus de frontière et de lutte de peuple à peuple ;

3o  Plus d’État, guerre à toute autorité dynastique ou temporaire, et au parlementarisme ;

4o  La révolution sociale doit avoir pour but de créer un milieu dans lequel désormais l’individu ne relèvera que de lui-même, sa volonté régnant sans limites et n’étant pas entravée par celle du voisin.

Pour bien préciser les buts de l’Anarchisme, Elisée Reclus faisait adopter, en 1878, au troisième Congrès anarchiste qui tint ses assises à Fribourg, la résolution suivante :

« Nous sommes révolutionnaires parce que nous voulons la justice… Jamais un progrès ne s’est accompli par simple évolution pacifiste, et il s’est toujours fait par une évolution soudaine. Si le travail de préparation se fait avec lenteur dans les esprits, la réalisation des idées se fait brusquement. Nous sommes des anarchistes qui n’ont personne pour maîtres et ne sont les maîtres de personne. Il n’y a de morale que dans la liberté. Mais nous sommes aussi des communistes internationaux, car nous comprenons que la vie est impossible sans groupement social. »

Ces deux Congrès sont, à nos yeux, les plus importants, car ils établirent ce que l’on pourrait appeler une charte anarchiste. Il y eut par la suite, d’autres Congrès anarchistes, et notamment celui d’Amsterdam, en 1907, où Malatesta essaya de rapprocher les anarchistes individualistes et communistes, et tenta également de jeter les bases d’une internationale anarchiste. Malheureusement, ces tentatives échouèrent et, depuis, les anarchistes disséminés de par le monde n’ont eu entre eux que des relations par correspondance. Il faut espérer que la faillite des partis politiques donnera un renouveau d’énergie aux anarchistes, et que bientôt, unis nationalement et internationalement, ils se retrouveront dans les Congrès qui n’auront plus à jeter les bases de l’anarchisme théorique, mais à rechercher les moyens les plus propices pour abolir le capital et élaborer sur ses ruines une société libertaire de laquelle aura disparu l’autorité.


CONJECTURE. n. f. Jugement qui ne s’appuie que sur des probabilités et des suppositions. « La physionomie n’est pas une règle pour juger les hommes, elle nous peut servir de conjecture. » (La Bruyère.) Il ne faut jamais se fier aux apparences, et il ne faut jamais se baser sur des conjectures pour se faire une opinion. Condillac a dit fort justement : « Il est permis de conjecturer, mais avec beaucoup de réserve et de prudence, car celui qui conjecture ne s’appuie trop souvent que sur le vide ». Bien des gens devraient s’inspirer des conseils de Condillac, et ne pas émettre des jugements à tort et à travers. On se perd en conjectures, c’est-à-dire en présomptions, en suppositions, alors que la réalité brutale des faits devrait seule nous éclairer. La conjecture est dangereuse car elle est trompeuse et détermine parfois des erreurs regrettables.


CONJONCTURE. n f. Occasion, rencontre de circonstances. Il est des conjonctures favorables et des conjonctures fatales. « Toute confiance est dangereuse si elle n’est entière ; il y a peu de « conjonctures » où il ne faille tout dire ou tout cacher. » (La Bruyère.)


CONNIVENCE. n. f. Action de participer moralement à une action. Se rendre complice d’un fait en n’en empêchant pas l’exécution, bien qu’on en ait la possibilité.

« Un juge connive aux concessions d’un greffier. Le receveur connivait avec le percepteur. Cette mère