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1848 qui fut réprimée avec une sauvagerie sans nom dont on ne retrouvera l’équivalente qu’en 1871.

Ces trois mois de misère du public trouvèrent leur épilogue dans les fusillades, l’emprisonnement, la déportation de milliers d’ouvriers, la suppression de la liberté de la presse. Œuvre d’une réaction qui ne devait plus cesser de s’aggraver.

Le rêve ouvrier était encore une fois à terre. Ainsi s’écroulaient à tout jamais les illusions du socialisme utopique fraternitaire, ayant foi dans la bonne volonté des classes adverses.

De même disparaissait de la scène le socialisme autoritaire qui attendait de l’action de l’État la réalisation de la justice sociale.

De cette longue et cruelle leçon devaient surgir les idées prolétariennes modernes : Proudhon a aidé considérablement à leur éclosion en publiant « Les Contradictions économiques. Quelque jugement qu’on porte sur son œuvre si diverse, si touffue, si contradictoire, que certains ont pu dire de lui qu’il était le « Dieu de l’Anarchie », tandis que d’autres le traitaient de « petit bourgeois », il n’en est pas moins vrai que Proudhon exerça sur son époque, et longtemps après, une énorme influence.

Nous lui devons cette formule prophétique : « L’Atelier fera disparaître le gouvernement », dont la réalisation reste le souci du syndicalisme moderne. Apôtre de la liberté dont il avait le culte au plus haut degré, il lutta contre Marx et Engels qui étaient les apôtres de l’Autorité. Aussi, à peine ces hommes, doués les uns et les autres, d’une puissance de travail formidable, se furent-ils rencontrés qu’ils se séparèrent et s’affirmèrent d’irréductibles adversaires, comme le sont encore aujourd’hui les partisans de ces deux doctrines.

Le coup d’État du 2 décembre 1851 raffermit la réaction et il faut la venue d’éléments nouveaux pour que le prolétariat triomphe tant soit peu de la réaction. Le renouveau de l’action ouvrière ne se poursuivit qu’en 1862 après la visite des délégations ouvrières françaises à l’Exposition universelle de Londres, au cours de laquelle elle parut prendre contact avec les organisations anglaises.

L’année 1863 marqua une date importante dans le mouvement ouvrier français. C’est, en effet à ce moment que parut le Manifeste des Soixante par lequel les ouvriers parisiens proclamaient la rupture entre le prolétariat et la bourgeoisie même républicaine.

Ce manifeste donna prétexte à Proudhon de publier son dernier livre : De la capacité politique des classes ouvrières. Pour la première fois, disait-il la plèbe a fait acte de personnalité et de volonté. Elle a bégayé « son idée ». C’était vrai.

En cette année 63, l’agitation ouvrière s’accrut fortement. Elle fut surexcitée par les poursuites dirigées contre les grévistes de la typographie parisienne. Le gouvernement dut céder devant les organisations et l’opinion, en faisant voter la loi de 1864 qui reconnaissait le droit de coalition. C’était la conquête du droit de grève encore que la loi s’efforçât d’en restreindre autant que possible l’exercice.

Dès lors, les événements se précipitent. En 1864, se constitue à Londres, la Première Internationale, l’Association Internationale des Travailleurs, fondée le 28 septembre après un meeting international à Saint-Martin’s Hall. Karl Marx en écrivit les statuts qu’on peut résumer ainsi : « Les travailleurs d’un même métier formaient une section, ces sections à leur tour une Fédération, et c’est de l’ensemble de ces Fédérations qu’était composée l’Internationale à la tête de laquelle se trouvait un Conseil central siégeant à Londres ».

La section française fut formée en 1865. Elle eut son siège rue des Gravilliers. Le premier congrès de l’As-

sociation Internationale des Travailleurs se tint à Genève en 1866.

Il fut remarquable de tenue et de clarté.

Pendant que la délégation française faisait admettre que le but de l’Internationale était : « La suppression du salariat et que celle-ci s’obtiendrait par l’association corporative des travailleurs, la délégation anglaise faisait accepter le principe de la journée de huit heures comme revendication générale du prolétariat ». On évoqua même, dès cette époque, l’idée de grève générale.

Le deuxième congrès se tint à Lausanne en 1867. Il resta dans la tradition mutuelliste ; il déclara en outre « Que l’émancipation sociale des travailleurs est inséparable de leur émancipation politique et que l’établissement des libertés politiques est une mesure d’absolue nécessité ».

Pour avoir osé émettre de semblables affirmations la section française fut poursuivie dans ce pays, sans que ces poursuites gênassent d’ailleurs en quoi que ce soit le développement de la Première A. I. T.

Les Congrès suivants : Bruxelles (1868), Bâle (1869), marquèrent une évolution très nette vers le collectivisme sous l’impulsion de César de Paëpe et de Karl Marx, dont l’influence ne devait pas tarder à se montrer prépondérante.

À Bâle on décida « que la propriété collective était une nécessité sociale, que la société avait le droit d’abolir la propriété individuelle du sol et de la faire rentrer à la Communauté ».

Cependant que décroissait « Mutuellisme » modéré français et que montait l’influence de Karl Marx, une autre tendance, celle des « fédéralistes » s’affirmait sous l’impulsion de Michel Bakounine.

Marx et Bakounine ne devaient pas tarder à s’affronter. Pendant que les Marxistes déclaraient que la révolution sociale ne peut s’accomplir que par la prise de l’État et affirmaient indispensable la constitution du prolétariat en parti politique, les fédéralistes, avec Bakounine, voulaient supprimer l’organisation bourgeoise, désorganiser l’État actuel et reprendre la reconstitution sociale à la base par la Commune, cellule initiale, ce qui ne diffère guère de ce que veulent accomplir les syndicalistes fédéralistes d’aujourd’hui avec les Bourses du Travail et les Unions locales.

En ce qui concerne le rôle des syndicats, la divergence n’était pas moins sensible. En effet, pendant que les premiers prétendaient que les syndicats devaient restreindre leur action à la seule défense des intérêts corporatifs, les seconds voyaient en eux non seulement un instrument de lutte, mais encore une institution durable, dont le rôle serait, la révolution accomplie, de continuer la production et d’organiser le travail. On ne dit pas autre chose aujourd’hui.

Ces divergences eurent pour conséquence la scission d’abord, la fin de l’A. I. T. ensuite. Lorsque Marx parvint à se débarrasser de Bakounine en dominant complètement le Comité central, l’Association Internationale des Travailleurs, qui avait suscité tant d’espoirs, alla s’éteindre obscurément en Amérique, à New-York.

Néanmoins, son influence et son rôle furent énormes. En le dotant de cette formule : L’Émancipation des Travailleurs sera l’œuvre des Travailleurs eux-mêmes, elle a imprimé au mouvement syndical son véritable caractère. En même temps qu’elle a précisé les aspirations et les idées du prolétariat, elle a défini le but final de ses efforts. Elle l’a aussi débarrassé de la gangue nationaliste. C’est un résultat qui compte.

L’Association Internationale des Travailleurs joua, en France, un rôle considérable. Elle servit de point d’appui solide au mouvement revendicatif. C’est sur elle que s’appuyèrent les grèves des textiles de Roubaix, qui tournèrent à l’émeute, et celles des mineurs