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s’il peut assurer à chaque individu le maximum de bien-être et de liberté.

D’accord avec les anarchistes, les collectivistes reconnaissent que la propriété privée est une source de conflits, de misères, de tyrannie, de spoliation, d’injustices ; mais alors que les Anarchistes considèrent que l’ordre social ne pourra être réformé que par la mise en commun de tous les moyens de production, les collectivistes veulent substituer à la propriété privée la propriété d’État et déclarent que, pour se libérer du patronat et de l’exploitation, les classes laborieuses doivent s’emparer de toute la richesse sociale et la remettre à l’État tout puissant, émanation de la volonté et des aspirations collectives.

Nous ne nous arrêterons pas, pour présenter le collectivisme et en souligner les erreurs, au socialisme original de Saint-Simon, qui pensait que le monde pouvait être rénové par un gouvernement d’hommes probes et sincères, et qui mettait tout son espoir entre les mains de certains dirigeants honnêtes. « Les chefs des prêtres, les chefs des savants, les chefs des industriels, voilà tout le gouvernement » (Saint-Simon). Nous ne croyons pas utile non plus de signaler les essais négatifs de Fourier, avec ses phalanstères et de Owen en Écosse et en Amérique, avec ses coopératives ; le socialisme a évolué avec une telle rapidité ces dernières années, que nous avons des points d’appui beaucoup plus sérieux, et nous pouvons nous éclairer à des expériences concluantes.

Pour atteindre son but, le collectivisme veut transformer en son entier le régime capitaliste, mais il entend cependant maintenir deux institutions de l’ordre actuel : le gouvernement et le salariat.

Le gouvernement serait l’organe de centralisation et de monopolisation de toute la richesse sociale ; il serait le moteur de toute l’activité économique, morale et intellectuelle de la nation ; il serait le pilote entre les mains de qui on abandonne toute la direction de la barque sociale. Un mauvais coup de barre et la barque chavire. L’exemple du passé a suffisamment démontré que le mal ne réside pas spécifiquement dans la propriété privée qui n’est qu’un effet, mais dans l’autorité qui est une cause. En maintenant dans un régime social un gouvernement qui, par essence et par définition, ne peut être qu’autoritaire, le collectivisme retombe fatalement dans les mêmes erreurs politiques et sociales que le démocratisme.

Traçons de suite, pour plus de clarté et aussi brièvement que possible, les attributions d’un gouvernement collectiviste. De nos jours, le rôle d’un gouvernement consiste à défendre et à soutenir les intérêts des classes privilégiées qui détiennent le capital et toute la richesses sociale.

Dans une société collectiviste, les fonctions d’un gouvernement seraient beaucoup plus lourdes et ses pouvoirs plus étendus, puisqu’au nom de la collectivité — tout ayant été étatisé — il serait obligé :

1o D’assurer et de contrôler la production nécessaire à la vie de la nation ;

2o De régler la répartition des vivres et de tous objets indispensables, utiles ou agréables à la collectivité ;

3o De gérer toutes les grandes exploitations agricoles, industrielles ou commerciales ;

4o De s’occuper de tous les grands services publics : gaz, chemins de fer, postes et télégraphes, hôpitaux, hygiène, etc….

5o D’administrer les banques, les compagnies d’assurances, les spectacles, enfin tout ce qui a trait à la vie de la nation.

En un mot, rien de ce qui intéresse la vie de l’indi-

vidu et de la collectivité ne devra lui être étranger, et, à condition de travailler pour obtenir un salaire rémunérateur (nous nous occuperons plus loin de cette question), l’individu n’aura plus qu’à se laisser vivre comme en un pays de cocagne. Le gouvernement s’occupera de tout, et l’homme ne sera plus qu’une machine munie d’un appareil digestif.

Avouons qu’il faut posséder une réelle dose de naïveté et d’inconscience pour croire à la réalisation d’un tel programme : mais ne nous laissons pas entraîner par une opposition d’ordre sentimental et examinons si sa réalisation est possible et si elle changera quelque chose à l’ordre social que nous subissons actuellement. Sébastien Faure dans sa « Douleur Universelle » nous dit que « l’idée de Gouvernement renferme de toute nécessité, les deux idées suivantes « Droit et Force ». En effet, on ne peut admettre logiquement qu’un gouvernement puisse accomplir la tâche qui lui est assignée si on ne lui assure pas les moyens de l’exécuter. Empruntons encore cette démonstration à Sébastien Faure : « Il est impossible de concevoir un système gouvernemental quelconque, sans avoir instantanément l’idée d’une règle de conduite imposée à tous les êtres sur lesquels il étend son pouvoir ; et il n’est pas plus possible d’imaginer cette règle d’action — quelle qu’elle soit du reste : bonne ou mauvaise, juste ou inique, rationnelle ou fausse, indulgente ou sévère — sans songer concurremment à la nécessité de garantir, par tous les moyens possibles, l’observance de cette règle par tous ceux auxquels elle est appliquée. » (Sébastien Faure, ( « La Douleur Universelle », p. 200). Et voilà le collectivisme dans l’ornière. Gouvernement veut dire lois ; et les lois ne peuvent se concevoir ainsi que le démontre si clairement Sébastien Faure, sans magistrature, sans répression, sans prisons, sans police, sans parlement, etc, etc… et, malgré le collectivisme social et humanitaire, nous voici revenus aux douces manifestations des régimes capitalistes.

« Nécessité absolue, pour que règne l’ordre dans la Société » affirment les collectivistes. « La propriété de l’État et la monopolisation soumises au contrôle du gouvernement est un avantage sur la propriété privée. L’autorité gouvernementale en société collectiviste ne s’exerce pas au profit d’une minorité de privilégiés, mais au bénéfice de tous. L’action d’un gouvernement socialiste est une source de bienfaits pour tous et il faut se résigner à l’accepter » ; Voilà ce que dit le collectivisme. Examinons cet argument. Quant aux avantages matériels, ils sont bien difficiles à apercevoir. Le monopole octroyé à l’État aboutit presque toujours au développement du favoritisme, de l’incompétence et de l’arrivisme, vertus qui fleurissent admirablement dans les administrations publiques. « Les responsabilités sont moindres. C’est le règne de l’anonymat. Chacun a son petit intérêt personnel, envisagé sous l’angle le plus immédiat et le plus étroit. Dans cette ruée d’égoïstes féroces, on oublie forcément toutes les considérations utiles à la collectivité et il en résulte de pitoyables conséquences. Nul n’ignore que le gâchis le plus regrettable s’étale dans les administrations gouvernementales, que l’on y gaspille, que l’on y tripote à qui mieux mieux. Sur le terrain de la concurrence, l’État ne peut même pas lutter avec l’industrie privée. Il est battu d’avance. Fabriquant lui-même un produit quelconque, il dépense davantage et fait moins bien que son voisin ». (André Lorulot, Les Théories Anarchistes, page 194.) Ces lignes furent écrites bien avant la guerre de 1914 et bien avant la Révolution russe. Aujourd’hui que le monopole d’État s’exerce sur une grande échelle en Russie, nous avons pour confirmer nos critiques sur