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les maladies, toutes les tares sociales qui en sont les conséquences.

Il y a une autre sorte de chômage, c’est celui qui est décidé par les ouvriers soit par protestation, soit pour participer à une manifestation quelconque. Le 1er mai est un jour de chômage de ce genre. — Pierre Besnard.


CHRISTIANISME. — Voir Religion.


CITOYEN. n. m. Terme d’antiquité. Ce mot n’a jamais eu de féminin. Il n’a d’usage moderne que pour les ironistes conscients, politiciens ou non, et pour les imbéciles. Quelques bavards de réunion publique poussent la plaisanterie jusqu’à appeler leurs auditrices : citoyennes. La plaisanterie n’est pas beaucoup moins forte d’appeler citoyen n’importe quel homme d’aujourd’hui. Il arrive à tel orateur érudit de citer le mot d’Aristote : « Le citoyen se doit à l’État ».

Les pauvres gens qui font usage de l’argument d’autorité ont le droit de s’appuyer sur cette parole d’Aristote à peu près comme le naturaliste qui décrit le lézard a le droit de le comparer au plésiosaure. Le citoyen est une espèce qu’Aristote a connue mais qui est disparue depuis longtemps.

Le caractère spécifique du citoyen, c’est la participation aux fonctions de l’État. Or l’État, — nous enseignent Aristote et la pratique des anciens — a deux fonctions principales : légiférer et juger. Le citoyen, celui qui « appartient à l’État », c’est l’homme qui juge et qui fait partie de l’Assemblée législative. Un député est, pour quatre ans, un quart de citoyen : il ne juge pas et les lois qu’il vote n’ont de force que si elles sont approuvées par un autre ramassis de quarts de citoyens, le Sénat. Dans la classification que nous faisons d’après Aristote, le juge, animal supérieur, est un demi-citoyen. Quant à nous, pauvres gens, dont tout l’office social consiste à subir l’arbitraire des lois et des faiseurs de lois, et des appliqueurs de lois, Aristote constaterait en bouffonnant qu’on nous a châtrés des deux puissances du citoyen. Nous appliquer le beau titre historique, c’est proprement s’émerveiller devant la virilité des eunuques et les prier de remédier à la dépopulation de notre cher pays.

Mais, peut-être, à nous entendre nommer citoyens, le rire d’Aristote serait différent. Il se souviendrait de Diogène, allumerait sa lanterne, la promènerait devant nos visages et proclamerait qu’elle n’a éclairé que des faces d’esclaves.

Aux armes, citoyens… — Han Ryner.


CIVILISATION. n. f. La définition du mot est assez complexe, car au sens général il est employé par diverses écoles historiques et sociales de façon différente et c’est ce qui prête à confusion. La meilleure définition, malgré sa brièveté, nous semble être celle que nous empruntons à Lachatre : « Ce qui est civilisé, par opposition à la sauvagerie ». En effet, la civilisation est l’ensemble de la vie sociale, qui marque une époque d’évolution morale et de développement intellectuel et scientifique sur l’époque précédente. Elle doit être une course ininterrompue vers le progrès et une victoire constante de l’esprit sur l’égoïsme brutal qui anime trop souvent l’humanité. La civilisation est toujours relative à une époque et il faut la comprendre non pas dans le temps, mais dans son temps, et c’est ce qui explique que certaines populations, à des dates indéterminées de l’histoire ont été considérées comme les plus civilisées, alors que de nos jours elles seraient qualifiées de barbares. « L’humanité peut être comparée à un homme qui ne vieillissant jamais, ne mourant jamais, n’oubliant rien, avancerait continuellement dans la science et dans la raison » (Pascal). On peut donc dire de la civilisation, quelle est la marche en

avant de l’humanité, abandonnant sur sa route les vieux préjugés néfastes à l’épanouissement de l’individu et de la collectivité, elle poursuit la réalisation du bien-être social. Son but — si toutefois la civilisation a un but — ne peut être que la fraternité, la liberté et l’égalité de tous les hommes. Tout ce qui s’oppose par les faits ou par les idées au bonheur des humains ou qui éloigne l’ère de leur libération est contraire à la civilisation.

La civilisation ne s’impose pas par la force brutale et c’est un paradoxe des temps modernes de prétendre que les nations les plus civilisées sont celles qui sont les plus fortes militairement. En vérité, l’étude et l’observation de l’évolution historique nous portent à affirmer que la plupart des civilisations passées se sont écroulées en abusant de la violence. Malheureusement, et de nos jours encore, la force a toujours triomphé dans une certaine mesure de la raison, du droit et de la logique et les civilisations furent souvent subordonnées à la brutalité et à l’ambition des hommes qui ne savaient ni maîtriser leurs instincts, ni mettre un frein à leur désir de dominer. C’est toute l’histoire de l’humanité qu’il faudrait écrire pour traiter de la civilisation ; c’est toute l’histoire des peuples et des nations qui, depuis des siècles et des siècles, nous lèguent en héritage le produit de leurs recherches et de leur savoir.

La civilisation ? C’est la Chine, aujourd’hui broyée sous les dents voraces d’un capitalisme international qui, il y a cinq mille ans, donnait déjà le jour à des savants, des philosophes, des agriculteurs, dont les connaissances n’atteignaient certes pas celles de nos savants modernes, mais qui défrichaient le terrain, permettant ainsi aux générations futures de s’acheminer vers un avenir meilleur. La, civilisation ? C’est la lumière qui, pendant trois mille ans, jaillissant de ce grand empire, par la sagesse, le travail, la courtoisie, l’austérité des mœurs de son peuple, illumina le monde, malgré les divisions régnant au sein de la nation, malgré les vices, les débordements, la licence, l’ambition des grands et des seigneurs qui, finalement, devaient avoir raison de toute cette population soumise et pacifiste. Les efforts du grand Confucius, philosophe qui chercha, 500 ans avant notre ère, à redonner à la Chine un caractère moral et sain, furent vains. La Chine, décadente, fut écrasée sous le talon de la soldatesque. Il ne reste plus rien aujourd’hui de sa civilisation ; depuis deux mille ans, la Chine fut le théâtre de bien des invasions contre lesquelles elle ne sut se défendre, car ce peuple de plusieurs centaines de millions d’individus, qui pourrait mettre sur pied des armées formidables, ne possède pas l’art de la guerre. Sa civilisation, qui fut réelle, s’orientait vers d’autres buts et, désemparée, elle fut la proie facile de tous les conquérants qui, au nom d’une fausse civilisation, entendaient accaparer ses richesses. C’est toujours sous le fallacieux prétexte de « civilisation » que, de nos jours, la France, l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie, toutes les grandes puissances qui, au sens bourgeois du mot, sont des foyers de civilisation, tuent et pillent d’innocentes peuplades qui ne réclament que du travail et de la tranquillité.

Quel fossé sépare les civilisés de cette caricature de civilisation moderne que l’on voudrait nous faire accepter ! La civilisation ne peut évoluer que par le travail et la liberté du peuple, alors que, de nos jours, nous assistons à l’étalage le plus ignoble de l’oisiveté et de la paresse. Il semble que l’on revive dans nos pays occidentaux l’époque de la décadence Romaine, où le peuple, se contentant du pain et du cirque, se laissait mener et conduire par les maîtres du pouvoir. Toutes les civilisations d’antan sont mortes de la même mort.