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CHARITÉ. n. f. Les deux premiers sens indiqués par Littré sont : 1o « Amour du prochain » ; 2o « Acte de bienfaisance, aumône »,

Pour que la seconde signification ait pu dériver de la première, il a fallu que l’idée d’amour, alourdie d’on ne sait quoi de grossièrement protecteur, glissât un peu bas le long du concept de pitié. Aujourd’hui, la charité — parfois on précise et on dit la charité chrétienne — n’est plus nommée qu’avec dégoût par les êtres un peu dignes. Ils ne veulent ni la recevoir humblement ni la faire dédaigneusement. Pourtant, ce mot qui sent la soupe distribuée aux portes d’un couvent, fut beau et parfumé en sa prime jeunesse. Charité découle du grec charis, comme le nom même des Grâces, ou, pour répéter nos poètes du xvie siècle, des Charites. Avant d’être rendu nauséeux par l’abjection chrétienne, il disait non la pitié mal penchée, le secours dédaigneux et l’inégalité dégradante pour le bienfaiteur comme pour le protégé, mais l’amour d’autrui avec son cortège de sourires ravis, de charmes émus, d’attentions discrètes. Dans ce premier sens, il est la création des stoïciens. Cicéron nous explique comment ils opposaient la vaste « charité du genre humain », caritas humani generis moins aux amitiés choisies et exclusives des épicuriens qu’à la défensive et offensive solidarité civique vantée par les péripatéticiens et les autres esclavagistes. À l’odieuse formule d’Aristote : « L’homme est un animal politique », ils opposaient la vraie maxime de large et égale charité : « L’homme est, par nature, ami de l’homme ».

Certains mots ont traîné, hélas dans trop de boue pour qu’on les puisse laver. Comme au sac d’une ville meurt la femme violée par trop de soldats, les chrétiens ont tué de trop de souillures un terme qui fut souriant et profond, que nul effort ne fera revivre. — Han Ryner.


CHARLATANISME. n. m. User de ruses et d’artifices pour exploiter la crédulité publique et s’attirer la sympathie ou la confiance des foules. On appelle « charlatans » les opérateurs, les droguistes, les « dentistes » qui, sur les places, les marchés et les foires, débitent des paroles et surtout des produits de provenance et d’efficacité douteuses.

Il est des charlatans plus dangereux et, naturellement, mieux cotés. On les rencontre dans les académies, les officines, les laboratoires et les parlements. Ceux-là jouissent de l’estime publique.

La médecine, qui devrait être une science au service de l’humanité, n’est souvent que du charlatanisme. Le pauvre malade, animé par l’instinct de conservation se laisse facilement convaincre par tous ceux qui spéculent sur la santé d’autrui, et lui assurent la guérison et c’est ce qui explique le succès du charlatan qui trouve toujours des dupes.

Dans les prétoires, dans les cours de justice, ce sont les avocats, ces « défenseurs de la veuve et de l’orphelin », qui prennent la place du charlatan médical. Le pauvre bougre qui est pris dans les mailles de la justice est une proie facile, qui ne cherche qu’à être convaincu, et les belles paroles de l’homme de loi brisent toutes ses hésitations.

C’est aussi à l’église que s’exerce le charlatanisme et c’est ensuite sur les tréteaux électoraux où les candidats menteurs et sans vergogne promettent n’importe quoi et à n’importe qui, pourvu qu’ils obtiennent les suffrages des électeurs abasourdis et grisés d’illusions.

Combien sont inoffensifs les petits camelots qui débitent leur marchandise sur les places publiques et, tout en vivant modestement, ne font de tort à personne,

à côté de ces charlatans légaux qui accomplissent leur besogne à l’abri des lois !

Dans une société où tout se vend et tout s’achète, il est normal de considérer le charlatanisme comme une qualité et il n’y a pas lieu de s’étonner de la place qu’il prend dans la vie sociale.


CHARNIER. n. m. (du latin carnarium ; de caro, carnis, chair). — Anciennement, cimetière. Endroit dans lequel on enterrait ceux à qui leur fortune permettait d’être séparés du commun des morts. Aujourd’hui, le mot n’est plus usité dans ce sens, mais sert à désigner un amas de cadavres, consécutif à une catastrophe, un cataclysme ou une guerre. Le mot charnier est entré dans le langage courant pour symboliser les effroyables catacombes issues des horribles carnages, tueries et massacres en masse qui caractérisent plus spécialement les guerres.


CHARPENTIER. L’antérieur rudimentaire coupeur de bois, le bûcheron, charpentier primitif, est le plus ancien artisan qui employa le bois brut aux huttes et aux simples usages, plus tard aux constructions, en l’équarrissant et en le joignant par des assemblages. De vieilles images et gravures imaginatives représentent quelques constructions et des intérieurs ; mais ce ne sont pas des documents positifs des choses telles qu’elles existèrent, comme se le sont imaginé des illustrateurs. Les vieux écrits gravés sur la pierre des asiatiques et des égyptiens nous renseignent un peu mieux ; ils indiquent que les charpentiers exécutèrent, avant les civilisations grecques et romaines, de sérieuses constructions en bois. Il en est de même des époques gallo-romaines et gallo-françaises qui ne nous laissent aucune attestation en bois ; nous ne sommes renseignés que par de vieux parchemins, qui marquent que les maisons royales, romaines et gauloises, occupaient des charpentiers pour la construction et l’entretien des ouvrages divers : ponts, bateaux, faîtages, portes, bancs, charrues, chariots, roues d’une seule pièce, etc. Après Dagobert la documentation écrite est plus précise et depuis Charlemagne le charpentier est affirmé dans sa science.

L’époque romane nous laisse, supposer que les entrées des temples et des édifices avaient des portes en bois, que des poutres et des arbalétriers en soutenaient les parties. Les vestiges des xii et xiiie siècle montrent que le travail du charpentier dans les pays de l’Europe Centrale et Occidentale a peu progressé depuis les premiers siècles. Le bois est encore et presque entièrement équarri et travaillé à la cognée et à la hache. Il faut arriver au xiiie siècle et au gothique pour avoir des pièces de bois rongées par le temps qui nous renseignent sur le charpentier avec des outils transformés qui permettent de raboter, équarrir, assembler, moulurer et sculpter. Les maisons en bois du xve siècle qui existent encore dans les vieilles villes, attestent qu’à la fois la science et l’art de la charpente atteignirent un développement considérable, qui se continua dans les beaux travaux des cathédrales, des châteaux et des maisons civiles de la Renaissance. Puis, les métiers se différencièrent, se spécialisèrent ; le charpentier abandonnait en partie la gouge et les petits outils au menuisier, pour ne construire que les combles, les escaliers, les encorbellements et les échafaudages qu’utilisaient les tailleurs de pierre, maçons, sculpteurs. Depuis 1850 où la charpente en fer fut employée aux petites et aux grandes constructions, la technique de l’ouvrier charpentier est en décroissance. Les syndicats y suppléent dans une louable mais trop faible mesure en créant des cours professionnels, afin que l’ouvrier ne soit pas ravalé aux degrés inférieurs, et que le simple levageur et monteur puisse connaître les secrets scientifiques, que se réserve de plus en plus