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pour tromper et leurrer le pauvre peuple. Il suffit d’avoir assisté quelque peu à des séances de la Chambre pour se rendre compte de son incapacité. En outre des lois qu’elle a le pouvoir de promulguer, c’est la Chambre qui à la charge de trouver les ressources de l’Etat et de contrôler les dépenses des gouvernements. On sait trop comment elle accomplit son devoir. Ce n’est pas elle qui nomme les gouvernants, mais ceux-ci, en vertu d’une coutume, qui fait force de loi, ne s’imposent jamais à une assemblée législative, et se retirent s’ils n’obtiennent pas un vote de confiance. Au nom de la république des camarades, elle fait et défait les ministères, afin que chacun de ses membres puisse, à tour de rôle, prendre place autour de l’assiette au beurre. Si la Révolution française déclara que « la loi est l’expression de la volonté générale, et que tous les citoyens ont le droit de concourir, personnellement ou par leurs représentants à sa formation », elle ne se doutait pas que, par les vices mêmes qui sont à la base du régime démocratique, les représentants du peuple trahiraient et la loi et le peuple. Bien qu’ignorante des intérêts et des besoins de la collectivité, la Chambre entend s’occuper, non pas seulement politiquement, mais économiquement, de tout ce qui compose le domaine social. Elle discute, parlemente, légifère, avec la même impudence sur toutes les questions qui lui sont soumises. Jamais elle ne se déclare incompétente. Elle sait tout, elle connaît tout. En agriculture ou en pédagogie, en matière d’armement ou d’hygiène, elle ne se contente pas d’émettre un avis ou une opinion, elle se prononce, elle décide, et c’est ce qui explique qu’elle est toujours obligée de faire et de refaire des lois, qui ne répondent jamais aux nécessités sociales. Elle exerce parfois ses pouvoirs d’une façon tyrannique. C’est la Chambre servile de 1815, dénommée « Chambre introuvable » qui vota le bannissement des conventionnels ; c’est la Chambre de 1894 et 95 qui, par peur et par lâcheté, vota les ignobles lois « dites scélérates ». C’est la Chambre de 1914, qui se mit à plat ventre devant les conquérants ; c’est la Chambre de 1922 qui, durant 26 mois, se courba sous l’autorité du petit homme Poincaré ; c’est la Chambre de 1924 — Chambre rouge pourrait-on dire — qui est incapable de redresser une situation née du dernier cataclysme. La Chambre, c’est tout le mensonge, c’est toute l’erreur, c’est toute la corruption, toute la bassesse d’un régime qui se réclame du peuple et ne cherche qu’à l’asservir.

Et pourtant, elle est l’endroit sur lequel l’homme porte les yeux. C’est de là qu’il espère voir apparaître un jour, la liberté et la fraternité ! Par quelle aberration, par quel illogisme, l’individu peut-il encore croire en la valeur de ces assemblées qui ont donné des preuves suffisantes de leur inutilité ? Depuis plus de 75 ans que le peuple français nomme des députés, et qu’il est supposé diriger la chose publique ; depuis le temps que le parlement fait des lois qui devaient assurer son bonheur, qu’a-t-il obtenu de cette Chambre toute puissante, qui continue à régner en maîtresse, et n’apporte que des désillusions et des déboires ?

Combien de temps encore le peuple devra-t-il être trompé pour comprendre que la Chambre est une institution au service de la bourgeoisie et du haut capital, où se débat les intérêts d’une faible minorité qui spécule sur la bêtise des masses ? Il n’y a pas lieu pourtant de désespérer ; chaque jour la Chambre se discrédite un peu plus, et la confiance populaire se détache des assemblées législatives. Le nombre grandissant des abstentionnistes en est une preuve. Les temps sont proches où, balayés par le vent des révolutionnaires, les Chambres ne seront plus qu’un souvenir et les hommes conscients, éduqués se chargeront eux-mêmes de traiter leurs affaires.


CHANGE. n. m. Troc d’une chose contre une autre. Opération qui consiste à échanger de la monnaie d’un pays contre celle d’un autre pays, de l’or pour de l’argent. Prix auquel on accepte les devises des différents États par rapport à leur valeur-or. Change (lettre de). Mode de paiement employé de préférence par les personnes ayant des règlements à effectuer en pays étrangers. Les lettres de change évitent les déplacements onéreux de fonds et réduisent les opérations de banque. Dans le passé, le mot change n’éveillait pas dans l’esprit une idée capitale. Il ne représentait que les différentes opérations que nous venons d’énumérer. Le cours des changes n’intéressait que les milieux commerciaux, industriels et financiers. La grande masse de la population se désintéressait totalement de cette question qui paraissait plutôt d’ordre technique. Depuis la guerre, au contraire, le crédit et l’inflation, procédés ruineux auxquels tous les gouvernements ont dû recourir, ont porté cette question à l’ordre du jour et comme le prix du pain, du charbon, du sucre, du café, du coton, de la laine et de tous les objets de consommation et de première nécessité dépend directement du cours du dollar, de la livre ou du franc, tous, du banquier richissime à l’humble travailleur, s’intéressent passionnément à cette question des changes, car le mot change, de nos jours, éveille dans notre esprit des idées de bien-être relatif ou de misère noire. Examinons donc les causes de cette crise des changes, puisque probablement de longtemps (si le capitalisme s’en sauve), pareille crise ne se produira plus.

Le mal a son origine dans la guerre. Dépourvus de ressources et contraints à des dépenses prodigieuses, les divers gouvernements entrés dans le conflit mondial durent prendre, au petit bonheur, au hasard des compétences et des circonstances, toutes sortes de mesures toutes plus dangereuses les unes que les autres. La première de ces mesures consista à retirer l’or de la circulation et à décréter le cours forcé des billets de banque émis par l’Etat. Cette mesure étant générale aux principaux États, leur situation respective, par rapport à la situation d’ensemble, ne pouvait pas paraître désavantageuse. Cela permit d’attendre l’ouverture de crédit, car, la quantité de billets en circulation augmenta rapidement, dans la plupart des cas, de 400 à 500 %. Une deuxième mesure consista à émettre des emprunts aussi longtemps que l’on pu trouver des prêteurs. Ces procédés imposés par les nécessités de la guerre, ruinaient les États ; mais tous en étant au même point, cette opération n’agissait au détriment d’aucun d’eux ; seuls, les habitants de chaque pays continuaient à en supporter le poids ; car, entre temps, le coût de la vie avait augmenté dans la même proportion que la quantité de billets de banque. Chacun comptait sur la victoire de ses armées pour faire payer aux vaincus tous les frais de la guerre, comme cela était dans les coutumes depuis longtemps établies et toujours respectées. Les imbéciles qui faisaient faire la guerre n’avaient oublié qu’une chose : se rendre compte si le vaincu aurait la capacité de payer. Mais, malgré la haine idiote, la guerre s’arrêta ; les peuples reprirent une certaine indépendance économique ; l’élément des affaires l’emporta sur l’élément militaire et c’est alors qu’à la guerre tout court succéda la guerre des financiers pour la domination des grands marchés, du monde. La tuerie mondiale avait fait naître et se développer prodigieusement de puissantes industries qu’il fallait à tout prix ne pas laisser disparaître, sous peine de voir disparaître aussi les scandaleux profits. De là, de suite après l’armistice, partit la crise des changes. Il ne s’agissait plus de déterminer la richesse de chacun en tenant compte de ses bonnes intentions, il s’agissait de ruiner l’adversaire pour rester maître