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viennent les coups qui nous frappent. C’est souvent un camarade, rencontré la veille, qui vous témoignait de chaudes marques de sympathie, et que vous n’auriez jamais soupçonné d’une vilaine action, qui vous a joué ce tour.

Un peu moins de poignées de mains, et un peu plus de solidarité, ce serait mieux. Soyons camarades autrement qu’en paroles. Il est fâcheux d’avoir à se méfier quand un inconnu vous interpelle : « Camarade ! » Il est souvent préférable d’avoir affaire à un bourgeois qui vous dit « Monsieur » et vous aborde poliment, qu’à des camarades qui vous tutoient ; ne se mettant bien avec vous qu’a fin de mieux vous trahir. Si la méfiance entre camarades est un mal, la trop grande confiance en est un autre, car il est des camarades indésirables, qu’on a de justes raisons de redouter. Il faut avoir assez de flair, de perspicacité, de psychologie pour savoir discerner les vrais camarades des faux. On voit les camarades à l’œuvre, quand on est dans la peine ou dans l’embarras : ils vous lâchent ! Tant qu’on n’a pas besoin de leurs services, ils sont à vos côtés. Il ne faut pas compter sur eux s’il vous arrive le moindre ennui. C’est une véritable calamité d’avoir affaire à certains camarades. Ils s’attachent à vos pas, vous suivent partout, non par sympathie, mais parce qu’ils ne savent à quoi employer leur temps. Que font-ils ? On n’en sait rien. On ne l’a jamais su, et on ne le saura jamais. Vous avez beau leur faire comprendre que vos instants sont précieux, ils ne vous lâchent pas d’une semelle. Que veulent-ils ? Quel but poursuivent-ils ? De quoi vivent-ils ? C’est louche. Il est des camarades qu’il est bon de ne pas fréquenter, ils sont vraiment compromettants ; ils cherchent à vous attirer dans une sale affaire, sachant bien qu’ils en sortiront indemnes. Ils se conduisent comme des policiers (il y a des chances pour qu’ils fassent partie de cette corporation). Vous marchez : vous êtes pris. Dès qu’il s’agit de faire un beau geste, il n’y a plus personne. Ces camarades tarés, qui agissent dans tout ce qu’ils font comme d’ignobles bourgeois, sont extrêmement dangereux. Pour se tirer d’embarras, Ils n’hésitent pas à vous dénoncer. Cette « camaraderie » qui est la raison d’être des groupements d’avant-garde existe souvent moins dans ces groupements, que, partout ailleurs. Ce qui est déplorable chez les communistes ou les individualistes, c’est la méfiance entre camarades. Ils se surveillent, s’épient. Aucune confiance ne règne parmi eux. Chacun se cache, dérobe à l’autre sa pensée, ses sentiments, ses moyens d’existence. On a vu des groupements dont les programmes étaient généreux, manquer de cette harmonie qu’il préconisaient. Combattant toutes les superstitions, exaltant par-dessus tout le beau, le bien et le vrai, ces « camarades » qu’un idéal élevé aurait dû rendre meilleurs passaient leur temps à se soupçonner, se jalouser, se nuire, dissimulant leurs pensée, agissant sournoisement en-dessous. Triste constatation !

Des camarades introduisent dans les « milieux » la politique. Ils prononcent des excommunications alors qu’ils devraient être les premiers excommuniés. Leur tyrannie est insupportable. Avec eux, impossible de discuter. Ils n’admettent pas la contradiction. Leur autoritarisme est sans bornes. Rien ne les distingue plus des bourgeois. S’il n’y avait pas dans les groupes, ces camarades tarés à tous les points de vue, ces groupes pourraient faire de la bonne besogne, tandis qu’il n’en sort que de la mauvaise. Intellectuels ou manuels, de tels camarades font la pire des besognes, semant la haine, la calomnie, la jalousie, l’envie, la discorde partout où ils passent. Il est des camarades insupportables par leur pédantisme. Ils veulent à tout prix que vous épousiez leurs idées, alors qu’ils n’en ont pas. Ils ne cessent de vous agacer avec leur pseudo science, les formules prétentieuses dont ils usent : ils

prétendent tout savoir, et ils ne savent rien. Ils se croient supérieurs, et dans n’importe quelle circonstance, vous vous apercevez de leur infériorité intellectuelle et morale. Le pédantisme fait ses ravages dans les milieux dits avancés autant que dans les autres. On voit des camarades venir à des causeries, conférences, réunions, avec l’idée fixe de vous contredire, à propos de n’importe quoi et avec n’importe quels arguments. Quant à s’instruire, ils n’en ont cure. Ils sont contents d’être applaudis par leurs copains et d’avoir pu prouver au « conférencier », en criant et en gesticulant, qu’ils sont plus forts que lui. Ils viennent avec l’idée de troubler une réunion, quel que soit le sujet qu’on traite. Ils vous font des objections qui ne tiennent pas debout. Ils cherchent à se rendre intéressants par n’importe quels moyens. Ou bien encore, ils vous salissent ou vous font salir par d’autres camarades dans les feuilles plus ou moins libertaires. Procédés que les bourgeois eux-mêmes hésitent souvent à employer. Les chapelles d’admiration mutuelle sont aussi néfastes que les parlottes de dénigrement mutuel. Il n’y a dans l’un et l’autre cas aucune camaraderie. La seule façon de mettre un terme à ces mœurs intolérables provenant d’une fausse conception de la camaraderie, c’est la réforme de l’individu. Que les individus bannissent l’envie, la vanité et l’hypocrisie de leur cœur. Qu’ils s’améliorent, soient plus tolérants, moins injustes, et la fausse camaraderie aura vécu. Cela vaudra mieux que des discours, des paroles en l’air et même des écrits. La camaraderie exige des actes.

Anciens camarades. ― Que sont devenus les anciens camarades dont l’enthousiasme vous réchauffait, avec lesquels vous aviez combattu à vingt ans ?

Un beau jour, on ne les a plus revus. Ils ont disparu de la circulation. Ils se sont embourgeoisés. La plupart sont casés. Ils ont épousé une femme riche ou fait fortune. Ils vous reprochaient votre tiédeur, vous n’étiez jamais assez avancés pour eux. Vous étiez un « sale bourgeois ». N’empêche que vous êtes toujours le même, et qu’ils sont autres. Ils sont passés de l’autre côté de la barricade, dans le camp des repus, des satisfaits. ― « Oui, disent-ils, j’ai changé. Quand on est un homme honnête, on doit abandonner ses opinions si on reconnait que l’on s’est trompé. J’étais anarchiste je ne le suis plus, voilà tout. J’estime qu’il faut faire son devoir. On ne vit pas dans les grèves. On vit en société. J’ai changé, et je m’en trouve bien ». Il a suffi d’une place, d’un titre, d’un bout de ruban, quelquefois moins, pour qu’ils évoluent. Ils vendent de la mélasse ou palabrent dans les salons de l’Élysée. Ils ne parlent plus de tirer sur les officiers ni de voler le coffre-fort des capitalistes. Ils sont rangés, rangés, vous dis-je, rangés, rangés jusqu’à leur mort. C’est que leurs convictions étaient peu solides. Ils n’attendaient qu’une occasion pour s’en défaire. Mes anciens camarades sont devenus des bourgeois bien pensants, d’honnêtes commerçants, de braves militaires, d’excellents fonctionnaires et de parfaits « maquereaux ». Ce sont de bons pères de famille et de valeureux patriotes. Ils ont trouvé leur voie. Qu’ils y restent ! Ils sont devenus ministres, ou sous-ministres. Ils arborent à leur boutonnière les palmes académiques ou le ruban de la Légion d’honneur. Vraiment, beaucoup de nos anciens camarades ont mal tourné. On connait les « camarades ». On sait ce dont ils sont capables. Ils ne se préoccupent guère de mettre leurs actes en harmonie avec leurs théories. Leur camaraderie n’est qu’un bluff. C’est le plus souvent une exploitation.

N’exagérons rien cependant. Ne soyons pas pessimistes. Ne décourageons personne. Soyons justes. Il y a de bons camarades, d’excellents cœurs, qui répondent : « Présents ! » chaque fois qu’il le faut. Ils sont rares,