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prises, — toutes ces mesures seront des droits inaliénables de l’État. Le but sera atteint à l’aide d’une étatisation des organisations ouvrières professionnelles qui deviendront ainsi organes de contrôle policier sur les ouvriers.

Nul changement, cependant, dans le caractère, dans l’essence même de l’industrie. Les principes : du travail salarié, d’une échelle de salaires, ainsi que de la plus-value laissée par l’ouvrier entre les mains de l’embaucheur restent. L’industrie garde ses formes et son essence capitalistes antérieures.

Quant au commerce, là également, la nationalisation bolcheviste conserva entièrement le principe d’ « achat-vente », s’étant bornée, dans ce domaine, à l’établissement d’un monopole d’État.

Et quant au domaine des relations agraires, les bolcheviques s’y bornaient, à l’époque du communisme d’État, à enlever aux paysans « l’excédent du blé », ce qui signifiait qu’on leur prenait de force tout l’approvisionnement présent, moins le minimum le plus strict dont ils avaient besoin pour ne pas mourir de faim.

Le communisme d’État des bolcheviques ne fut ainsi qu’un capitalisme d’État qui n’améliora nullement la situation du monde travailleur, ni économiquement, ni du point de vue des « droits sociaux ». Plus encore : à l’époque de la décadence et de la crise aiguë de 1920, ce capitalisme essaya de réaliser l’idée de la militarisation du travail et du travail obligatoire qui devait réduire la classe ouvrière tout entière à l’état « d’enfermée en caserne ».

Il est tout naturel que la dictature du Parti et l’activité capitaliste des bolcheviques aient soulevé des protestations et provoqué une résistance énergique de la part des milieux révolutionnaires prolétariens et paysans, cherchant, en conformité avec les aspirations de la révolution sociale, à commencer la véritable création socialiste : la socialisation de l’industrie et de la terre sur les bases de leur auto-direction.

Ce fut par la terreur que le pouvoir communiste répondit à ces protestations et à ces actes de résistance. Il ouvrit ainsi la guerre civile à gauche, au cours de laquelle, les partisans de l’anarchisme communiste, du syndicalisme révolutionnaire et du maximalisme socialiste furent, en partie anéantis, en partie jetés en prison ou obligés de se cacher et d’agir clandestinement. Toute la presse ouvrière révolutionnaire de tendance non « communiste », fut étouffée. Les organisations furent anéanties.

Les masses paysannes révolutionnaires, qui ne voulaient plus reconnaître aucune autorité, furent traitées par le gouvernement communiste avec encore plus de férocité. Il agissait, tout simplement, à l’aide des divisions militaires, asservissant les régions indépendantes et rebelles à coups de canons.

Ayant étouffé toute tentative de création socialiste, d’auto-direction socialiste des ouvriers et paysans, les bolcheviques ont, par là même, désorganisé et frappé de mort le développement économique du pays. Ils le plongèrent dans un état de putréfaction et de décomposition.

La désorganisation économique a atteint son point culminant en 1920, au moment même de la militarisation du travail et de l’introduction du travail obligatoire. Ce fut aussi le point culminant de la terreur gouvernementale appelée à défendre les positions du pouvoir. Les voix protestataires des masses révolutionnaires se faisaient entendre tous les jours davantage. Dans le Midi de la Russie tonnaient, depuis bientôt trois ans, les canons des insurgés révolutionnaires, paysans et ouvriers, en lutte contre la dictature du parti et pour la libre création socialiste. En mars 1921, des dizaines de milliers d’ouvriers et de matelots révolutionnaires, fils de Cronstadt, citadelle de la révolu-

tion, se levèrent, les armes à la main, pour protester définitivement contre la mutilation de la Révolution par les bolcheviques, contre sa transformation en une simple base pour le capitalisme. Ils exigeaient catégoriquement : le rétablissement de la liberté des élections dans les Soviets ; le rétablissement des libertés et droits révolutionnaires ; le droit d’organisation et de presse pour les anarchistes et les courants socialistes de gauche et, en général, le retour aux mots d’ordre et aux conquêtes des ouvriers et paysans dans la révolution d’octobre.

La voix de Cronstadt sonna le tocsin dans toute la Russie révolutionnaire.

Le moment de la catastrophe du bolchevisme paraissait proche. Il fallait trouver à tout prix une issue. Alors, le pouvoir « communiste » mobilise à la hâte ses forces militaires et les lance de Petrograd (Léningrad) à l’écrasement définitif de Cronstadt. Une lutte acharnée s’ensuit où périssent des milliers de « ceux de Cronstadt » — pionniers et héros de la révolution d’octobre. En même temps, les dernières forces du mouvement révolutionnaire-insurrectionnel sont écrasées dans le Midi.

Le bolchevisme est vainqueur. Immédiatement après, il déclare la nouvelle politique économique : la « N. E. P. ».

C’est à partir de ce moment que commence la deuxième période de l’activité économique constructive des bolcheviques en Russie.

Le sens de la « N. E. P. » est celui-ci : tout en maintenant entre les mains de l’État la grande industrie et l’énorme réserve de terres, de même que le monopole du commerce extérieur, les bolcheviques ont réservé au capital privé la deuxième moitié de l’industrie : le droit de commerce (intérieur), celui d’exploiter la force vive (force ouvrière), celui de fermage de la terre en vue du profit personnel.

Un concubinat des capitaux : privés et d’État fut établi de cette façon. Ce qui mena à la création de nouvelles classes d’exploiteurs : celle de la bourgeoisie des villes et des campagnes, des « nepmen » et des « koulaks » (paysans riches exploitant les autres).

Conformément aux données officielles du Commissariat des Finances, la bourgeoisie rurale constituait, en 1925 déjà, 13 % de toutes les fermes paysannes, concentrant entre ses mains plus de 50 % de toute la production agraire. La même bourgeoisie fait 85,4 % dans les coopératives agricoles ; (les « koulaks », paysans cossus, 30,1 % ; les « sséredniaks », paysans moyens, 55,3 %), de sorte que les paysans pauvres y figurent pour 14,6 % seulement. Bien entendu, c’est elle aussi, la bourgeoisie rurale, qui détient les places dirigeantes dans les organes du pouvoir des Soviets à la campagne.

Les « nepmen » sont, à leur tour, une force économique et politique considérable dans les villes. Là, cependant, la force capitaliste dominante est le parti bolcheviste lui-même. Cette puissance capitaliste tient entre ses mains toute la grande industrie et des espaces de terre immenses.

L’inauguration de la « N. E. P. » fut la conséquence naturelle et inévitable de la contradiction qui s’était produite entre la politique de dictature des bolcheviques d’une part, et les aspirations des masses révolutionnaires à leur autogestion socialiste, d’autre part. Ayant éliminé ces masses de toutes les fonctions créatrices de l’édification socialiste, les bolcheviques se créèrent ainsi la situation d’un groupe isolé, tenant entre ses mains, par la force du Pouvoir, l’économie nationale, mais impuissant à la mettre en marche par ses propres moyens. Il fallait choisir : ou bien rendre aux masses le droit de l’initiative et de la création socialiste (en la personne de leurs organisations de pro-