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AFF
(il ne se souvient qu’il en a une que pour l’exploiter). Il y a un patriotisme spécial aux gens de finance qui ne leur interdit pas de se tendre la main au-dessus des frontières : ils parlent tous en même langue — celle de l’intérêt — et pratiquent l’internationalisme à leur façon. L’homme qui ne poursuit qu’un but ; gagner de l’argent, est incapable d’éprouver autre émotion que celle de miner son prochain. S’il perd un être aimé (?) aussitôt il sèche ses larmes et se remet bien vite à calculer. Isidore Lechat incarne le type de l’homme enchaîné à la matière sous sa forme la plus basse. La religion du veau d’or exige des cœurs secs, incapables du moindre mouvement de générosité. Les affaires sont les affaires, c’est-à-dire que rien ne compte en dehors de cette passion maladive qui consiste à chercher nuit et jour des combinaisons pour gagner davantage, que tout le reste n’est rien, que les « affaires » passent avant la justice, avant la vérité, avant la beauté. Cette monomanie atteint les grands et les petits. Les affaires sont les affaires : devant cette affirmation catégorique tout s’évanouit et s’efface… Il ne reste qu’une brute qui entasse des lingots dans un coffre. Les affaires sont les affaires pour les métallurgistes, les fabricants de canons, d’obus, et de conserves, les fournisseurs de l’armée et autres chevaliers d’industrie (dans le monde de la pensée, ceux-ci foisonnent comme dans le monde des tripes) qui s’engraissent aux dépens de leurs victimes. — Le mot « affaires » possède un autre sens, en harmonie avec tout le reste. On dit : les affaires en cours, pour désigner les scandales suscités par la calomnie, dans un but intéressé. Il y a des « affaires » qui résultent de ce que certains ont voulu trop gagner ; dans ce cas, qu’ils se débrouillent avec leur justice. Nous avons actuellement une cinquantaine d’affaires en cours (il y en a bien autant sous roche) qui passionnent ce qu’il est convenu d’appeler l’opinion. — Affairiste : qui fait des affaires, au lieu de faire de l’art (tout le monde, il est vrai, ne peut pas faire de l’art, si tout le monde, pour employer la délicate expression des brutes, peut faire du lard ! — et encore, cela n’est pas prouvé). Coulissiers à la conscience plus ou moins tranquille, banquiers aux krachs retentissants, joueurs des « villes d’eaux », possesseurs d’ « écuries de courses », actionnaires de grandes et de petites compagnies, et autres « pieds humides ». — On peut dire aussi dans un sens plus restreint : épargniste, bas-de-lainiste. — En somme, l’affairiste, c’est l’homme aux idées mesquines, à l’intelligence médiocre, ou a l’intelligence mal employée (il passe de « l’intelligence des affaires ! »). Bourgeois borné, aux prétentions esthétiques, cultivant l’amateurisme avec entêtement, éclaboussant ses voisins de son luxe criard. Parvenu aux conceptions étroites, entravant tout progrès, et se disant un homme de progrès, substituant à l’originalité la bizarrerie et l’extravagance. — On dit : un brasseur d’affaires, pour designer un personnage véreux, louche, menteur, faussaire, escroc. L’affairisme a ses bons côtés : il peut conduire au bagne. Dans ce monde-là, la fin justifie les moyens. L’affairisme est fertile en scandales, calomnies, chantages, mouchardages, palinodies. — Affairé : l’imbécile qui fait l’important, cherche à se rendre utile afin d’obtenir un avantage (rétributions sous formes pécuniaires ou honorifiques), — le raté des « Arts » et des « Lettres » qui promet sans cesse une œuvre qui ne vient jamais. — Il y a une politique d’affaires, un journalisme d’affaires, etc… (Voir les mots capitalisme, matérialisme, mercantilisme, ploutocratie, utilitarisme.) — Gérard de Lacaze-Duthiers.


AFFINITÉ n. f. La signification de ce terme est plutôt large. Le mot affinité trouve son application dans divers ordres d’idées et de faits. Affinité veut

dire : analogie, conformité, point de contact, ressemblance, rapport, liaison. Exemples : « Le chacal a de l’affinité avec le chien. Ces deux mots ont de l’affinité. La Physique et la Géométrie ont beaucoup d’affinité. « La musique a beaucoup d’affinité avec la poésie. » (Descartes). L’affinité se signale dans l’ethnologie et la linguistique : « L’affinité du Gaulois, du Provençal, du Français, du Portugais, de l’Espagnol et de l’Italien est évidente. » On entend par affinité chimique, la force qui tend à combiner et qui tient réunies les molécules de nature différente. On dit que tel corps a une affinité pour tel autre, lorsque ces deux corps se combinent ensemble avec facilité. Les travaux de l’illustre chimiste Berthollet ont démontré que l’affinité est, sinon causée, du moins modifiée par une foule de circonstances, telles que la cohésion, la pesanteur spécifique, la pression, l’électricité, le calorique, la quantité relative des corps entre lesquels la combinaison peut s’opérer. En botanique et zoologie, le mot « affinité » s’applique aux rapports organiques qui existent entre les êtres vivants et dont l’intimité ou le nombre détermine les groupes dans lesquels on doit les réunir. « Chaque élément, dit Chaptal, a ses affinités particulières. » En musique, on observe ce qu’on appelle l’affinité des tons. Il faut entendre par là le rapport le plus rapproché qu’a tel ou tel ton avec le ton principal : ainsi la quinte, se trouvant avec le ton principal dans le rapport de 2 à 3, a plus d’affinité que la quarte dont le rapport au ton principal est de 3 à 4. On voit par ce qui précède

l’usage copieux qui peut-être fait du mot « affinité ».

Dans les milieux anarchistes, où l’emploi en est fréquent, il possède un sens quelque peu spécial, bien qu’en parfaite concordance avec son sens général et usuel. Il exprime la tendance qui porte les hommes à se rapprocher les uns des autres, à se grouper par similitude de goûts, par conformité de tempéraments et d’idées. Et, dans la pensée et l’action libertaires, les anarchistes opposent la spontanéité et l’indépendance avec lesquelles ces rapprochements se produisent et ces groupes se constituent à la cohésion obligatoire et à l’association forcée déterminée par le milieu social actuel.

Les exemples de ces groupements volontaires, d’une part, et de ces associations imposées, d’autre part, ces exemples abondent. Je n’en veux citer qu’un seul, mais saisissant :

Millionnaires et sans le sou, gouvernants et gouvernés, patrons et ouvriers, violents et pacifiques, n’ont entr’eux aucune affinité, mais l’idée de nationalité intervient, la pression patriotique et l’organisation militaires s’en mêlent et voici que, à la longue, la liaison se forme entre les uns et les autres, les précipitant, en cas de guerre, dans la même mêlée, les exposant indistinctement aux mêmes dangers de mutilation et de mort : cohésion obligatoire, association forcée. Ici, il n’est pas besoin que joue la force de l’affinité, puisqu’il n’est tenu aucun compte de la conformité des goûts, du rapprochement des caractères, de la similitude des situations, de la conformité des intérêts, de la liaison des idées. Ce qu’on appelle affinité ne tient aucune place dans ce rassemblement d’individus que, seule, détermine une volonté étrangère, voire opposée à la leur.

Mais voici, au contraire, des hommes qui appartiennent à la même classe, qui sont nécessairement rapprochés par la communauté des intérêts, chez lesquels les mêmes humiliations, les mêmes privations, les mêmes besoins, les mêmes aspirations forment petit à petit, à peu de chose près, le même tempérament et la même mentalité, dont l’existence journalière est faite de la même servitude et de la même exploitation, dont les rêves, chaque jour plus précis aboutissent au même