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toute autre signification et que tous les sentiments et gestes qu’inspirent aujourd’hui le dénuement matériel et la détresse morale de nos semblables ne trouveront à s’appliquer qu’aux vicissitudes et adversités inhérentes à la nature. Les formes actuelles de la bienfaisance auront disparu ; elles seront remplacées par celles, autrement nobles, de la solidarité. ― Sébastien Faure.


BIGOTISME. n. m. Caractère de ce qui est bigot, c’est-à-dire d’une dévotion outrée, étroite, ridicule. Le bigotisme sévit surtout chez la gent féminine, et en particulier dans les campagnes. Esprits faibles et mesquins, les bigots ont subi l’ascendant dominateur des hommes noirs et, justifiant le proverbe : « Mieux vaut avoir à faire à Dieu qu’à ses saints », sont devenus plus intransigeants que les vautours d’église. Pour l’espèce sinistre des bigots tout ce qui est lumière, liberté, joie ou vie ample est un crime. Leur intelligence bornée ne voit pas plus loin que la sacristie ou le confessionnal. Le soleil et l’amour, le rire et la gaieté, les initiatives hardies et la générosité, tout les choque. Ils vouent à l’enfer tous ceux qui ne partagent pas leur vie monotone et terne. Ils s’indignent contre les mœurs du siècle avec une pruderie comique. Cela ne les empêche pas d’ailleurs d’être bien souvent des amateurs de débauche ; mais, hypocrites, ils savent dissimuler leurs vices sous leurs sempiternelles prières. Ce ne sont pas les plaisirs qu’ils haïssent, mais la franchise dans les plaisirs. Ils sont les ennemis jurés de tout progrès, de toute idée noble. Par contre, il n’est pas de routine ou de pensée étroite dont ils ne se fassent les défenseurs acharnés. Ce sont les auxiliaires de toute réaction. C’est pour cela que les anarchistes ne cesseront de combattre ce fléau qu’est le bigotisme et sa cause première : la religion. ― Georges Vidal.


BILAN n. m. (du latin bilanx, balance). Acte contenant l’énumération et l’évaluation des valeurs composant l’actif d’un commerçant, ainsi que l’état exact de ses dettes. Par extension établir le bilan d’une entreprise, d’un parti, c’est comparer ses réalisations à ses promesses. Aucun parti gouvernemental ne peut supporter cette épreuve qui serait concluante pour ceux que n’aveuglerait pas la passion politique. En effet, chaque fois qu’un parti arrive au pouvoir, les mêmes faits se reproduisent. Au lieu d’essayer de tenir ses promesses il se préoccupe de jouir autant qu’il est possible de l’assiette au beurre. De temps en temps il promet formellement de tenir ses promesses antérieures et le public, éternellement dupé mais éternellement résigné, encaisse ses nouvelles désillusions sans mot dire. Il s’aperçoit que les partis politiques, quelles que soient leurs couleurs, sont aussi menteurs les uns que les autres. C’est alors que les anarchistes doivent dresser un bilan exact du parti au pouvoir et montrer au peuple jusqu’à quel point on l’a berné. C’est le meilleur moyen de propagande anti-parlementaire et anti-gouvernementale.


BIOLOGIE. n. f. (du grec : bios vie, et logos discours). Comme toutes les autres sciences, et encore davantage qu’elles, la biologie n’a commencé à faire de réels progrès que depuis le moment où, devenue anarchiste, elle ne reconnut plus ni Dieu, ni maître, ni prêtres, ni philosophes.

L’explication théologique de la vie, présentée comme une émanation immatérielle de la puissance divine, suffit longtemps aux esprits paresseux asservis aux disciplines ecclésiastiques et fut imposée aux penseurs libres par la force coercitive de l’Église, appuyée sur les deux institutions types d’autorité ; l’Inquisition et l’État. Elle satisfaisait les premiers en les dispensant de recherches difficiles et dangereuses ; elle bâillonnait

les seconds en les réduisant à des cogitations secrètes et à un enseignement ésotérique. Chaque tentative d’un exposé rationnel des choses se heurta à une répression, de cruauté décroissante avec les âges, mais toujours immuable dans ses desseins de refoulement mental ; la cigüe de Socrate, le bûcher de Giordano Bruno, l’abjuration solennelle de Galilée, la rétractation de Buffon. Et c’est pourquoi, pendant des milliers d’années, la vérité échappa à la majorité des hommes, malgré le nombre et la vivacité d’intelligences au moins égales à celles des temps contemporains. Elle se révéla et triompha lorsque, sous l’action de la vie elle-même se développant d’une façon tacite et imperceptible le long des siècles, elle s’épanouit enfin brusquement et, en une splendide révolution intellectuelle, renversa les idoles et ruina les temples.

Prêtres laïques, les philosophes voulurent voir dans la vie autre chose qu’elle-même. Ils insufflèrent des abstractions dans lesquelles ils cachèrent du vide. Pour les vitalistes, les êtres et le monde en général étaient soumis à l’action d’une ou de plusieurs « forces vitales », indépendantes de l’âme, principe distinct immatériel, et des phénomènes mécaniques, chimiques, physiques de la matière. Cette force vitale, on ne la saisissait pas, ne la mesurait pas, ne l’expérimentait pas, ne cherchait pas à la modifier, on l’affirmait et y ajoutait foi. ― Les animistes identifiaient cette force vitale avec l’âme, manifestation purement spirituelle, jouant dans les organismes terrestres et le cosmos, mais sans s’y confondre, un rôle d’impulsion, de développement, de direction vers un but défini selon un plan harmonieux et préétabli. Tout cela n’était que répétition, piétinement. Chassé par la grande porte, Dieu tentait de rentrer dans le temple par les vitraux percés.

Les hommes de science s’y opposèrent. La doctrine scolastique et autoritaire veut justifier la vie par un créateur, hypothèse gratuite et stérile, ou par des idéologies verbales et sans contenu réel ; elle prétend ainsi expliquer le connu par l’inconnu. Rompant avec cette méthode surannée, cessant de méditer et de rêver, le savant moderne ouvre les yeux, contemple les manifestations présentes de la vie ; observe, expérimente, suppose, vérifie, conclut s’il le peut, doute toujours, forge des hypothèses qu’il retrempe constamment par les épreuves de l’expérimentation. Il tente d’aller du connu à l’inconnu, d’arriver à celui-ci par des approximations successives de plus en plus précises ; il tend à la vérité sans jamais se vanter de l’atteindre. De ces études, de ces expériences, de ces conjectures, de ces vérifications sortit la conviction que la vie est un ensemble d’actions et de réactions physico-chimiques d’une extrême complexité, d’origine primordiale inconnue et peut-être inconnaissable, de devenir ultime incertain, mais d’un déterminisme actuel rigoureux.

En effet la chimie, dont l’essor date de la fin de ce prestigieux xviiie siècle, appliqua sa méthode d’analyse à toutes les substances, tant minérales qu’organiques, rencontrées dans la nature et y découvrit une composition élémentaire absolument identique ; les êtres vivants, animaux et végétaux, comme les corps bruts renferment toujours du carbone et de l’hydrogène, très souvent de l’oxygène et de l’azote, en combinaisons diverses ; puis du phosphore, soufre, manganèse, fer, calcium, potassium, sodium, chlore, iode, arsenic, etc. Le fait devint indéniable, corroboré par des réactions connues, indéfiniment renouvelables par tous les chercheurs se plaçant dans les mêmes conditions de manipulation. Bien plus, l’étude comparée du spectre solaire et du spectre des divers métaux a prouvé d’une manière péremptoire l’existence, dans le soleil et dans les planètes, de ces mêmes corps simples isolés dans les