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soi, dès lors que cette façon de se comporter n’implique point domination ou exploitation.

Je prétends que cette conception anarchiste de la vie est « le bien » parce qu’elle inclut le bonheur, c’est-à-dire la disparition de la servitude : esclavage de la crainte de tenter seul ou de s’associer pour des expériences ou des fins que réprouveront toujours les gouvernants et les dirigeants de toutes les sociétés à base autoritaire, l’esclavage de l’emprise des préjugés sociaux et moraux. Être libéré de la servitude, c’est le bien, c’est le bonheur suprême. Être libéré au point de se permettre toutes choses, sauf user de violence, sauf empiéter sur la liberté d’autrui et l’obliger à faire ce qui ne lui convient pas, est-il réalisation plus juste, plus louable, plus digne d’approbation ? Est-il perfection morale, plus évidente ? ― E. Armand.


BIEN-ÊTRE (Le). n. m. « Liberté, Égalité, Fraternité ! » Cette devise résume les aspirations fondamentales de la République démocratique et sociale. Une longue et douloureuse expérience n’a que trop clairement établi l’hypocrite application qui est faite, en régime autoritaire, des trois termes de cette flamboyante trilogie. Plus personne ne se laisse prendre au mirage de ces trois mots qui, étroitement associés, devaient, par leur mise en pratique conjuguée, transformer le monde. Lorsque sur les murs des Églises, des Hôpitaux, des Asiles de nuit, des Casernes, des postes de Police, des Gendarmeries, des Palais de Justice, des Caisses d’Épargne, des Banques d’État, des Ministères, des Préfectures, des Hôtels de Ville, des Prisons, et autres mauvais lieux où s’élaborent et s’accomplissent tous les mauvais coups, on voit s’étaler le mensonge impudent de cette devise, on est pris de révolte ou d’écœurement.

Mais les hommes ― qui ne sont encore que de grands enfants ― aiment à marcher derrière des emblèmes et des drapeaux et ils éprouvent le besoin de se grouper, pour se connaître et lutter ensemble, autour d’une formule, d’une devise où s’affirment en termes brefs et précis les sentiments qu’ils éprouvent, les attachements qu’ils ressentent, les aspirations qui les meuvent, le but qu’ils poursuivent et la volonté qui les anime. Cédant à cette faiblesse, somme toute excusable, et tenant compte de l’influence que possède la magie des formules sur l’imagination et la sensibilité des masses populaires, les Anarchistes ont cru bon d’opposer à la devise discréditée de la Démocratie triomphante, une devise qui, résumant fidèlement le but vers lequel s’oriente l’effort positif de l’Anarchisme militant, fût susceptible de guider et de passionner la foule des victimes du capital et de l’État.

a) Les victimes du capital souffrent des privations que leur infligent les prélèvements automatiques des détenteurs de la richesse. Créées par le labeur millénaire des travailleurs intellectuels et manuels, les Richesses, toutes les Richesses, confisquées, volées et accumulées progressivement par une minorité de possédants, doivent faire retour à la totalité des humains. Une fois cette restitution accomplie, tous les moyens de production, de transport et d’échange seront mis en commun ; et ils constitueront un patrimoine indivis et inaliénable, dont la mise en valeur assurera à tous et à chacun le maximum immédiatement réalisable et toujours croissant du Bien-Être.

b) Les victimes de l’État souffrent de l’oppression que celui-ci fait peser sur elles. L’État a donné et donne de plus en plus la mesure de son activité dominatrice et absorbante. Il n’est plus permis de mettre en doute son rôle malfaisant. Il est de plus en plus prouvé que, quel qu’il soit, il est fatal qu’il représente la violence et la contrainte mises au service d’une classe, d’une caste

ou d’un parti courbant sous son joug toute la masse de la population qui se trouve en dehors de ce parti, de cette caste ou de cette classe. L’expérience russe constitue une démonstration éclatante de cette vérité affirmée depuis toujours par les Anarchistes. Le régime de la Liberté est incompatible avec le maintien de l’État. Toute Révolution qui laissera subsister l’État aboutira à un étranglement plus ou moins différé mais tout à fait certain, des conquêtes révolutionnaires voulues et réalisées par les masses insurgées et victorieuses. Toute rénovation sociale qui n’aura pas pour point de départ la suppression de l’État et la disparition effective de toutes les institutions qui en découlent sera d’abord rendue inopérante et, ensuite, retournera, comme le chien des Écritures, à ses vomissements, c’est-à-dire aux odieuses méthodes d’étouffement et de répression qui sont la négation même de la Liberté. Par contre, l’État étant aboli, définitivement aboli, la Liberté naîtra spontanément et, cessant d’être un rêve magnifique mais inconsistant, deviendra une réalité positive et féconde.

Voilà pourquoi l’Anarchisme a ajouté le mot « Liberté » au mot « Bien-Être », en résumant ainsi les deux fins qui synthétisent son idéal :

« Bien-Être et Liberté ! »

Il serait injuste de dire que, seuls, les Communistes libertaires ont adopté cette devise : elle est aussi celle des syndicalistes révolutionnaires.



Donc, le mot « Bien-Être » est l’un des deux termes qui condensent l’idéal anarchiste. Il importe, maintenant, qu’on sache bien ce que nous entendons, par ce mot lui-même. Il s’applique le plus souvent à une situation agréable et douce, à une existence commode et confortable, à un état de fortune atteignant et même dépassant l’aisance. Cette acception courante et limitée du Bien-Être s’arrête aux conditions matérielles qui résultent, pour chacun, de la situation économique qui est la sienne. Voltaire dit : « le Bien-Être est la grande loi à laquelle tendent tous les êtres sensibles ; mais combien peu y arrivent au milieu des luttes que cette recherche entraîne !… » ― « Nous portons tous en nous le désir du Bien-Être. » (J.-J.-Rousseau). Le Bien-Être implique, à n’en pas douter, cet état général de satisfaction et de prospérité qui correspond dans le présent à un état de fortune suffisant et autorise, pour l’avenir, le ferme espoir d’une situation meilleure. Les besoins physiques étant ceux qui revêtent le caractère le plus pressant et, si j’ose dire, le seul constant et universel ― car tous les individus sont dans la nécessité, pour vivre, de s’alimenter, de se loger, de se vêtir. ― Il est naturel que le Bien-Être s’applique tout d’abord à cette catégorie primordiale de besoins : les besoins du corps. Mais le Bien-Être, tel que nous le concevons, ne s’arrête pas là ; il franchit les limites étroites que lui assignent les définitions qu’on trouve dans la presque totalité des dictionnaires et des ouvrages spéciaux consacrés à cet objet.

Manger à sa faim, boire à sa soif, se reposer quand on est fatigué, dormir quand on a sommeil, être convenablement logé et proprement vêtu, consacrer au travail une durée et un effort qui n’excèdent pas la dépense normale des forces que nous portons en nous, c’est, incontestablement, un ensemble de conditions que comporte le Bien-Être et en dehors desquelles le Bien-Être n’existe pas.

Mais si c’est une partie nécessaire et une indispensable condition du Bien-Être, ce n’est pas tout le Bien-Être et, bornée à ces satisfactions d’ordre exclusivement économique, la notion du Bien-Être reste incomplète.

Pour jouir des multiples avantages que comprend le Bien-Être, du point de vue anarchiste, il est indispen-