Anglais lisent souvent un chapitre comme soporifique avant de s’endormir. Les vieux huguenots croyaient qu’il était indispensable de lire chaque jour un ou deux chapitres des Saintes Écritures ; pourtant on n’exécutait pas toujours bien régulièrement cette obligation. Cela me rappelle une anecdote caractéristique :
Dans une visite pastorale un nouveau ministre demande à une vieille si elle lisait bien régulièrement les Saintes Écritures. « Tous les jours M. le pasteur. » « Mais je ne vois pas la Bible chez vous », La bonne femme dit alors à son petit-fils d’aller chercher le gros livre dans la garde robe. Le petit garçon revient triomphalement, apportant la grande Bible de famille. Quand la femme eut ouvert le volume qu’elle prétendait lire tous les jours, elle s’écria involontairement, en découvrant ses lunettes entre les pages du volume : « Ah ! que je suis contente, voilà les lunettes que je croyais perdues depuis trois mois ! »
Les historiographes russes racontent un fait de ce genre qui se serait passé en Ukraine : Le tzar Alexandre Ier, dans un de ses voyages, entra dans la maison d’un pope qui était en train de cultiver son jardin. Pendant qu’on allait chercher l’ecclésiastique, l’Empereur feuilleta une belle Bible qui se trouvait dans la chambre, il glissa entre les feuilles un billet de cent roubles et referma le volume. En prenant congé du prêtre, il lui conseilla de lire chaque jour le livre de Dieu, le meilleur livre qu’il y ait au monde. L’année suivante, le tzar, repassant par le même village, entra de nouveau chez le prêtre et lui demanda s’il lisait régulièrement la Bible. « Tous les jours », Le tzar ouvrit la Bible et y retrouva son billet de cent roubles qu’il mit dans sa poche, en disant : « Tu vois bien, menteur, que tu ne lis pas la parole de Dieu tous les jours. »
Je suppose que même parmi ceux qui ont été élevés dans la religion protestante la plus étroite et qui dans leur jeunesse ont suivi les cours de religion et ont dû lire la Bible, au moins en grande partie, il en est bien peu qui se rappellent leurs lectures. Les extraits connus sous le nom d’Histoire Sainte se sont, par contre, mieux imprimés dans les cerveaux des enfants, ce que font aussi les contes de fées, comme ceux qui ont été recueillis par Perrault, Grimm, Andersen, etc., contes qui, selon moi, corrompent les esprits des enfants, qu’ils accoutument à croire à toutes les invraisemblances, toutes les sornettes des religions, comme les miracles de Jésus et des innombrables saints catholiques romains, orthodoxes, musulmans, hindous, etc…
Ces sortes d’histoires abracadabrantes foisonnent dans la Bible et c’est peut-être à elles qu’il faut attribuer une grande partie de l’influence qu’exerce encore ce livre.
On raconte que la reine Victoria, femme d’une intelligence très bornée, mais révérée pourtant pendant son règne comme un fétiche, aurait dit, en présentant une Bible à quelques grands diplomates : « C’est à la Bible que l’Angleterre doit sa grandeur ». ― Moi, j’ose dire que ce fétiche des protestants, base de la religion chrétienne, a été au contraire funeste à l’Angleterre, car c’est à la religion qu’on doit la dégradation des classes inférieures à qui l’on prêche la soumission, le respect des puissances établies, la patience dans la misère, grâce à l’espoir d’obtenir le royaume des cieux.
Mais ce livre fameux, on se contente d’en extraire les passages qui conviennent à nos seigneurs et maîtres, le reste est laissé dans l’ombre ; car on trouve de tout dans la Bible, depuis des paroles de sagesse jusqu’à l’invitation au meurtre, au vol, au vice le plus dégoûtant, au mensonge, à la paresse, à la haine, etc.
On ne lit guère la Bible comme on le devrait, en étu-
Pour un vrai chrétien, c’est presque un crime de douter de la théopneustie, c’est-à-dire de l’inspiration plénière des Saintes Écritures, crime qui a conduit bien des penseurs au bûcher. Je citerai ce qui m’est arrivé à moi-même, alors que j’étais étudiant en théologie à Paris. Élevé dans les idées les plus fanatiques des sectaires protestants, je ne pouvais supposer qu’un homme intelligent pût jamais douter de cette inspiration et j’aurais fui comme la peste toute personne qui m’aurait exprimé un doute à cet égard. Un jour j’accompagnai des amis dans une grande salle où le pasteur libéral Athanase Coquerel fit un discours magnifique. Ce grand orateur dit : « J’entrai un jour dans une église anglicane ; le pasteur, de sa voix sonore, lisait un passage de l’Ancien Testament. Le roi Saül venait de massacrer toute une population de vieillards, de femmes et d’enfants. Il les avait fait scier entre deux planches et avait fait passer la herse sur leurs cadavres. Samuel, le prophète des Dieux, se présente devant le roi et lui fait des reproches amers.
Était-ce d’avoir massacré tant de victimes innocentes ? Non ! c’était d’avoir épargné un seul homme, le Roi. Et vous me direz que ces pages sont inspirées ? Non, non, c’est impossible. Ces pages ne sont pas inspirées. »
Je fus tellement choqué de ces paroles que je me levai immédiatement, quittant mes amis pour protester contre cette profanation.
Je n’étais pas probablement le seul à avoir cette idée biscornue.
J’ai déjà dit que les protestants font un fétiche de leur Bible.
Voici, jusqu’où peut aller un sentiment d’adoration pour un livre.
Un mien cousin, très connu à Lausanne, il y a bien des années, estropié et zélé distributeur de traités religieux, ne quittait jamais son appartement le matin sans ouvrir la Bible comme moyen divinatoire et les premiers mots qu’il rencontrait au hasard, à droite ou à gauche, lui indiquaient ce qui lui arriverait pendant la journée. Ayant dit à ce même cousin la distance qui sépare la terre de la lune et du soleil, je fus frappé de l’entendre dire que les astronomes étaient des imbéciles car, si le ciel était si loin, Étienne, au moment où il fut lapidé, n’aurait pas pu voir le Seigneur assis à la droite de Dieu ?
Ainsi, au commencement du xxe siècle, un homme assez instruit mettait une légende biblique absurde au-dessus de l’astronomie, une des sciences les plus incontestables.
L’histoire, la peinture, la sculpture, etc., puisent constamment des sujets dans la Bible : il est vrai qu’on