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aspirante et foulante, qui serait actionnée par quelques privilégiés et fonctionnerait au profit exclusif de ceux-ci. Ce que le mouvement de cette pompe aspire, c’est la totalité des richesses enfantées par les prolétaires des deux sexes, de tous âges et de toutes nationalités ; ce que le mouvement de cette pompe refoule, c’est la masse de ces prolétaires qu’il rejette systématiquement dans l’enfer d’un travail de brutes et d’une existence de forçats.

Les conséquences de cette odieuse accumulation des richesses sont particulièrement saisissantes dans les grands centres qu’on a appelés les cités tentaculaires. (Voir le livre de Émile Vandervelde sur ce sujet.) L’opulence y côtoie le dénuement ; l’oisiveté y avoisine le travail forcé ; les rires et les chants s’y mêlent aux larmes et aux cris de détresse ; l’orgie tue les uns et les privations assassinent lentement les autres. « Il y a, rien qu’en France, écrivait le Dr  Bertillon, il y a 25 ans, plus de cent mille personnes de quinze à soixante ans qui, chaque année, meurent de la misère et de ses suites. »

Si on tient compte de la quantité d’enfants qui succombent au manque d’hygiène, à l’insuffisance ou à la mauvaise qualité des aliments qu’ils absorbent, qui s’étiolent lentement dans d’infects taudis sans air, qui, malades, sont privés des soins qui leur seraient nécessaires (voir la brochure de Kropotkine : « Aux Jeunes Gens » et, consulter les tables de mortalité enfantine) ; si on ajoute à ce tableau funèbre la quantité de vieillards qui s’acheminent vers la tombe plus tôt qu’ils ne le feraient s’ils possédaient l’aisance et la sécurité auxquelles toute une vie de labeur et de privations leur donne un droit incontestable ; si on additionne toutes ces victimes d’une criminelle organisation sociale, on peut hardiment tripler, quadrupler, quintupler ce chiffre de cent mille affirmé par un technicien de la mortalité qui n’est pas des nôtres.

Et pourtant, il existe assez de maisons pour que tout le monde soit convenablement abrité, assez de chaussures et de vêtements pour que personne n’aille pieds nus et en guenilles, assez de denrées alimentaires pour qu’il n’y ait aucun estomac vide et affamé.

Mais toutes ces richesses sont aux mains et à la merci de quelques-uns qui les ont accumulées. Ceux-ci peuvent crever d’indigestion, tandis que d’autres meurent d’inanition ; ils peuvent se demander dans quelles orgies extravagantes et insensées ils dépenseront leur superflu, tandis que d’autres s’allongent chaque soir sur leur misérable grabat en se demandant comment ils vivront le lendemain.

Tout, tout, tout aux premiers ; rien, rien, rien aux derniers.

C’est épouvantable, mais il en est ainsi.

Il était fatal que, grâce aux progrès merveilleux de la science appliquée à l’agriculture et à l’industrie, que, grâce aux découvertes de plus en plus admirables des techniciens et des inventeurs, la somme des richesses mises, par le Travail, à la disposition de l’humanité progressât sans cesse et il est normal que cette somme ait atteint aujourd’hui un niveau extrêmement élevé. Mais, ce qui est stupéfiant et inadmissible, c’est que les résultats féconds de ce développement de la richesse aient été confisqués par quelques accapareurs, au détriment de la collectivité humaine ; ce qui est révoltant, c’est que la structure économique et politique de la société bourgeoise fatalise un état de choses aussi profondément criminel ; ce qui est intolérable, c’est que cette confiscation de la richesse publique continue à s’opérer méthodiquement, systématiquement, avec la complicité des Pouvoirs publics théoriquement chargés d’entraver et d’interdire cette confiscation ; ce qui est intolérable, c’est que cette

accumulation des richesses soit favorisée et garantie par la loi qui couvre ce crime au lieu de le rendre impossible, il est vrai qu’il serait insensé de demander au Législateur et à la Force publique de réprimer l’accumulation des richesses, puisque cette accumulation est inhérente au régime social que le Législateur consolide et justifie et que la Force publique a pour mandat de soutenir.

Il est vain de s’indigner contre le fait économique en question sans s’indigner, du même coup et avec plus de véhémence encore, contre le régime social qui le fatalise : on ne peut efficacement combattre l’effet sans s’attaquer à la cause et c’est folie que de vouloir détruire l’effet sans en détruire la cause.

C’est, néanmoins, ce que font, absurdement, tous ces gens qui violemment s’élèvent contre l’accumulation des richesses dont pâtit la masse et qui, nonobstant, se font les défenseurs du milieu économique qui la produit nécessairement.

L’Anarchisme ne se borne pas à enregistrer le paupérisme d’en bas auquel aboutit l’accumulation des richesses en haut ; il en recherche la cause, il la dénonce, il la combat et il travaille à l’abolir, il enseigne à tous les déshérités qu’ils ont le devoir d’arracher les richesses à ceux qui, par la ruse, l’exploitation et la violence s’en sont emparés et que celles-ci doivent devenir et constituer l’héritage inaliénable et indivisible de tous les êtres humains.

Sébastien Faure.


ACHEMINEMENT n. m. L’acheminement est une marche en avant, par degrés, vers un but. C’est une avance, par étapes, vers le progrès. Exemple : le lent acheminement de l’humanité vers l’idéal anarchiste. La société, malgré les conservateurs, subit un continuel acheminement vers un idéal de bonté et de fraternité. Cette marche est parfois imperceptible, mais elle est sûre. Certes, bien du chemin reste à parcourir, bien des étapes à franchir avant d’arriver au but rêvé. Mais il suffit de jeter nos regards en arrière, de considérer le déroulement des siècles qui nous ont précédés, pour constater l’indéniable progrès, moral aussi bien que matériel, de l’humanité. Cette marche en avant, rien ne pourra l’entraver ni la retarder. Les forces de réaction s’uniront en vain pour empêcher l’avènement d’une société meilleure. Leurs efforts seront impuissants. Un jour viendra, prochain peut-être, ou une société nouvelle s’épanouira librement, une société d’amour, de travail sain, de paix universelle.

Appliquée à l’histoire, l’expression « acheminement » caractérise le mécanisme du processus des sociétés humaines vers l’ensemble des améliorations et perfectionnements vers lequel se dirige leur constant effort.

Le plus souvent, cet acheminement s’opère avec lenteur et de façon latente ; il échappe à l’observation et les plus clairvoyants le soupçonnent plus qu’ils ne le distinguent véritablement. Il arrive, parfois, que la marche en avant devient précipitée et traverse en un espace de temps très court d’immenses espaces.

Dans le premier cas, c’est l’évolution ; dans le second, c’est la Révolution.


ACTION n. f. « Au commencement était l’action » dit Goethe. Ce qui distingue les vivants des morts. Ne pas agir, c’est ne pas vivre, c’est se suicider. Agir, c’est penser, c’est créer, c’est traduire en réalité positive les besoins, les aspirations, les désirs, les volontés qui nous agitent. L’Action est à l’écrit et à la parole ce que le fruit est à l’arbre. Le verbe et l’écrit seraient vains s’ils ne faisaient pas naître le Geste. L’Action provoque un retentissement, constitue un exemple, possède une puissance d’entraînement incomparables. L’action réelle est profonde et dédaigne l’artificiel. Elle n’est pas une