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« L’athéisme bien compris n’est pas une simple incrédulité, une froide et aride négation ; c’est au contraire une fertile affirmation de toute vérité prouvée, il comprend l’assertion positive de l’action de l’humanité la plus élevée. » (A Plea for Atheism.)

L’athée ne dit pas : « Il n’y a pas de dieu, car il est impossible de prouver une négation. » Il dit : « Je ne sais pas ce que vous voulez dire par Dieu, je n’ai aucune idée de Dieu ; le mot Dieu, pour moi, est un son qui ne me fournit aucune affirmation claire ou distincte. Je ne nie pas Dieu parce que je ne puis nier ce dont je n’ai aucune conception et dont la conception chez ceux qui croient en Dieu est si imparfaite, qu’ils sont incapables de me la définir. Si pourtant on veut définir Dieu comme une existence autre que l’existence dont je fais partie, j’affirme qu’un tel Dieu est impossible. »

La difficulté initiale dans toute polémique religieuse, c’est en effet de définir le mot Dieu. Il est également impossible d’affirmer ou de nier toute proposition à moins qu’il y ait chez l’affirmateur ou le négateur un accord sur la signification de chaque mot de la proposition. Je trouve, dit Bradlaugh, ce mot fréquemment employé par des personnes instruites qui se sont fait une réputation dans diverses branches des sciences, plutôt pour déguiser leur ignorance que pour expliquer ce qu’elles savent. Diverses sectes de théistes attribuent à ce mot des significations, mais souvent ces significations se contredisent elles-mêmes. Chez les Juifs monothéistes, chez les chrétiens trinitaires, chez les soniciens ou unitaires, chez les anciens polythéistes, chez les calvinistes, le mot Dieu, dans chaque cas, exprime une idée absolument irréconciliable avec les idées des autres sectes.

Lorsque les croyants cherchent à s’entendre sur une signification, ils n’arrivent à rien. Lorsque le théiste affirme que Dieu est un être différent, séparé de l’univers matériel, quand il orne cet être hypothétique de nombreux attributs : omniscience, omnipotence, omniprésence, immuabilité, immortalité, parfaite bonté, l’athée peut répondre : « Je nie l’existence d’un tel être parce que cette définition théiste est contradictoire en elle-même et contraire à l’expérience journalière. »

L’un des plus remarquables poètes et critique du xixe siècle en Angleterre, Matthew Arnold, fils du grand éducateur et pasteur qui a rendu fameuse l’école de Rugby, écrit dans son célèbre ouvrage Littérature et Dogmatisme :

« Examinons le terme suprême dont est remplie la religion, le terme Dieu. L’ambiguïté dans l’usage de ce mot est à la racine de toutes nos difficultés religieuses. On s’en sert comme si c’était une idée parfaitement définie et certaine dont nous pourrions extraire des propositions et tirer des conclusions. Par exemple, j’ouvre un livre et je lis : Nos sentiments de la morale nous disent telle et telle chose et notre sentiment de Dieu d’un autre côté nous dit telle chose. Or, la morale représente pour tout le monde une idée définie et certaine, l’idée de conduite humaine réglée d’une certaine manière. Ici le mot Dieu est employé avec le mot morale comme si le premier représentait une idée aussi définie que le second. Mais le mot Dieu est le plus souvent employé dans un sens pas du tout scientifique ni précis : mais comme un terme de poésie, un terme jeté à un objet pas du tout clair pour l’orateur — un terme littéraire — et l’humanité le prend dans des sens différents selon que diffère la conscience psychologique. »

« Dieu est le nom que depuis le commencement des temps jusqu’à nos jours les hommes ont donné à leur ignorance (Max Nordau, Morale et Évolution de l’Homme). » Si l’on parle à l’athée d’un Dieu créateur, il répond que la conception d’une création est impossible. Il nous est impossible de nous représenter en

pensée que rien puisse devenir quelque chose ou que quelque chose puisse devenir rien. Les mots création et destruction dénotent un changement de phénomène, ils ne dénotent ni origine ni cessation de la substance.

Le théiste qui parle de Dieu créant l’univers doit supposer ou bien que ce Dieu l’a tiré de soi-même ou bien qu’il l’a produit de rien. Mais le théiste ne peut regarder l’univers comme une évolution de la déité, parce que cela identifierait l’univers et la déité, cela serait du panthéisme (du grec pan πᾶν toute chose et θεός théos dieu). Il n’y aurait pas de distinction de substance, pas de création. Le théiste ne peut non plus regarder l’univers comme créé de rien, puisque selon lui la déité est nécessairement éternelle et infinie. L’existence de dieu éternelle et infinie exclut la possibilité de la conception du vide qui doit être rempli par l’univers créé. Nul ne peut penser à un point de l’étendue ou de la durée et dire : Voici le point de séparation entre le créateur et la créature. Il est aussi impossible de concevoir un commencement absolu ou une fin absolue de l’existence.

L’athée affirme qu’il connaît les effets, que ceux-ci sont à la fois causes et effets, causes des effets qu’ils précèdent et effets des causes qui les précèdent. Donc pas de création, pas de créateur.

Aucun des croyants n’a une idée autre que celle d’un Dieu anthropomorphe (c’est à dire à forme humaine) ; chacun se représente un Dieu sous la forme d’un vieillard, assis sur un trône ou planant dans les nuages. Raphaël et les peintres de la Renaissance l’ont peint sous la forme d’un vieillard à longue barbe, volant par les airs et vêtu d’une vaste robe. Dans les tableaux d’église, même par des peintres de génie, comme Michel-Ange, on voit cette déité peinte en chair et en os, tantôt la tête ceinte d’une auréole, survivance du culte du soleil, tantôt formant le centre d’un triangle.

Dans mes voyages en Russie, j’ai souvent vu des paysans qui, avant de se découvrir en entrant dans une chambre, cherchaient l’image que les orthodoxes ont généralement dans un angle de leurs chambres et quand ils ne voyaient pas l’icone, demander « Gdié Bogh ? » (Où est Dieu ?) Pour eux, ce morceau de bois peint placé dans un cadre doré, était bien Dieu, un portrait de Dieu.

L’évêque américain Brown, qui a été deux fois condamné par ses pairs pour hérésie, a écrit dans son livre « Christianism and Communism » : « Mon Dieu est une trinité dont la matière est le Père, la Force est le Fils, et la Loi le Saint Esprit » ; dans un autre endroit, il dit : « Dieu est la nature et les travailleurs. »

L. K. Washburn écrit : « Nous nous servons du mot Dieu et il n’y a pas deux personnes qui aient la même idée de ce que le mot Dieu signifie. » Dans le Truth-Seeker le même auteur dit : « Il règne une notion assez nuageuse de la divinité, notion qu’il serait bien difficile d’exprimer en paroles. »

La bible nous parle de dieux (Elohim, pluriel de El, dieu sémite) créant la lumière avant le soleil, formant de ses mains d’abord un être hermaphrodite, homme et femme, puis, dans un second récit de la création, Yaveh (Dieu d’une tribu du Sinaï) formant un être isolé et, pendant son sommeil, lui arrachant une côte pour en fabriquer une femme. Il plante des arbres exprès pour faire succomber ses créatures. De son ciel, il ne voit pas ce qui se passe dans le jardin d’Eden et descend pour s’y promener et surveiller la conduite des deux époux, il leur coud des vêtements. Dieu se fait voir à Moïse face à face, une autre fois, il ne se montre que de dos. Dieu, de son doigt, grave les commandements sur la pierre, ailleurs, il lutte toute une nuit avec Jacob sur les rives du Jabbok, il est vaincu par l’homme : Dieu est donc un être matériel.

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